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Marchandisation de l’eau : la nouvelle offensive du "biocapital"

Après l’échec relatif de la première phase de libéralisation forcée des "marchés de l’eau", initiée dans les années 1980 par les institutions financières internationales et les entreprises transnationales du secteur, symbolisée par la signature de dizaines de contrats de "Partenariat-Public-Privé", une seconde offensive est en cours. Elle vise cette fois, sur fond de dérèglement climatique, de dégradation croissante des ressources en eau, de pénuries et de surconsommation, l’appropriation marchande de la ressource elle-même et de sa gestion. Ces perspectives d’exploitation du risque écologique planétaire signent l’émergence d’un nouveau « biocapital ».

par Marc Laimé, 7 avril 2007

La première étape du projet de marchandisation de l’eau a été initiée à l’orée des années 80 par une coalition regroupant les dominants actuels de la planète : les gouvernements du monde développé, les gouvernements du second et du troisième monde qui leur sont inféodés, les institutions financières internationales (IFI) et les entreprises transnationales du secteur, notamment françaises.

Affirmant que la gestion publique de l’eau au bénéfice de tous les habitants de la planète, traditionnellement mise en œuvre par des collectivités locales et diverses autorités dépendant des états nationaux, avait failli et était totalement inopérante, plutôt que de travailler à renforcer ces interventions, en lien avec les usagers des services publics, ils ont dès lors affirmé que seul le marché, le secteur privé, pouvaient apporter des solutions efficaces, marchandes, sous forme de services dont tous les bénéficiaires devaient acquitter l’intégralité du recouvrement des coûts (« full cost recovery »).

Un dogme en ligne avec le « consensus de Washington », dessinant le trépied de fer d’une libéralisation sans limites : le recours au secteur privé est indispensable et la « bonne gouvernance » exige dérégulation, décentralisation et privatisation.

Cette violente offensive néo-libérale, qui confie à la « main invisible du marché » la régulation de l’ensemble des activités humaines, s’est incarnée dans une première étape par la signature de dizaines de contrats de Partenariat-Public-Privé (PPP) sur les cinq continents, et plus particulièrement dans les mégalopoles du second et du troisième monde.

Quelques années plus tard l’échec de cette première phase de libéralisation est patent.

Sur les cinq continents les collectivités humaines frappées de plein fouet par les effets de cette logique marchande qui monétarise l’accès à un droit humain fondamental se sont organisées et ont combattu cette offensive violente des dominants actuels de la planète.

Les transnationales et les institutions financières internationales ont commencé à battre en retraite, en Amérique du Sud, en Afrique, dans le Sud-Est asiatique, voire aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne.

Nous vivons depuis peu une période transitoire.

L’offensive d’un nouveau biocapital

Loin de reconnaître leur échec, qu’ils imputent aux « défauts de gouvernance » ou à une posture « idéologique » anti-libérale affichée par les gouvernements des pays qui ont rompu nombre de ces contrats, les apologistes du marché ont formulé une nouvelle doctrine.

Ils ont observé attentivement les lignes de force, les valeurs, les modes d’organisation des communautés humaines qu’ils affrontent et ne sont pas parvenus à soumettre.

Et s’apprêtent aujourd’hui à lancer une seconde offensive, tout aussi brutale mais plus insidieuse. Elle a en fait déjà débuté.

Cette fois c’est la dégradation accélérée des ressources en eau sur toute la planète, sur fond d’absence persistante de réponse au défi majeur du 21ème siècle, l’accès à l’eau pour tous, pour lequel la communauté internationale multiplie pourtant en apparence les engagements, à travers par exemple les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), qui légitime cette seconde offensive.

L’objectif prioritaire n’est plus désormais d’intervenir comme prestataire de services, sous forme de Partenariats-Public-Privés pour le compte des autorités locales ou des structures étatiques responsables de la gestion de l’eau.

L’enjeu désormais réside dans l’appropriation de la ressource elle-même, et de tous les services qui garantissent son usage le plus efficient, pour les besoins énergétiques, industriels, agricoles, et bien sur humains.

Le réchauffement climatique, les sécheresses, les inondations, les pressions excessives sur des ressources qui ne peuvent se renouveler et garantir la pérennité du cycle de l’eau, l’urbanisation galopante et son lot de pollutions qui vont sans cesse croissant, sur fond de libéralisation sans fin des marchés des biens et des services, des échanges agricoles, de l’énergie, restructurent en profondeur l’économie mondiale…

Afin d’assurer leur emprise sur l’ensemble des activités hydriques, c’est donc désormais la ressource elle-même, et tous les services qui autorisent ses différents usages qui sont la cible de cette seconde offensive.

Technologies innovantes

Quelle que soit l’étape du cycle hydrologique naturel que l’on observe c’est une démarche systématique de marchandisation qui est désormais à l’œuvre, sous forme de régulation des besoins par la seule loi de l’offre et de la demande.

Le tout sans aucune remise en cause des pratiques énergétiques, agricoles, industrielles, économiques, qui sont au fondement de la dégradation accélérée, sur toute la planète, de cette ressource essentielle.

Si l’on considère que des régions entières du monde sont menacées, et par une absence criante d’infrastructures, et par un usage immodéré de la ressource, la nouvelle réponse du marché va s’incarner par la mise en œuvre de technologies de plus en sophistiquées et dispendieuses.

Dessalement de l’eau de mer, ré-utilisation des eaux usées pour des usages agricoles, industriels et de loisirs ("re-use"), recharge artificielle de nappes phréatiques, création de réserves, transferts d’eau massifs, constitution de marchés de l’eau…

Dans certains pays l’alimentation sous forme d’eaux embouteillées sera privilégiée et bénéficiera aux seules élites qui peuvent en faire l’acquisition, au détriment de l’accès à l’eau pour les populations défavorisées.

La montée en puissance du concept « d’eau virtuelle » vise par ailleurs à légitimer l’échange inégal dans le domaine de la production agricole, au détriment de la souveraineté alimentaire des pays pauvres.

La garantie du succès de cette offensive repose sur l’imposition massive de nouveaux "process" et de nouvelles technologies, notamment les technologies « membranaires » (ultra et nano-filtration, osmose inverse), protégés par des normes et des brevets, normes élaborées par les acteurs industriels dominants du marché, et brevets qui garantissent la captation de rente sur les procédés développés par les transnationales des pays développés.

Qui se substitueraient, avec l’appui sans faille des institutions financières internationales et des pays du Nord, aux pratiques traditionnelles de gestion de l’eau, héritage de l’histoire, que possèdent et maîtrisent les communautés humaines du second et du troisième monde.

C’est donc l’organisation même de la gestion de l’eau, tous les services qui y sont associés, qui sont désormais visés par le biais d’une captation massive de la recherche-développement, de la normalisation, des brevets, des technologies innovantes…

Dès lors les tenants d’une libéralisation sans limite de la gestion de l’eau apparaissent bien davantage sous l’angle de véritables opérateurs des politiques publiques de l’eau et de l’assainissement que sous celui de prestataires de services.

Depuis peu, un nouveau facteur va de surcroît accroître les tensions sur la disponibilité de la ressource et sa qualité. Dans la perspective de "l’après-pétrole", les Etats-unis, l’Europe et plusieurs pays émergents se fixent pour objectif l’utilisation croissante de carburants issus de produits agricoles pour les transports routiers. Redessinant la carte de l’agriculture mondiale, bouleversant le paysage des productions et des échanges commerciaux, agricoles et énergétiques, cette "nouvelle économie" va à son tour peser sur l’allocation des ressources en eau, et contribuer à la dégradation de leur qualité.

Les menaces dont est porteuse cette seconde offensive sont sans commune mesure avec celles de la première étape de la libéralisation des marchés de l’eau initiée à l’orée des années 80 du siècle dernier.

Les transnationales françaises créent un nouveau « biocapital »

La nouvelle « Charte d’engagements pour une gestion durable de l’eau », que l’entreprise Suez-Lyonnaise des eaux publie largement dans la presse française depuis le début de l’année 2007 affiche ainsi clairement les nouvelles priorités stratégiques de l’entreprise :

 prévenir la pollution de la ressource en eau ;

 garantir l’alimentation en eau en période de sécheresse ;

 lutter contre le gaspillage ;

 rendre à la nature une eau plus propre ;

 promouvoir la boisson eau du robinet ;

 participer aux plans climats des collectivités locales ;

 aider les plus démunis à payer leur facture d’eau ;

 faciliter l’intégration dans l’emploi ;

 valoriser les hommes et les femmes du service de l’eau ;

 sensibiliser les jeunes et les moins jeunes générations à la gestion durable de l’eau ;

 renforcer le contrat de confiance avec nos clients ;

 contribuer au débat démocratique sur l’eau. »

Dans le même registre l’Institut Veolia Environnement (France), le Centre Pew sur les changements climatiques globaux (États-Unis) et la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie (Canada) organisent la conférence Climat 2050 qui aura lieu au Palais des Congrès de Montréal du 24 au 26 octobre 2007.

Cette conférence « explorera les possibilités technologiques et les politiques innovantes qui mèneront à des résultats concrets en termes de lutte contre les changements climatiques au cours des 50 prochaines années. »

Ses objectifs sont sans équivoque :

« Partout dans le monde, des pays et des entreprises mettent en œuvre un large éventail de stratégies visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) tout en maintenant ou en renforçant la croissance économique. De nombreux gouvernements établissent aussi des objectifs à plus long terme afin de procéder à des réductions encore plus importantes au cours des prochaines décennies. Atteindre ces objectifs nécessitera des avancées technologiques radicales soutenues par des politiques gouvernementales efficaces ainsi que par le leadership du secteur privé.

(…) Organisée en sessions axées sur des secteurs clés, la conférence mettra en lumière le potentiel et les insuffisances de la technologie, les mesures novatrices du secteur public et du secteur privé, ainsi que les besoins cruciaux en matière de politiques.

(…) Grâce à cette combinaison de perspectives sectorielles et transversales, la conférence contribuera à identifier les approches et les actions concrètes devant être impérativement mises en œuvre dès à présent et jusqu’en 2050 tant sur le plan des technologies que des politiques.

(…) Le programme de la conférence sera conçu de manière à établir des liens entre la recherche, les affaires et les politiques, dans le but de définir des solutions aux différents défis sectoriels et régionaux en ce qui a trait aux changements climatiques. »

Nouveaux instruments financiers

A ce stade on note aussi la multiplication de nouveaux instruments financiers, les « Private Equity Funds », fonds d’investissement privés dont l’intervention massive se justifie par l’échec du modèle d’intervention financier initial, qui était lié au modèle de l’opérateur privé, financé sur fonds publics dans le cadre de PPP.

Ces « Private Equity Funds » assurent ainsi la croissance, à l’image d’Internet, de véritables « start-ups » technologiques, qui développent, entre mille exemples, un sel qui, massivement épandu à la surface d’une retenue d’eau, va réduire de 30% le processus d’évaporation. Ce qui va permettre dans ce cas de figure de maximiser l’usage de la ressource pour l’irrigation agricole…

Cette refonte du modèle initial de la libéralisation du marché de l’eau est apparue clairement au dernier Forum mondial de l’eau de Mexico en mars 2006, lors duquel les opérateurs privés et les IFI qui les soutiennent ont clamé que c’était à la puissance publique d’assurer le financement et le « monitoring » de la gestion de l’eau, dont ils ne se présentent plus désormais que comme de modestes opérateurs, intervenant dans le cadre de « concessions light ».

L’importance nouvelle apportée à l’assainissement, et non plus seulement à l’accès à l’eau, confirme et conforte ce virage stratégique.

En témoignent les deux thèmes majeurs retenus par les protagonistes de la réunion de préparation du prochain Sommet mondial de l’eau qui doit se tenir à Istanbul en 2009, réunion tenue en mars 2007, sous l’égide du « Partenariat français sur l’eau », dont les transnationales françaises sont les chefs de file.

Le premier d’entre eux est intitulé « eau et changement climatique » : sécheresses, inondations, gestion intégrée de la ressource en eau (GIRE), protection de la ressource,

Le second « eau et sécurité » : santé, assainissement, écosystèmes.

A quoi il faut ajouter d’autres thèmes moins prioritaires, comme « eau et agriculture » ciblant les responsables religieux et les jeunes, ainsi que « grands barrages » et « gestion transfrontalière ».

Patriotisme biocapitalistique

La France, dont les entreprises Veolia et Suez sont devenues les leaders mondiales des services de l’eau et de l’assainissement, a par ailleurs adopté le 20 décembre 2006 une nouvelle loi sur l’eau qui incarne, jusqu’à la caricature, cette nouvelle offensive d’appropriation marchande de la gestion de l’eau. Cette loi démantèle en effet des pans entiers de l’action publique dans le secteur de l’eau et de l’assainissement afin d’ouvrir de nouveaux marchés aux entreprises dominantes du secteur.

Dans un autre registre, l’intense lobbying qui vise à promouvoir les concepts de « coopération décentralisée » en faveur des pays du Sud, coopération financée par un prélèvement autoritaire sur la facture d’eau des usagers, dont la version française s’incarne dans la loi « Oudin-Santini », a pour objectif stratégique de conférer aux transnationales l’image d’acteurs fortement impliqués dans des démarches humanitaires auxquelles adhèrent gouvernements, services publics et société civile des pays développés.

Dans le cas français cette dynamique revêt l’allure d’une véritable caricature, avec la création, financée par le ministère de l’Ecologie et du développement durable (MEDD), le ministère des Affaires étrangères (MAE) et l’Agence française de développement (AFD) d’une « Coalition française des ONG », qui s’inscrit dans la stratégie portée par les acteurs du « Partenariat français pour l’eau », dont les transnationales françaises du secteur sont les chefs de file.

Si cette nouvelle offensive massive, puissamment relayée en France et à l’échelle internationale par tous les tenants de ce biocapital en émergence atteint ses objectifs, ceux d’une mainmise graduelle sur la ressource en eau elle-même, ses effets seront sans commune mesure avec ceux de la première phase de libéralisation des « marchés de l’eau » initiée à l’orée des années 80 du siècle dernier.

Note 1 :

Le directeur général de Suez environnement, M. Jean-Louis Chaussade, a publié le 4 avril 2007 dans le quotidien économique français La Tribune un « point de vue » confirmant… au mot près, les perspectives évoquées ci-dessus.

La Tribune, 4 avril 2007.

"Le point de vue de… Jean-Louis Chaussade (*)

(*) Directeur général Suez Environnement.

"La pénurie d’eau n’est pas une fatalité

"Plus d’un tiers des terres du globe sont actuellement arides ou semi-arides et manquent d’eau. Des changements climatiques importants sont à craindre dans un contexte de réchauffement de la planète. Les doubles explosions dont nous sommes témoins, démographique et économique, entraînent à elles seules une augmentation de la consommation d’eau telle que, d’ici à 2050, 40% de la population mondiale souffrira de stress hydrique. Le stress hydrique, dernière étape en quelque sorte avant la pénurie, est un réel obstacle au développement, avec des impacts réels sur la sécurité alimentaire, la pollution, les pertes économiques, sans parler des conflits potentiels pour garder la maîtrise de la ressource.

"Les faits sont là et l’opinion publique s’empare du sujet. Mais dans ce domaine la surenchère alarmiste ne mène à rien et la fatalité n’a pas sa place. L’eau, contrairement aux ressources carbonées comme le pétrole, ne disparaît pas. Le cycle de l’eau est immuable même s’il peut être menacé. La planète dans son ensemble ne manque pas d’eau douce. Les ressources, en revanche, sont inégalement réparties et leur accès est conditionné en majorité par la gestion qu’on lui apporte. Ce qui implique des choix politiques, environnementaux et idéologiques.

"Solutions technologiques

"Face aux problèmes de stress hydrique et au risque de pénurie, la gestion raisonnée est une des solutions. Le savoir-faire dont nous disposons aujourd’hui permet de fournir des réponses technologiques pertinentes et soutenables, capables d’apporter une approche rationnelle et experte de la gestion de la ressource en eau.

"La réutilisation des eaux usées, le dessalement de l’eau de mer, la réalimentation artificielle des nappes phréatiques et bien sur l’optimisation des réseaux de distribution par la mise en œuvre de systêmes de détection de fuites sont autant de solutions à partir desquelles les différentes collectivités peuvent s’engager selon leurs besoins. Il s’agit donc de volonté et d’action.

"La réutilisation des eaux usées est une des options emblématiques de la gestion raisonnée de la ressource en eau.

"Actuellement, dans le monde, 165 milliards de mètres cubes d’eaux usées sont collectées et traitées, et parmi elles seulement 2% sont réutilisées. Aujourd’hui, une fois traitée dans les stations d’épuration, l’eau est rejetée dans le milieu naturel, alors qu’elle pourrait être utilisée comme une ressource alternative. Mais le développement des technologies de pointe, notamment la mise en œuvre de procédés utilisant des membranes d’ultrafiltration, permet désormais de mettre à disposition une eau traitée dont la qualité rend possible la réutilisation à des fins agricoles et industrielles. Un tel procédé réduit d’autant les prélèvements directs dans la ressource, la réservant à la consommation humaine.

"En France, une station comme celle de Grasse est une première. Cette usine de traitement des eaux usées utilise une technologie d’ultrafiltration membranaire qui permet d’atteindre une telle qualité de rejet qu’en quelques mois la biodiversité a repris ses droits. La qualité de l’eau ainsi traitée permettra même à terme d’envisager une utilisation pour l’entretien des golfs et des espaces verts. C’est ce modèle qui a inspiré le gouvernement du Qatar pour deux usines du même type, actuellement en construction.

"Autre solution pour parvenir à une gestion raisonnée de la ressource en eau : le dessalement, qui s’impose aujourd’hui comme une option pertinente. Il permet un accès illimité à la ressource en eau. Dans le monde 40% de la population vit à moins de 100 kilomètres de la mer et, sur 70 villes de plus de 1 million d’habitants sans accès direct à des ressources supplémentaires en eau douce, 42 sont situées sur la côte. Rendu accessible par la baisse des coûts de production, le dessalement par osmose inverse est une solution peu gourmande en énergie et compatible avec des énergies renouvelables telles que les éoliennes.

"Un choix politique

"Les pénuries d’eau ne sont pas une fatalité. Le dessalement, la réutilisation des eaux usées, les mesures de préservation des réseaux, les techniques de réalimentation de nappes phréatiques sont des solutions sur mesure qui, adaptées aux contextes locaux, permettent une maîtrise raisonnée de nos cycles de l’eau tout en préservant les milieux naturels.

"C’est le progrès technique qui peut vaincre les pénuries d’eau, mais c’est évidemment aux pays et aux régions de se saisir de cette offre technologique en fonction de leurs besoins, au travers de partenariats aboutis. C’est ainsi que l’ensemble des parties prenantes parviendra à répondre efficacement aux défis de la gestion de l’eau. »

Note 2 :

L’hebdomadaire français Paris-Match annonçait en Une de son édition du 14 juin 2007 la publication d’un « grand reportage » intitulé : « Sauver l’eau, le grand défi du XXIème siècle »

« Sécheresse, pollution, accroissement de la population, l’or bleu va cruellement manquer dans les prochaines années. Et devenir l’enjeu de conflits mondiaux.

« Cette eau-là pourrait bientôt mettre le feu au Moyen-Orient. La Turquie a construit le barrage Atatürk sur l’Euphrate pour irriguer le Sud-Est anatolien. Au détriment de la Syrie et de l’Irak qui se voient confisquer une part importante des flots de ce fleuve mythique, berceau de la civilisation. Un jour, peut-être, ses deux voisins interpréteront l’entreprise turque comme un acte de guerre. C’est loin d’être la seule région du monde où le contrôle de l’eau est devenu une source de conflits : l’Onu en a identifié 300. De plus en plus rare pour une population en constante augmentation, de plus en plus chère, de plus en plus sale, au point de devenir mortelle pour les plus fragiles, accaparée et dilapidée par les pays riches, désespérément revendiquée par les contrées pauvres, l’eau est déjà un problème bouillant pour les nations du IIIe millénaire. C’est l’humanité tout entière, solidaire, qui devra trouver des solutions radicales. Ou ce sera la catastrophe. »

En conclusion d’un portfolio présentant un « tour du monde » des situations les plus alarmantes, l’hebdomadaire publiait aussi une interview reprenant, cette fois pour le compte de Veolia Eau, les grandes thématiques qui sont au fondement du nouveau « bio-pouvoir » :

« Antoine Frérot, directeur général de Veolia Eau, recense les solutions possibles et salue la vigilance de la France : déjà nous savons faire de l’eau potable avec des eaux usées »

PM : L’humanité pourra-t-elle toujours faire face à la pénurie d’eau ?

Antoine Frérot : On entend dire que les êtres humains vont avoir de moins en moins d’eau. Mais ce n’est pas exact, il y aura toujours autant d’eau ! La molécule d’eau est stable. L’eau ne s’envole pas, elle ne se perd pas, elle retombe dans le sol. Alors, c’est vrai que l’évolution du climat change sa répartition, mais à une échelle de temps extrêmement longue. En revanche, la tension viendra inévitablement. L’augmentation du nombre d’êtres humains et leur concentration dans les villes posent des problèmes de plus en plus complexes. Il faut aussi prendre en compte les nouveaux usages de l’eau liés au tourisme par exemple. Plus il y a de gens, plus il faut de l’eau, et plus ils la polluent. Ce qui est d’autant plus compliqué à gérer dans les pays pauvres.

Mais quelles sont les solutions pour remédier à cette demande croissante d’eau ?

Il y a d’abord des nouvelles ressources. Nous n’avons pas encore inspecté tous les sous-sols. Nous pouvons aller puiser de l’eau dans les nappes profondes, à 200 ou même 300 mètres, comme nous le faisons à Narbonne, si ces nappes se régénèrent. Nous avons aussi une formidable réserve d’eau de mer que nous savons dessaler. Cela coûte deux fois plus cher que d’utiliser une eau douce polluée mais, il y a vingt ans, c’était vingt fois plus. Maintenant, nous butons sur la poursuite de la réduction des coûts car le dessalement nécessite de l’énergie. Notre principe de dessalement thermique (principe de la bouilloire… mais une bouilloire très sophistiquée !) ou celle d’osmose inverse (principe du tamis) sont à la portée d’un certain nombre de pays et de collectivités comme les pays du Golfe, l’Espagne, l’Algérie, la Chine, ou d’Etats comme la Floride ou la Californie. La capacité de production d’eau dessalée pourrait être multipliée par deux dans les dix années qui viennent. Et surtout nous savons aujourd’hui faire une eau totalement potable à partir d’eaux usées. Elles constituent une ressource alternative. Elles se trouvent là où on en a besoin et plus on en consomme, plus on en a. Il serait possible de fonctionner quasiment en circuit fermé et de faire face à la demande croissante. C’est moins cher que le dessalement et nous ferons encore des progrès pour réduire ce coût.

Mais n’y-a-t-il pas des réticences insurmontables à consommer ces eaux usées ?

En France nous avons une vingtaine d’exploitations de recyclage d’eaux usées (plus de 120 dans le monde) mais seulement à usage d’irrigation (agricole, de golfs ou d’espaces verts) ou industriel. Il y a dans le monde deux endroits où l’on boit en partie de l’eau recyclée : en Namibie et à Singapour. Mais, c’est vrai, il y a parfois une réticence des habitants. En Australie, les autorités ont préféré demander l’avis de la population par referendum avant de recourir à l’eau recyclée. Et la population l’a rejetée. La sécheresse qui perdure depuis trois ans dans ce pays ne va sans doute pas leur laisser le choix. Et nous venons d’obtenir un gros projet de recyclage des eaux usées pour une grande agglomération de ce pays.

Apparemment Veolia Eau n’a pas de soucis à se faire pour son avenir ?

Cela fait plus de dix ans que nous mettons en jeu des solutions techniques qui nous permettent d’apporter localement les bonnes réponses selon les besoins des villes. Le traitement des eaux usées présente de grandes perspectives de développement. Techniquement, nous savons faire de l’eau potable, sans aucun danger. Reste à lever les craintes psychologiques. Et dans le domaine du dessalement, il y a aussi de nombreux projets en cours. A Bahrein, nous sommes en train de construire la plus grosse usine du monde à partir d’une technologie thermique (Med) permettant des économies d’énergie. Par ailleurs, dans l’émirat d’Oman nous démarrons la construction d’une nouvelle grosse usine de dessalement. A Ashkelon, en Israël, l’usine achevée à la fin 2005 produit 100 millions de mètres cubes par an, soit la consommation d’une population de 1,2 million d’habitants. Et nous attendonc beaucoup du marché chinois. La France est leader mondial avec Veolia Eau comme numéro un. Nous sommes présents en permanence dans 60 pays et intervenons dans une centaine au total. Le marché du dessalement croît de 25% par an. C’est certain, la France possède le savoir-faire pour répondre aux problèmes nouveaux de la gestion de l’eau.

Vous retraitez, vous dessalez, mais pourra-t-on, un jour, créer de l’eau ?

On ne va pas inventer de l’eau ! Quoique les scientifiques sachent la synthétiser mais avec un coût exorbitant. Il y a d’autres idées à développer ! Comme le système qui consiste à réinjecter les eaux recyclées dans le sol. Le sol continue le travail naturel d’épuration, et c’est aussi une solution de stockage et de réalimentation des nappes. La réinfiltration se fait déjà à Berlin, où plus d’un tiers de l’eau distribuée est issue de ce procédé.

Quelles sont les perspectives pour les pays les plus asséchés ?

Certaines villes du Golfe transportent de l’eau mais c’est très cher. Nous travaillons sur un projet d’usine de dessalement en Afrique, qui fonctionnerait à partir d’énergie solaire. Mais si certains pays connaissent des problèmes importants d’approvisionnement en eau, en réalité ils ne manquent pas tous d’eau. Par exemple, savez-vous que le Congo est le pays le plus arrosé du monde, et que le Niger souffre avant tout d’un problème d’infrastructures ? Nous participons à des projets aidés par la Banque mondiale ou d’autres organismes publics internationaux dédiés au développement.

Et dans nos pays riches, avons-nous suffisamment compris que l’eau valait de l’or ?

Ca dépend où ! En France, oui. Il y a vingt-cinq ans, chaque Français consommait 200 litres par jour, contre 135 litres aujourd’hui. Maintenant, les gens réparent les fuites ! Aux Etats-unis, la consommation est de 400 litres par jour et par personne. Au Niger, c’est 30 litres par personne, et encore dans les villes. La prise de conscience est en route : l’eau ne vaut pas de l’or, mais c’est un bien précieux qu’il faut préserver du gaspillage et de la pollution.

Prix du mètre cube d’eau

En France, le prix du mètre cube d’eau est en moyenne de 2,95 euros. Il varie de 2,50 euros en Auvergne et en Rhône-Alpes à 4 euros dans le Morbihan. Aux Etats-unis, il coûte 0,50 euro ; au Danemark et en Allemagne, 1,70 euro. Au Niger, un mètre cube d’eau tiré à une borne fontaine vaut 0,18 euro alors que 1 mètre cube d’eau tiré au robinet d’un particulier vaut 0,35 euro. La même quantité achetée à un vendeur dans le bidonville de Guatemala City coûtera environ 2,60 euros. Le coût du dessalement a chuté, passant de 1,50 euro à 0,37 euro en dix ans. »

Marc Laimé

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