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Le Liban dans la tourmente

par Alain Gresh, 23 mai 2007

15 000 Palestiniens ont fui le camp de Nahr Al-Bared (nord du Liban) depuis l’instauration d’un cessez-le-feu le 22 mai. Les combats entre l’armée libanaise et l’organisation Fatah al-Islam ont duré trois jours et fait près de 70 morts. La correspondante du Monde (daté 22 mai) à Beyrouth notait la violence des affrontements dans son article « Les combats ont repris au Liban entre l’armée et le Fatah Al-Islam ». « Après quelques heures d’une relative accalmie, des tirs de chars et d’artillerie opposaient de nouveau, dans la matinée, les soldats libanais aux combattants de ce groupe radical retranchés dans le camp de réfugiés de Nahr Al-Bared, où vivent 40 000 réfugiés palestiniens. »

« Face à cette situation, le Fatah Al-Islam a promis, mardi matin, de se battre jusqu’à "la dernière goutte de sang" si l’armée poursuit ses bombardements. "La balle est dans le camp de l’armée, ce sont eux qui ont commencé les combats, et ce sont eux qui devront les arrêter", a déclaré Abou Salim Taha, le porte-parole du Fatah Al-Islam. Interrogé sur le nombre de victimes dans les rangs du groupe, il a répondu : "Ce n’est pas un problème pour nous, le problème est que les civils ne peuvent supporter cela plus longtemps." »

L’organisation Fatah Al-Islam a revendiqué les « deux attentats à la bombe qui ont eu lieu dimanche et lundi à Beyrouth. Le premier s’est produit dans le quartier chrétien d’Achrafié ; une personne a été tuée et dix autres blessées. Dans le second, qui a eu lieu lundi soir à Verdun, un quartier à majorité musulmane de la capitale libanaise, dix personnes ont été blessées ».

Pierre Barbancey, envoyé spécial de L’Humanité au Liban, écrit, dans la livraison du 21 mai, un article intitulé« Violents combats au Liban Nord ». « Hier, à l’aube, de violents combats ont éclaté autour du camp de réfugiés palestiniens de Nahr al-Bared, près de Tripoli (nord du Liban) entre les Forces de sécurité libanaises (FSI) et un groupuscule palestinien, le Fatah al-Islam. En milieu d’après-midi, les autorités libanaises faisaient état d’au moins vingt personnes tuées (dont onze soldats et sept Palestiniens). Selon les témoignages que l’Humanité a pu recueillir, tout a commencé lorsque des militants du Fatah al-Islam ont attaqué les trois check-points tenus par l’armée libanaise à l’entrée du camp (aux termes d’accords libano-palestiniens, les forces de l’ordre libanaises ne sont pas autorisées à entrer à l’intérieur des camps de réfugiés), peut-être pour venir en aide à un autre groupe encerclé dans un immeuble dans un quartier de Tripoli. Les assaillants, armés de lance-roquettes, ont d’abord pris le contrôle des points de passage mais ils ont vite été délogés par les militaires - épaulés par les 5e, 8e et 10e brigades, équipées de blindés - aux entrées nord et sud, les combats se concentrant sur Mhamra, à l’est. »

(...) « Bien que le Fatah du président palestinien Abbas reste majoritaire dans les camps de réfugiés, Nahr al-Bared est le bastion du Fatah al-Islam, un groupuscule composé de Palestiniens et d’autres nationalités arabes, qui avait annoncé sa création en novembre 2006. Il serait issu du mouvement palestinien prosyrien Fatah Intifada, opposé au Fatah. Le chef de l’OLP au Liban, Sultan Aboul Aynaïn, a immédiatement apporté son "soutien à l’armée libanaise", appelant à ne pas faire porter aux Palestiniens la responsabilité des actions du Fatah al-Islam, qui reconnaît des liens idéologiques avec le réseau d’al Qaeda. « Ces gens (le Fatah al-Islam) utilisent le camp de Nahr al-Bared pour mener des opérations à des fins de politique régionale qui ne concernent pas les Palestiniens », a ajouté Sultan Aboul Aynaïn. »

Si le cessez-le-feu semble tenir pour l’instant, il est encore fragile. L’attitude de l’armée libanaise a suscité de vives réactions dans les divers camps palestiniens du Liban (rappelons qu’environ 400 000 Palestiniens sont réfugiés dans ce pays), comme le note Mouna Naïm dans son article du Monde, « Au Liban, des milliers de réfugiés fuient les bombardemants de Nahr Al-Bared ». « Le sort des populations civiles à Nahr Al-Bared a suscité une effervescence dans certains des onze autres camps de réfugiés palestiniens du pays. Des manifestations dénonçant l’armée et le gouvernement libanais ont été organisées, notamment dans le camp de Baddaoui, qu’une dizaine de kilomètres sépare de Nahr Al-Bared, ainsi que dans ceux, méridionaux, d’Aïn Al-Héloué au Liban-sud, foyer de plusieurs formations djihadistes, et de Rachidiyé. »

Les combats ont mis en lumière la situation souvent terrible des dizaines de milliers de réfugiés palestiniens au Liban. Ostracisés par les autorités libanaises depuis le départ des combattants palestiniens de l’OLP en 1982-1983, soumis à des lois racistes, ils vivent dans une situation misérable qui a favorisé un repli des camps sur eux-mêmes, la pauvreté, le recours au religieux et l’installation de groupes se réclamant de l’islam le plus conservateur. On pourra lire avec profit de ce point de vue le livre de Bernard Rougier, Le Jihad au quotidien (PUF, 2004), ainsi que son article dans Le Monde diplomatique de janvier 2007, « Islamismes sunnites et Hezbollah ». Dans « la guerre civile silencieuse » qui met aux prises le gouvernement de Fouad Siniora (appuyé par une majorité des sunnites, de druzes et, sans doute, la moitié des maronites), et l’opposition (composée essentiellement du Hezbollah et du parti maronite de Michel Aoun), plusieurs commentateurs ont noté que le parti du Futur de Saad Hariri, sunnite, n’avait pas hésité à financer des groupes fondamentalistes libanais, notamment dans le nord du Liban.

Rappelons ce que je j’écrivais le 15 mars 2007, dans « Agitations diplomatiques au Proche-Orient » : « Les autorités libanaises annoncent l’arrestation et les aveux de sept membres de l’organisation islamiste Fatah Al-islam, impliqués dans les attentats du 13 février contre des autobus. Bien que l’organisation ait démenti ces accusations, elles alimentent l’idée d’un développement de groupes radicaux liés à Al-Qaida au Liban. « La nébuleuse Al-Qaeda met un pied au Liban », titre Libération (14 mars), sous la plume de son envoyée spéciale Isabelle Dellerbale. Le célèbre journaliste américain Seymour Hersh avait accusé il y a quelques semaines le gouvernement libanais et les autorités américaines de s’appuyer sur de tels groupes. Il revient sur le sujet dans un entretien accordé au site Antiwar.com et à Charles Goyette, « Why Is the US Backing Sunni Jihadists ? »

Dans son éditorial du Figaro du 22 mai, « Nouvelle épreuve au Liban », Pierre Rousselin met en cause, comme beaucoup d’autres, le régime syrien dans les derniers événements.

« Au Liban, chaque fois que les intérêts de la Syrie sont menacés, une flambée de violence met en péril un gouvernement fragilisé à l’extrême depuis la démission des ministres de l’opposition prosyrienne en novembre dernier. Il a suffi que l’on se remette à évoquer, à l’ONU, la mise en place du tribunal spécial chargé de statuer sur l’assassinat, en 2005, du premier ministre Rafic Hariri pour que cela déclenche une nouvelle poussée de fièvre. »

Pourtant, il souligne en même temps que l’on ne peut réduire les affrontements à des ingérences de Damas.

« Le Fatah al-Islam, à l’origine des troubles, est un groupe de djihadistes influencés par al-Qaida. Son entrée en scène suscite une très vive inquiétude parce qu’il est fortement armé et bien entraîné, parce qu’il disposerait de partisans disséminés dans le pays et parce qu’il peut compter, quoi qu’en disent les démentis de Damas, sur de solides appuis dans les services syriens.

Lié à al-Qaida, le groupe Fatah al-Islam témoigne de l’extension au Liban du combat des djihadistes d’Irak, d’Afghanistan et d’ailleurs. Retranché dans le camp palestinien de Nahr al-Bared, il cherche à réveiller l’antagonisme ancien entre Libanais et Palestiniens. »

De Gaza au Liban, l’extension de l’influence de petits groupes qui se réclament d’Al-Qaida devrait inquiéter et rappeler cette évidence : la non résolution des conflits, et en premier lieu du conflit palestinien, génère le chaos et l’extrémisme. Le nouveau paysage proche-oriental est plus qu’inquiétant.

Bien des gens ont intérêt à l’instabilité au Liban. Le gouvernement syrien sans doute, mais aussi la majorité libanaise actuelle (qui cherche à pousser la communauté internationale à une résolution autoritaire pour créer un tribunal international sur l’assassinat de Rafic Hariri), le gouvernement israélien, les Etats-Unis, etc. Mais, contrairement à ce qui s’écrit généralement, ce qui se passe dans ce pays n’est pas un affrontement entre, d’un côté, le peuple libanais allié à la communauté internationale et de l’autre la Syrie avec ses « agents ». Se superposent plusieurs affrontements, dont le premier divise le Liban lui-même en deux camps d’à peu près égale importance. En privilégiant l’un des deux, la France fait-elle le bon choix ?

Le Rap islamisé.

Dans sa chronique pour Le Figaro du 18 mai, « Le réveil de la France immobile », Ivan Rioufol, écrit : « Reste cette inquiétude sur l’avenir de la France, esquissée par Jacques Chirac dans son discours d’adieu : « Une nation c’est une famille (...) Restez toujours unis et solidaires (...) Nous devons, dans le dialogue, dans la concorde, nous retrouver sur l’essentiel ». Propos à rapprocher de ceux de Nicolas Sarkozy, voyant dans le 6 mai la victoire « de la France qui ne veut pas mourir ». Mais qu’est-ce qui pourrait menacer la nation dans son unité et son existence, sinon l’encouragement d’un multiculturalisme déraciné pouvant conduire à l’éclatement du pays ? En rendant plusieurs fois hommage à l’histoire et à ses héros, mercredi, Sarkozy a rappelé la place de la mémoire collective et de la fierté française dans la réflexion sur l’identité nationale. Mais cet éveil oblige aussi à regarder les réalités en face. Ainsi, dans Israël Magazine, le chanteur Doc Gynéco assure : « Le rap s’est aujourd’hui islamisé. (Les rappeurs) sont en guerre : le rap, c’est un peu le bras musical armé du djihad. » Si ce que dit Doc Gynéco est vrai, il faut le féliciter pour son courage, et le soutenir. »

Message de Sarkozy à Ben Ali.

Comment personne ne l’ignore, le régime tunisien s’apparente largement à une dictature, même si certains n’hésitent pas à en faire l’apologie. Selon une dépêche de l’AFP du 23 mai, le président français Nicolas Sarkozy a souhaité dans un message à son homologue tunisien Zine El Abidine Ben Ali que la coopération bilatérale « puisse se développer dans tous les domaines d’intérêt commun », notamment en Méditerranée. « Dans cette entreprise ambitieuse et tellement nécessaire (une union de la Méditerranée), je sais que je pourrai compter sur votre soutien et votre détermination », a souligné M. Sarkozy avant d’exprimer sa « très haute considération » pour M. Ben Ali. Le message ne dit pas si cette union de la Méditerranée prendra en compte les droits de la personne régulièrement bafoués à Tunis. On attend les précisions du nouveau ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner.

Alain Gresh

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