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Afghanistan, Irak : quand la mort vient du ciel

par Alain Gresh, 3 juin 2007

2000 civils irakiens ont été tués durant le mois de mai, selon le gouvernement de Bagdad. Ces chiffres sont supérieurs de 30% à ceux du mois d’avril. Le nombre de civils tués en Afghanistan est aussi en augmentation. Un des aspects méconnus de ces guerres est le rôle de l’aviation dans les opérations. « Si l’OTAN poursuit sa politique de raids aériens durant toute l’année 2007, elle perdra la guerre contre les talibans », affirme Ahmed Rashid, un journaliste pakistanais, dans un entretien à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, traduit en français sur le site Bassirat.net, le 31 mai. Très favorable à un engagement militaire plus soutenu des Occidentaux dans ce pays, il écrit toutefois : « Par ses frappes aériennes, l’OTAN s’est aliéné le sud de l’Afghanistan et elle a totalement modifié la situation. Elle cherchait naturellement à protéger ses propres soldats, mais elle a désormais besoin de troupes supplémentaires au sol. Si l’OTAN poursuit sa politique de raids aériens durant toute l’année 2007, elle perdra la guerre contre les talibans. »

Selon un article publié par CBS News, le 1er juin, « U.S. General Defends Afghan Airstrikes », le président afghan Hamid Karzai, réagissant au nombre de civils tués dans des opérations aériennes et terrestes des Etats-Unis, a déclaré, le 2 mai, que son gouvernement « ne pouvait plus longtemps accepter » ces pertes. Le 8 mai, la chambre haute du parlement afghan a adopté une résolution appelant à un cessez-le-feu et à des négociations avec les talibans.

Selon Bennett, le chef de la section des droits humains de la mission d’assistance des Nations unies à l’Afghanistan, entre 320 et 380 civils auraient été tués durant les combats des quatre derniers mois.

Philippe, de Tours, signale aussi l’article de Antiwar.com, du 25 mai, « The Air War in Iraq Uncovered », de Nick Turse et Tom Engelhardt

Au cours des derniers mois, alors que les talibans renaissent en Afghanistan et que les troupes de l’OTAN manquent de moyens, « on a fait de plus en plus appel à la puissance aérienne et les pertes civiles ont augmenté. Et les Afghans ont été de plus en plus en opposition à cette politique ». Les auteurs indiquent également que, en Irak, l’armée américaine fait aussi de plus en plus appel à l’aviation, avec les pertes civiles qui s’ensuivent.

Cela me remet en mémoire le livre de Sven Lindqvist Maintenant, tu es mort. Histoire des bombes, publié par le Serpent à plumes, et dont Le Monde diplomatique a publié des bonnes feuilles sous le titre « La mort venait du ciel ». L’auteur rappelle l’une des premières utilisations de la guerre aérienne, en 1922, en... Irak.

« En février 1923, Lionel Charlton, officier d’état-major récemment arrivé à Bagdad, visite l’hôpital de Diwaniyya. S’attendant à des diarrhées et à des jambes cassées, il se trouve tout à coup devant le résultat d’une frappe aérienne britannique. Et la différence entre une matraque de police et une bombe vous saute aux yeux assez brutalement.

En tant qu’officier, s’il s’était agi d’une guerre ou d’une insurrection ouverte, il n’aurait fait aucune objection, écrit-il dans ses mémoires, mais ce "bombardement aveugle d’une population avec le risque de tuer des femmes et des enfants, tenait du massacre gratuit".

Bientôt, un nouveau cheikh lève l’étendard de la révolte et il doit être puni. Mais le frapper, lui précisément, d’une hauteur de 1000 mètres, n’est pas facile. (...) A-t-on le droit de faire payer les crimes d’un seul homme à une ville entière ? Et d’ailleurs, est-il vraiment un criminel ? (...) Bombarder une ville sur de telles bases est une forme de despotisme qui risque de faire encore plus détester les Britanniques. (...)

Comme on pouvait s’y attendre, une vingtaine de victimes, femmes et enfants, périssent quand on bombarde le cheikh insurgé. Charlton n’en peut plus. Il demande à être relevé de son poste pour cas de conscience. Le quartier général l’envoie en Angleterre, où il est mis à la retraite d’office en 1928. »

Actions clandestines, fondamentalistes sunnites et Iran

Le Liban continue à être dans la tourmente et une discussion a eu lieu sur ce blog sur les origines du Fatah Al-islam et sur le financement de certains groupes fondamentalistes sunnites. Je verse une autre pièce au dossier, un article de David Samuels, « Grand Ilusions », paru dans The Atlantic Monthly de juin. Toutefois, et afin d’éviter toutes les théories complotistes, je tiens à préciser que ces informations sur l’aide apportée à certains groupes par les Etats-Unis et leurs alliés ne signifie pas que ces groupes ne soient pas aidés par ailleurs. On a déja vu des mouvements aidés par des puissances aux intérêts contradictoires. D’autre part, comme le rappelle un très intéressant article publié dans The New York Times du 31 mai, « Jihadist Groups Fill a Palestinian Power Vacuum », de Steven Erlanger et Hassan M. Fattah, les groupes djihadistes remplissent un vide de pouvoir, vide créé à Gaza par l’affaiblissement du gouvernement palestinien (accéléré par le boycott occidental) et à Ayn Al-Helweh, un camp du Sud-Liban, par la politique de discrimination systématique menée par les gouvernements libanais successifs depuis 1982 (et, aussi, par l’affaiblissement de l’OLP). Enfin, la détermination des combattants du Fatah Al-Islam ne se résume pas à l’argent qu’ils reçoivent ou aux manipulations dont ils peuvent être l’objet.

Revenons à l’article publié par The Atlantic Monthly. L’auteur écrit que, après la victoire des démocrates aux élections de novembre 2007 au Congrès, « deux camps se sont affirmés à Washington : l’un croyait en la possibilité d’un Etat stable et démocratique en Irak et insistait pour que l’administration soit dure avec l’Iran ; l’autre, dirigé par James Baker, voulait négocier avec l’Iran et la Syrie comme prélude à un retrait américain de l’Irak. » (...)

« Alors que le débat faisait rage entre les deux camps durant l’hiver, Rice et ses collègues de l’administration décidèrent de s’engager dans une troisième voie audacieuse et risquée : une campagne coordonnée, menée avec l’aide des services de renseignement de l’Arabie saoudite, de l’Egypte, de la Jordanie, d’Israël et des Emirats arabes unis. Alors que l’aile dure préférait une action militaire directe contre l’Iran, l’administration choisit un mélange plus subtil de diplomatie et de pressions économiques, d’exercices militaires à grande échelle, de guerre psychologique et d’actions clandestines. La facture pour les actions clandestines, qui comprennent le financement de mouvements confessionnels et paramilitaires en Irak, en Iran, au Liban et dans les territoires palestiniens, se monterait à 300 millions de dollars. Ils sont payés par l’Arabie saoudite et d’autres pays concernés du Golfe, pour lesquels un départ américain de l’Irak précipité et un Iran nucléaire signifieraient des problèmes. »

Et l’auteur de poursuivre :

« Des sources aux Etats-Unis et au Proche-Orient, familières avec les actions clandestines américaines pour repousser l’Iran, m’ont expliqué que ces efforts sont accompagnés par d’autres mesures, plus actives. Ils en veulent pour preuve une montée des actions de guérillas à l’intérieur de l’Iran, y compris l’attentat à Zahada, le centre économique du Balouchistan, qui a tué 11 soldats du corps d’élite de Gardiens de la révolution islamique le 14 février ; la mort mystérieuse d’un savant iranien, Ardashir Hosseinpour, qui travaillait sur l’enrichissement d’uranium à Ispahan ; la défection de l’ancien ministre de la défense, qui était aussi un officier des Gardiens de la révolution responsable de l’entraînement et de la fourniture de matériel au Hezbollah durant sa guerre contre Israël dans les années 1980. Les infrastructures de l’Iran pourraient aussi être un autre objectif. "Les gens ont tendance à se concentrer sur les installations nucléaires et la difficulté qu’il y aurait à les éliminer", m’a dit l’ancien secrétaire d’Etat George Shultz dans son bureau de la Hoover Institution à l’université de Stanford. "Mais il n’est pas très difficile de saboter les raffineries." »

Ces dernières informations recoupent celles que j’ai données dans mon envoi du 11 mai, « Compte à rebours en Iran », et qui sont aussi dans le numéro de Manière de voir, « Tempêtes sur l’Iran », publié par Le Monde diplomatique et disponible en kiosques.

Juin 1967 : Quarante ans plus tard.

Le numéro de juin du Monde diplomatique consacre cinq pages à la guerre israélo-arabe de juin 1967 : « Erreurs tactiques, choc de stratégies », par Henry Laurens ; « Même de Gaulle était isolé... », par Dominique Vidal et Alexis Berg ; « Une génération arabe traumatisée par la défaite », par Bassma Kodmani ; « Comment l’occupation a transformé Israël », par Meron Rapoport.

Le nécessaire dialogue avec la Syrie.

Le Conseil de sécurité des Nations unies a voté une résolution créant un tribunal international pour juger les assassins de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri (avec toutefois cinq absentions sur quinze, ce qui affaiblit considérablement la décision). Robert Malley et Peter Harling, de l’International Crisis Group, publient une opinion dans Le Monde du 2 juin, « Dialoguer avec la Syrie, une nécessité ».

« La France notamment semble aveugle : alors que Paris jouissait il y a peu d’excellentes relations avec la Syrie et d’un enracinement historique au Liban, ses positions reviennent à monter le Liban contre la Syrie et une moitié de la population libanaise contre l’autre. A mesure que la crise s’approfondit et que le Liban vacille, la France sacrifie toujours davantage son rôle de médiateur, pourtant indispensable à la stabilité d’un petit pays où tout repose sur de savants équilibres. C’est la position de la France qui en ressort affaiblie, et ce des deux côtés de la frontière. »

« Il est de toute façon illusoire de prétendre "sanctuariser" le Liban en y soutenant un gouvernement perçu comme hostile par la Syrie, qui dispose de capacités d’action sur le terrain libanais dépassant de loin celles des Etats occidentaux. La France doit tâcher de retrouver sa crédibilité en facilitant une redéfinition et une normalisation des relations entre ces deux voisins inextricablement liés. Bien sûr, il ne s’agit pas de donner à la Syrie un blanc-seing pour le Liban, où elle a recouru à des procédés impardonnables. » (...)

Alain Gresh

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