J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, je n’ai jamais pensé que le pétrole était la cause première de la guerre déclenchée par les Etats-Unis contre l’Irak en 2003. Du temps de Saddam Hussein, l’Irak exportait son pétrole et le vendait à des compagnies américaines : les Etats-Unis et les grandes compagnies contrôlaient le marché pétrolier (avec ou sans Saddam Hussein). Et ces compagnies n’ont joué aucun rôle dans l’escalade de propagande qui a mené à la guerre de 2003. Cette attaque contre l’Irak, en réalité, s’inscrivait dans la vision stratégique du président Bush, celle de la nouvelle guerre mondiale contre le terrorisme.
En revanche, il est évident que la richesse de l’Irak était un des éléments de la décision américaine. Et, depuis 2003, un des objectifs de Washington est d’imposer à l’Irak une loi pétrolière « libérale », qui ouvrirait le pays aux compagnies étrangères (il est toutefois douteux que, dans le contexte actuel, même si une telle loi était votée, les compagnies se précipitent : la situation sécuritaire est telle que peu de compagnies occidentales enverraient des cadres sur le terrain – à l’exception, peut-être, du Kurdistan irakien).
Dans un article de l’agence UPI du 9 juillet, Ben Lando note, ironiquement, que la nouvelle loi présentée par le gouvernement a uni tout le pays contre elle (« Iraq (near) united in opposition »). Le projet a « été dénoncé par les partis chiites et sunnites, qui ont promis de le défaire et menacé de faire que le parlement le rejette. Pour certains, ce projet affaiblit le gouvernement central et fait la part trop belle aux compagnies étrangères ». (...)
« Il y a bien plus de pétrole dans le sol que ce qui est produit maintenant en Irak et c’est pourquoi les Etats-Unis voient dans la loi un moyen pour un grand compromis, permettant à une entente de s’engager (entre sunnites, chiites et Kurdes). Le président Bush lui-même, comme l’ambassadeur Ryan Crocker, le vice-président Dick Cheney, le ministre de la défense Robert Gates, dans différentes réunions à Washington et à Bagdad, ont régulièrement poussé à l’adoption de la loi. » Celle-ci a été adoptée par le gouvernement le 3 juillet, mais elle suscite de nombreuses oppositions, notamment des syndicats, ainsi que d’experts irakiens du pétrole.
« “Les quatre dernières années ont vu des tentatives répétées de démanteler les bases de n’importe quelle organisation planifiée des ressources de la nation, pour la remplacer par des politiques de marché, déstabilisantes et fragmentées, qui se concurrencent les unes les autres et qui sont contraires à l’intérêt national”, affirme Tariq Shafiq, un Irakien vivant entre Amman et Londres, qui a été chargé au printemps dernier de rédiger la nouvelle loi. Son projet a été modifié dans les négociations et il s’oppose aux nouvelles propositions. »
La loi sera-t-elle adoptée par le parlement ? L’opposition très large, y compris des secteurs laïques, opposés à l’islamisme politique et à Al-Qaida ; elle se heurte aussi au mouvement de Sadr et à celle de l’Association des religieux musulmans (sunnite).
Antonia Juhasz, sur le site Alternet, publie le 14 juillet un article intitulé « Benchmark Boogie : A Guide to the Struggle Over Iraq’s Oil ». Elle rappelle l’histoire de cette loi et la manière dont elle a été portée depuis quatre ans par l’administration Bush.
Un an, déjà.
C’est le 23 juillet 2006, il y a un an, en pleine guerre du Liban, que j’ai commencé à tenir ce blog, avec un envoi, « Liban, la guerre a commencé ». J’ai expliqué rapidement ma démarche dans Pourquoi un blog sur le Proche-Orient ? J’écrivais : « Ce blog se fixe un double objectif :
— essayer de faire passer une information qui fait de plus en plus défaut dans les médias, où dominent le zapping et l’absence de mémoire. Replacer les faits dans leur contexte, dans la durée, permet de mieux saisir les évolutions et les changements ;
— rompre avec la vision dominante des médias, adopter une “manière de voir” qui ne soit pas seulement “occidentale”, mais qui tente aussi de comprendre le point de vue de l’autre, le point de vue des “Orientaux”. »
Y ai-je réussi ? C’est évidemment aux lecteurs de le dire. Durant cette année, j’ai envoyé environ 120 textes, soit un tous les trois jours. J’ai tenté de suivre les événements (y compris au Maghreb et dans le monde musulman), sans jamais courir après eux. J’ai voulu prendre le recul nécessaire.
J’ai été encouragé par le nombre de visites, ainsi que par les commentaires proposés. Certains d’entre vous ont contribué de manière très constructive, ajoutant des liens et des articles, effectuant de longues traductions, et je les en remercie. Quelquefois, rarement, j’ai supprimé certaines interventions qui me semblaient franchir la « ligne rouge » du racisme. J’ai préféré cette méthode à un débat « modéré ».
Il m’est arrivé de regretter le ton des débats. On peut être en désaccord, même fondamental, mais encore faut-il argumenter. Et l’invective n’est pas une argumentation. Comme je l’ai écrit, toutes les opinions (sauf le racisme) sont admissibles, encore faut-il qu’elles soient fondées.
Enfin, je rassure certains d’entre vous qui ont cru déceler dans telle ou telle de mes interventions mes « connexions » avec le chiisme, avec les Frères musulmans, avec le nassérisme, avec que sais-je encore. Je rappelle simplement ce que j’écrivais dans « Pourquoi un blog sur le Proche-Orient ? » :
« Il est difficile de prétendre à une vision “objective” des conflits au Proche-Orient. Nous sommes tous marqués par notre histoire, par nos origines, par nos engagements. Comme le prouve le conflit israélo-palestinien, on peut tirer des mêmes faits des points de vue radicalement opposés. Sans revenir sur ce que j’ai pu écrire ailleurs (lire les préfaces à Israël-Palestine, vérités sur un conflit et à L’islam, la République et le monde) je souhaite rappeler d’où je parle, quels sont mes convictions. Que le lecteur les accepte ou les refuse, qu’il en soit au moins informé. »
Kouchner, le Hamas et Al-Qaida
Bernard Kouchner a fait part mercredi 18 juillet de son désaccord avec son homologue italien Massimo D’Alema. Ce dernier avait affirmé que la politique d’isolement du Hamas par les Occidentaux risquait de pousser le mouvement palestinien vers Al-Qaida. « Je suis souvent d’accord avec mon ami Massimo D’Alema. Là, je ne le suis pas », a déclaré le ministre des affaires étrangères français à l’issue d’un entretien avec son homologue britannique, David Miliband. Le ministre français a déclaré que, certes, il y avait un risque grave si se poursuivait cette politique d’isolement mais que « le Hamas n’a pas attendu cette extrémité, la situation terrible de Gaza maintenant, pour avoir des contacts avec Al-Qaida ». Le ministre est-il vraiment informé de ces contacts ? On se souvient des attaques du numéro 2 d’Al-Qaida, Ayman Al-Zawahiri, contre le Hamas, coupable d’avoir participé aux élections de janvier 2006. En fait, ce que le ministre ne semble pas comprendre, c’est ce qu’expliquait un journaliste israélien : « Nous n’avons pas voulu le Fatah, nous avons eu le Hamas ; nous avons rejeté le Hamas, nous aurons Al-Qaida. » Cette « logique » occidentale qui donne une légitimité aux groupes les plus extrémistes, on la trouve à l’œuvre partout au Proche-Orient.
De l’autre côté
De l’autre côté, c’est le titre de la revue trimestrielle éditée par l’Union juive française pour la paix, qui en est à son troisième numéro. Celui-ci est consacré à « la religion sioniste » et s’ouvre sur un entretien avec le philosophe Yeshayahou Leibowitz réalisé par Eyal Sivan en 1992 et intitulé « L’exigence d’être héroïque s’appelle l’incitation à la révolte ». Divers textes reflètent la critique du sionisme, qui fut permanente parmi les juifs au cours de l’histoire : on lira notamment la déclaration du rabbin Sholem Ben Schneersohn de 1903, ainsi que le texte de Amnon Raz-Krakotzin. On lira, d’autre part, une intéressante analyse de la couverture par le quotidien Libération des guerres du Liban de 1982 et 2006.