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Lettre d’Athènes

Grèce, des incendies aux élections

par Valia Kaimaki, 4 septembre 2007

Choqués. Indignés. Et surtout, apeurés. Les Grecs sont appelés aux urnes alors que les dernières flammes des incendies dévastateurs de l’été s’éteignent et que l’on n’a pas encore commencé à faire face aux conséquences. Mais comment pourrait-on soulager la douleur provoquée par tant de vies perdues, tant de maisons détruites, réparer la peine de tant des familles meurtries par la disparition de leurs proches et de leurs biens ? Ne parlons même pas de la catastrophe écologique... Le Péloponnèse sera bientôt abandonné par manque, non de végétation, mais d’activités économiques viables.

Pour ceux qui, comme moi, ont vécu la catastrophe à travers la télévision, la terreur n’était pas moindre. Au contraire, le petit écran, qui d’ordinaire propose une image amplifiée des événements fondée sur l’émotion, a minimisé cette fois-ci la catastrophe — comme si, pensions-nous, il ne montrait pas tout. Il était d’ailleurs impossible de tout montrer, notamment la panique pure et simple créée par les dizaines de petits foyers qui surgissaient partout — vraiment partout, dans tout le pays — attisés par le souffle d’un vent meurtrier.

Au début, on nous cacha vraiment la vérité : à propos du site archéologique d’Olympie, le ministre de la culture évoqua « quelques arbres brûlés ». Ce propos, il lui fallut le « corriger », le jour même, quand la vérité éclata : ce lieu historique avait vraiment été atteint par le brasier. Fort heureusement, le musée et le stade ont été épargnés au dernier moment, grâce aux efforts des civils qui les défendaient.

Puis vint le mensonge grotesque de la « menace asymétrique ». Personne ne savait exactement ce que les autorités voulaient dire par là, sauf que l’expression évoquait le « terrorisme ». Aurions-nous été victimes d’un nouveau 11-Septembre à la grecque ? « Possible », susurrait-on... sans jamais nommer l’ennemi susceptible d’avoir conçu et réalisé ce complot. « Montrez-nous son visage », exigeaient les Grecs. Tant et si bien que cette théorie fit, si l’on peut dire, long feu...

Pendant ce temps, le feu consumait encore des milliers et des milliers d’hectares – au total, depuis le 24 août il a carbonisé le tiers du Péloponnèse.

Les pays européens ont envoyé de l’aide. Merci aux Français, aux Espagnols, aux Italiens, aux Roumains et à tant d’autres encore. Merci du fond du cœur... Nous n’aurions pas pu maîtriser le brasier sans eux. Car la Grèce n’a plus assez des pompiers, les autorités ayant favorisé l’embauche dans d’autres secteurs. Elle n’a pas non plus suffisamment d’avions, ayant préféré acheter des armes. Elle ne possède d’ailleurs plus de plan national de coordination en cas de catastrophes naturelles — le gouvernement a préféré jeter l’ancien, coupable d’avoir été conçu... par la majorité précédente. Les autorités n’ont même pas pensé à envoyer la troupe évacuer les villages et constituer des zones anti-feu dans les forêts. Il faut dire que le chef de l’armée avait démissionné à la veille de la catastrophe pour rejoindre les listes des candidats de la Nouvelle démocratie (ND), le parti au pouvoir.

Ou plutôt au pouvoir jusqu’au 17 août, date de la dissolution du Parlement. Depuis, la Grèce n’a plus de gouvernement — elle s’en est, hélas, rendu compte jour après jour. Et pourtant, théoriquement, les ministres sortants restent en place jusqu’à la mise en place des nouvelles autorités...

Une blague a circulé pendant les trois ans de pouvoir de la ND : « Le gouvernement fait semblant de gouverner et l’opposition fait semblant de s’y opposer. » Désormais, on n’ose plus la raconter, car c’est la vérité triste et meurtrière : le nombre de victimes de la catastrophe — naturelle et politique — atteint 65....

Au point qu’on n’est pas très sûr d’avoir envie d’aller voter. Les élections ne sont ni une compétition entre partis politiques, ni a fortiori une fête, pas même l’occasion de retrouver de vieux amis : ce scrutin a des allures de tragédie nationale.

Les sondeurs semblent perdus et tous les scénarios sont envisageables. Pour qu’un parti forme le gouvernement, il doit obtenir au moins 42 % des suffrages. La Nouvelle démocratie ne paraît pas en mesure d’atteindre ce seuil, mais le Pasok (socialiste) non plus, qui n’arrive pas à « profiter » de la colère généralisée. En revanche, le Parti communiste et Synaspismos, l’autre partie de la gauche – moins dogmatique et stalino-vieillotte que le PC officiel – sont donnés à la hausse. Un cinquième parti espère obtenir les 3 % nécessaires pour entrer au Parlement : le LAOS, un parti ultraconservateur et ultranationaliste.

L’heure des petits partis a-t-elle sonné ? Faut-il souhaiter la présence de cinq partis à l’Assemblée, dont qui un qui flirte avec le fascisme ? Nul ne le sait, car, durant notre courte démocratie d’après 1974, la Grèce n’a connu que des gouvernements forts, de droite ou de gauche (socialiste). De là à voter à nouveau pour l’un des deux ? Bien sûr, beaucoup de citoyens ne veulent plus de ce gouvernement ND incompétent, mais est-ce une raison suffisante pour introniser le Pasok ? Ce genre de questions explique pourquoi plus de 15 % des électeurs ne se décideront que le 16 septembre au matin.

Certains, sans doute, se laisseront séduire par les 3 000 euros que distribue le gouvernement à quiconque les demande en échange d’une simple déclaration sur l’honneur qu’il a subi des pertes durant cette catastrophe. Un vrai scandale, tout comme la venue de M. José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, deux semaines avant une élection critique. D’ailleurs, M. Martin Schultz, le président du groupe socialiste au Parlement européen, de passage à Athènes, avait assuré : « Il n’est pas question qu’il vienne. ». Et pourtant, quelques heures plus tard, le 1er septembre, M. Barroso survolait en hélicoptère les régions dévastées avec le premier ministre Costas Karamanlis. Une manière de soutenir un gouvernement vomi par la majorité des Grecs pour sa faillite dans cette épreuve.

Cette initiative du président de la Commission pose donc un problème à nous, les Grecs. Mais elle devrait scandaliser, au-delà, toute la société civile européenne : est-il acceptable que l’eurocratie intervienne dans les élections nationales pour soutenir ses amis politiques dans chaque pays ? La simple décence aurait dû amener M. Barroso à attendre le 17 septembre pour venir s’entretenir avec le premier ministre grec — le nouveau...

Ici, on reste sans voix. Sous le choc. Et avec une terrible impression d’impuissance. La seule manifestation à Athènes a été convoquée par blogs, messages SMS, méls, etc. Elle a rassemblé des milliers de jeunes gens habillés en noir. Ils ne criaient aucun slogan. Leur silence disait seulement leur tristesse. Notre tristesse à tous.

Valia Kaimaki

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