«J’ai encore reçu un coup de fil l’autre jour, raconte cette journaliste : un diplomate qui m’appelle sans raison, qui parle de la pluie et du beau temps et qui finit par me demander : “alors, tu as entendu la rumeur ?” » Pas besoin de précisions. En Egypte, les interrogations sur la santé du raïs se multiplient depuis quelques mois. Dans ce climat, le moindre bruit sur une incapacité à gouverner voire une disparition se répand comme une traînée de poudre.
Depuis un peu plus de deux semaines, la grande nouveauté est que ces bruits et les interrogations qu’ils suscitent ne sont plus cantonnés aux cercles autorisés : ils font la « une » des journaux et sont descendus dans la rue. Alors que la tension était à son comble, Hosni Moubarak a fait une apparition officielle, une inauguration quelconque sur la côte Nord, pour rassurer sur son état de santé et sa capacité à gouverner. Au quotidien pro-gouvernemental Al-Ahram, le président a donné une interview où il assure être en bonne santé et accuse les Frères musulmans d’avoir tout manigancé.
Dans Mounira, un quartier proche du centre-ville du Caire, les rues sont presque désertes en cette veille de ramadan. Wafaa, la quarantaine, se montre sceptique. « Comment peut on savoir si réellement il va bien ou pas ? ricane-t-elle. Pourtant cela concerne les citoyens. La santé du président nous regarde, d’elle dépend la stabilité du pays ».
Les autorités ont-elles été prises de court ? En tout cas leur réponse a mis un peu trop de temps à venir. Suffisamment pour que beaucoup s’interrogent sur l’origine de ces bruits et que la polémique enfle. Les Etats-Unis ? Le Hamas ? Le pouvoir lui-même ? Chaque camp accuse l’autre d’avoir voulu tâter le terrain. Ces règlements de compte ne font que renforcer l’idée que le sujet de la succession est, plus que jamais, à l’ordre du jour.
« En 2003, lorsque Moubarak a fait un malaise devant le Parlement en direct à la télévision les journaux même gouvernementaux en ont parlé », rappelle ce militant de la liberté de la presse. Selon lui la rumeur émane du pouvoir lui-même : « Un ballon d’essai qui permet à la fois de tester la réaction des Egyptiens, mais aussi celle de l’opposition : quel serait son comportement en cas de vacance subite du pouvoir ? »
Preuve que la question reste malgré tout sensible, Ibrahim Issa, rédacteur en chef d’Al-Destour, va être déféré devant une cour de sécurité de l’Etat pour « diffusion de fausses nouvelles pouvant causer des troubles à l’ordre public et nuire à la réputation du pays », un classique de la répression des journalistes qui peut lui coûter jusqu’à quatre ans de prison, sans appel. Le rédacteur en chef est le seul inquiété, et il paie évidemment son opposition systématique au gouvernement depuis quelques années. Dalal El Bizri dans un article du quotidien pan-arabe (et saoudien) Al-Hayat, souligne le manque de transparence qui amène à des situations comme celles de ces dernières semaines où les journaux égyptiens ont cité la presse israélienne qui abordait, elle, largement les interrogations sur la santé de Moubarak.
Dans ce salon feutré d’un grand hôtel du Caire, la question ne semble pas taboue pour M. Mahmoud Mohieddine, le ministre de l’investissement qui rencontre quelques journalistes en marge d’une conférence internationale qui célèbre les réformes économiques égyptiennes. « Le président n’a plus quarante ans », reconnaît-il simplement. « En cas de malheur, que Dieu me pardonne, il existe des règles et des mécanismes dans la Constitution qui visent à assurer la stabilité politique du pays », assure-t-il. Pour la plupart des observateurs, la suite est plus que prévisible : M. Gamal Moubarak, le fils cadet du président, et son ascension fulgurante au sein du Parti national démocratique (PND) l’annonce : il succédera à son père. Les amendements constitutionnels du début de cette année ont écarté les autres options. L’interdiction d’un parti religieux ferme la porte aux Frères musulmans, principale force d’opposition, par ailleurs cible de nombreuses arrestations et d’un procès devant les tribunaux militaires.
Le Congrès annuel du PND qui se tiendra en novembre devrait asseoir encore plus sa légitimité. M. Gamal Moubarak, aujourd’hui à la tête du comité politique, pourrait même être nommé secrétaire général du parti spécule-t-on. Mais cela aussi, après tout, ce n’est qu’une rumeur...