En kiosques : avril 2024
Abonnement Faire un don
Accéder au menu

Mobilisation internationale contre les partenariats public-privé

En 1999 la Grande-Bretagne, la Banque mondiale et treize autres pays donateurs décidaient d’orienter une partie des fonds publics investis dans les projets d’accès à l’eau vers les partenariats publics-privés en créant la Public-Private Infrastructure Advisory Facility (PPIAF). Cette initiative est fortement combattue en Europe et dans le reste du monde par une large coalition de citoyens, d’ONG et de syndicats qui s’opposent à la marchandisation croissante d’un droit humain essentiel. Par ailleurs une agence des Nations unies vient à son tour de dénoncer dans un rapport décapant 15 ans de privatisation de l’eau et de l’assainissement dans les pays pauvres...

par Marc Laimé, 16 novembre 2007

En dépit des proclamations qui se succèdent lors de chaque grand sommet international, les pays développés ont considérablement diminué leur aide publique au développement dans le secteur de l’eau ces dernières années.

Ainsi, les aides bilatérales pour l’eau et l’assainissement ont-elles décru de 2,7 à 1,3 milliards de dollars entre 1997 et 2002. Et l’annulation de la dette des pays pauvres n’est toujours pas effective. Dette qui suscite de surcroît désormais l’appétit de « fonds vautours ».

La pénurie persiste et les inégalités d’accès vont croissant. Plus d’un milliard d’êtres humains ne disposent toujours pas d’accès à l’eau potable, sans compter les 2,4 milliards qui ne peuvent pas compter sur un système d’assainissement adéquat.


La Banque mondiale et la plupart des institutions internationales ont clairement pris le virage du partenariat des gouvernements avec le secteur privé, ainsi que les pays donateurs qui pensent échapper par ce biais à l’augmentation de l’aide internationale

La controverse autour des modalités de financement de l’accès à l’eau dans les pays pauvres n’a cessé de monter en puissance depuis une dizaine d’années, finissant par ébranler les « Tables de la loi » issues du « consensus de Washington. »

Les PPP sont ainsi clairement sur la sellette.

Et leur recette, faire en sorte que les États ou les collectivités publiques n’aient plus à financer des projets publics, puisque c’est le privé qui va s’en charger, de plus en plus décriée. Les contribuables-consommateurs payant sur vingt ou trente ans le coût du projet, augmenté des bénéfices considérables que réalise à l’occasion le promoteur privé de l’opération.

Une logique qui prive de surcroît à terme la puissance publique de toute capacité de planification et de contrôle de ses investissements .

Le PPIAF, bras armé de la libéralisation

Or le PPIAF a pour mission d’offrir des conseils et de promouvoir les PPP.

S’il intervient dans différents domaines qui incluent les transports ou les télécommunications, ce sont ses activités liées à l’eau qui lui valent d’être pointé du doigt par une large coalition d’activistes.

Il compte au rang de ses donateurs la Banque asiatique de développement, la Banque mondiale, la Commission européenne et les gouvernements du Canada, de France, d’Allemagne, d’Italie, du Japon, des Pays Bas, de Suède, de Suisse, d’Angleterre et des Etats Unis.

Mais la Grande-Bretagne est de très loin son plus important soutien, puisqu’elle verse une contribution de plus de 50 % des fonds alloués à l’agence (soit 53 millions de livres sterling, 104 millions de dollars US à verser de 1999 jusqu’en 2008).

Il a ainsi récemment financé en février 2007 une conférence en Inde destinée à y promouvoir les PPP.

Mais de nombreuses organisations, dont L’Internationale des services publics et le Mouvement pour un développement mondial (WDM), reprochent au PPIAF de contribuer au paiement des consultants pour promouvoir la libéralisation des services d’eau et d’assainissement.

 



Les échecs du PPP

En 1993 la désormais tristement célèbre entreprise Enron se voyait concéder la gestion de l’eau dans la province de Buenos Aires

Après la faillite d’Enron, huit ans plus tard, le gouvernement argentin s’est tourné vers le syndicat représentant les employés. Une entreprise publique a été mise sur pied par le syndicat et assure le service depuis lors

A Bombay, les controverses portent sur le choix d’une entreprise néo-zélandaise et sur celui du consultant associé à l’opération, Castalia. Le contrat signé entre le PPIAF et Castalia, qui visait à définir quel serait le meilleur modèle de gestion pour la ville de Bombay, a fait litière de toute participation des organisations citoyennes, comme de celle des autorités locales, exemple caricatural du fameux « empowerment » vanté à longueur de colloques par les tenants de la libéralisation…

Au Paraguay le PPIAF et la Banque mondiale ont exercé des pressions afin de faciliter l’ouverture du secteur aux entreprises privés, lors même que la société et les élus locaux refusent cette libéralisation. Et le congrès paraguayen travaillait à l’élaboration d’une loi sur l’eau qui garantit le rôle de l’état comme gestionnaire des ressources naturelles du pays.

Le Malawi, l’un des pays les plus pauvres d’Afrique, est la cible des études du PPIAF depuis 1998. En 2000, un cabinet de conseil américain a reçu la somme de 194 000 US dollars pour réaliser une étude prônant la libéralisation de l’eau. En dépit de la résistance de la société civile et d’un rapport attestant l’absence de participation des institutions locales, la Banque mondiale a continué à y prôner une concession au secteur privé. 



La riposte s’organise

En mars 2005 à Genève, le second Forum alternatif mondial de l’eau (FAME) adoptait son tout premier principe, dénué de toute équivoque :

"L’accès à l’eau en quantité et en qualité suffisante à la vie doit être reconnu comme un droit constitutionnel humain et social, universel, indivisible et imprescriptible."

Si la plupart des pays donateurs ne sont pas de cet avis, la force des mobilisations trouvait un écho jusqu’au sein du 4ème Forum mondial de l’eau (officiel celui-là), qui se tenait en mars 2006 à Mexico, comme en témoigne un extrait (page 108) de la synthèse du 4th World Water Forum :

« Water is complex, as it is at the same time an essential resource, a common good, an economic factor and a basic human right, as well as performing other functions that make it critical to each citizen in different and sometimes contradictory ways. »

« Avancée » que se gardera bien de reprendre la déclaration ministérielle conclusive de Mexico…

Le PPIAF sur la sellette

En 2006 le WDM (World Développement Mouvement, UK) et FIVAS (Centre d’études internationales sur l’eau, Norvège) réalisent un rapport sur le PPIAF et documentent précisément les résultats des privatisations.

A partir de ces études, d’autres ONGs, Friends of the earth, France Libertés, CRBM (Campagne pour la reforme de la banque mondiale), PSIRU (Unité de recherche de l’internationale des services publics) sont sollicités pour participer à un forum prévu en 2007.

Trois cas concrets font l’objet d’une étude plus approfondie : Bombay, le Malawi et le Paraguay (voir supra).

Le rapport soulignait que l’agence a financé des structures destinées à développer une participation du secteur privé ou une privatisation dans le secteur de l’eau et les services de l’hygiène dans 37 pays.

Dans 16 d’entre eux le PPIAF a tenté de formaliser un « consensus » pour la mise en place de la privatisation des services de l’eau. Le principe du consensus fait référence à la promotion des bénéfices engendrés par la privatisation des secteurs de l’eau, et s’adresse aux membres hésitants des gouvernements, des parlements, du monde des affaires, des syndicats, de la société civile, et aux simples citoyens, afin de les convaincre que la privatisation est dans leur intérêt.

Mais la Norvège retirait dès février 2007 son appui au PPIAF

Un mois plus tard, en mars 2007, la Banque asiatique de développement annonçait qu’elle venait de lui octroyer 500 000 US $

Le gouvernement britannique annonçait toutefois le 22 mars 2007, Journée mondiale de l’eau, qu’il considérerait désormais l’éventualité de financer également des partenariats public-public…

Mais l’Italie retirait à son tour son appui à la Facilité consultative publique-privée de l’infrastructure, un jour avant la tenue de la réunion annuelle de l’Agence à la Haye aux Pays Bas, le 23 mai 2007.

Sa vice-ministre des affaires étrangères, Mme Patrizia Sentinelli, adressait en outre une lettre de soutien aux ONGs, avec l’engagement formel de retirer le soutien de l’Italie.

Elle indiquait que "les conséquences néfastes" du système pour la fourniture de l’eau et de l’assainissement aux pauvres du monde par la privatisation nécessitaient d’être examinées.

Le groupe d’ONG en campagne saluaient l’action de l’Italie pendant que leurs représentants arrivaient à la Haye pour manifester en marge de la conférence.

Ils présentaient ensuite une lettre ouverte aux donateurs du PPIAF, signée par 138 ONG et syndicats de 48 pays, à un représentant du gouvernement des Pays Bas.

Les ONG critiquaient particulièrement le financement du PPIAF pour les "projets de consensus" qui tentent de persuader les parties prenantes des pays en développement d’accepter la privatisation de l’eau, en particulier si les multinationales y sont impliquées.

Face à la pression de la société civile, les hauts responsables du PPIAF acceptaient de recevoir les ONG pour écouter les critiques et proposer des « convergences ».

La réunion de trois heures, tenue dans un espace « neutre » cédé par la presse hollandaise, se caractérisa par la position arrêtée des représentants officiels, refusant toute critique, quoique se disant ouverts au dialogue pour financer aussi des solutions publiques. Après cette rencontre, ils publiaient une « déclaration » adressée aux ONG :

« Nous partageons un même idéal. Au centre de nos préoccupations restent les milliards de personnes qui n’ont pas accès aux infrastructures. Il faut travailler tous ensemble pour s’assurer de l’accès à l’eau pour tous." 



Le débat

Dans une lettre ouverte aux donateurs, les ONG et syndicats avancaient l’idée que le secteur privé de l’eau a témoigné en réalité d’une très grande frilosité à s’investir financièrement dans la bataille de l’accès à l’eau potable pour les plus pauvres à un prix abordable.

"Nous arrivons à la conclusion que ces aides et subventions devraient être mieux dépensées et nous demandons à tous ces donateurs de retirer leur appui financier," déclaraient-ils, rejoints par certains états très pauvres, ceux-là même qui avaient vu le PPIAF mener une politique de privatisation du secteur de l’eau sur leur territoire…

Elas Dias Pena, représentant des Amis de la Terre au Paraguay déclarait qu’en dépit d’une forte opposition des habitants et un net refus lors d’un vote sur cette orientation, la privatisation de l’eau reste toujours prônée par le PPIAF, le FMI et les puissants groupes privés du secteur de l’eau. L’opposition n’a pas faibli et s’est même intensifiée. Une loi nouvelle sur l’eau, présentée par les membres de la société civile et les membres du parlement stipule que "l’eau est propriété de l’Etat du Paraguay et l’accès à l’eau est un droit humain fondamental et continu". Loi qui attendait d’être votée devant la chambre des députés du Paraguay.

Le PPIAF se défendait des critiques de ses détracteurs, rappelant l’ampleur et la qualité de ses actions.

"Afin d’atteindre les Objectifs du développement du millénaire (OMD), adoptés par l’ONU à New-York en 2000, les investissements financiers doivent doubler", déclarait-il, soulignant que 55 pays ont déjà réussi à sortir de l’ornière et atteindre leurs buts. Le secteur public qui finance environ 70 % des besoins en infrastructures, ne peut pas tout faire et tout seul. Les donateurs, le secteur privé et les consommateurs, tous doivent jouer leur rôle. »

Et de citer le Kenya comme exemple positif du financement de son système de production et de distribution d’eau. Le Kenya laisse les communes exploiter les réseaux, avec une faible participation financière de l’Etat. Afin d’aider à une meilleure compréhension du marché de l’eau par ses différents acteurs, le PPIAF et ses partenaires ont mis en place un projet pilote afin de mieux construire une base commerciale de développement de services et les aider à construire une planification de la commercialisation, de l’accès aux marchés et des audits.

Le projet pilote devra créer une structure financière innovante afin de rendre les prêts plus accessibles aux petites communautés, propriétaires des systèmes de fournitures d’eau, et responsables de la maintenance du réseau. Le Global Partnership on output based aid, un trust financier multi-donateurs créé en 2003 par le Département pour le développement international britannique et la Banque Mondiale, apporte son soutien financier en subventions couvrant 40 % du coût du projet. Les 21 systèmes serviront 60 000 personnes.

Mais Agsar Jafri, membre de Mumbai Paani, une ONG indienne opposée à une privatisation du secteur de l’eau en Inde, rétorquait que le PPIAF ne croit pas en une gouvernance démocratique, avec des infrastructures publiques, et agit comme un représentant de groupes privés du secteur de l’eau avec l’aval de la Banque Mondiale.

"Nous avons démontré cela à Mumbai (Bombay), où des consultants de Castalia, structure d’audit fondée par le PPIAF et la Banque mondiale réalisent une étude sur l’amélioration de la distribution de l’eau. Et ont recommandé de faire appel à des groupes privés, soulignait-il. »

Une agence de l’ONU stigmatise la privatisation

L’excellent bulletin électronique mensuel Sources Weekly relate par ailleurs dans son édition de novembre 2007 que l’Institut de recherche pour le développement social des Nations Unies (UNRISD) vient de publier une étude qui présente 15 ans de recherches sur la privatisation de l’eau et de l’assainissement.

Intitulée « Politique sociale, régulation et implication du secteur privé dans l’approvisionnement en eau », elle souligne que ces politiques de promotion de la Participation du secteur privé (PSP) dans l’approvisionnement en eau des pays en développement sont économiquement viciées.

Les expériences de la PSP à travers le monde évoquent en effet l’existence d’un conflit profond entre le développement social, la santé publique et les préoccupations environnementales et la réduction de la pauvreté, d’une part, et le souci de rentabilité du secteur privé d’autre part.

Le capital étranger ne s’intéresse qu’aux grands marchés avec le minimum de risques. Par ailleurs, l’aide au développement pour l’eau et l’assainissement d’Outre-mer ne va pas aux pays les moins développés.

Seuls 13 % des pays d’Asie du sud font la promotion de la PSP, contre 64 % en Asie de l’Est et Pacifique. Il est maintenant évident que :

 les multinationales dominantes du secteur de l’eau ne s’intéressent pas aux pays à faible revenu, qui manquent d’approvisionnement en eau commercialement viable ;

 pour réduire les risques dans les pays plus pauvres, le secteur privé cible les clients mieux nantis dans les zones urbaines et/ou recherche des subventions, des prêts à des conditions souples et la renégociation des accords, afin de fournir des services aux personnes pauvres ;

 la privatisation en général augmente les prix de l’eau et accroît l’inégalité.

La PSP n’a pas produit les résultats escomptés et les exemples d’échec et de difficultés dans le secteur privé de l’eau augmentent.

Cependant, des groupes favorables à la privatisation se sont bien organisés et reformulent le concept la dénommant « Partenariat public-privé ».

L’auteur recommande que les politiques sociales sur l’approvisionnement en eau (tels que l’augmentation des tarifs de gros, les subventions croisées et une interdiction de débranchement) ne devraient pas être ignorée lors de la réforme du secteur de l’eau.

Lire :

 Prasad, N. (2006). Résultats de privatisation : participation du secteur privé aux services de l’eau 15 ans après. Revue de politique de développement, vol. 24, no 6 ; p. 669-692. DOI:10.1111/j.1467-7679.2006.00353.x

Contact : Naren Prasad (prasad@unrisd.org), [http://tinyurl.com/2dgru9], Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD).

 Privatisation : les échecs en Afrique subsaharienne entravent l’impact des OMD), Source Weekly, 10 avril 2007.

 Privatisation de l’eau et de l’assainissement : les pauvres en profitent-ils ?, id21, 14 août 2007.

 Philippines : Water Privatisation - Boon or MNC Conspiracy ? Kalinga Seneviratne, International Press Service, 12 novembre 2007.

Le dossier des PPP :

Adieu services publics : L’institut de la gestion déléguée redessine la France d’après

Les eaux glacées du calcul égoïste, 30 mai 2007

Les PPP sont nuisibles et minent la démocratie

Carnets d’eau, 8 septembre 2007

La France soumise au PPP

Carnets d’eau, 25 octobre 2007

AUDIO : le rôle des multinationales dans la gestion de l’eau en France

Les eaux glacées du calcul égoïste, 29 octobre 2007

Mobilisation internationale contre les PPP

Carnets d’eau, 16 novembre 2007

Les PPP, nouvelle offensive de privatisation de l’action publique

Drôle d’En-Droit, Gilles J. Guglielmi, 11 janvier 2008.

Marc Laimé

Partager cet article