«Est-ce que le niveau de la mer s’élève ? »
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié en 2007 son quatrième rapport de synthèse dans lequel il apporte à cette question une réponse affirmative mais très prudente.
Les experts du GIEC écrivent : « Après une période de stabilité entre l’An 0 et 1900, le niveau global de la mer s’est progressivement élevé au cours du XXe siècle et il continue de monter rapidement. On prévoit qu’il s’élèvera encore plus rapidement au XXIe siècle. Les deux causes principales sont la dilatation thermique des océans (l’eau se dilate avec la chaleur) et la disparition des glaciers continentaux due à une augmentation de la fonte des glaces (la fonte des glaces en suspension dans l’eau ne contribue pas à l’élévation du niveau marin).
Le niveau de la mer a augmenté de 120 mètres au cours des millénaires qui ont suivi la dernière glaciation, il y a de cela 21 000 ans environ, puis il s’est stabilisé pendant un millier d’années.
Les mesures instrumentales montrent que la montée des eaux de mer a repris au cours du XIXe siècle. Au XXe siècle, le niveau moyen global de la mer s’est élevé au rythme de 0,17 millimètres par an, soit 17 millimètres en 100 ans.
Les relevés effectués par les satellites au début des années 1990 fournissent des données plus précises : les observations montrent que, depuis 1993, le niveau de la mer s’est élevé au rythme de 3 mm par an, c’est-à-dire bien plus rapidement que la moyenne pour le demi-siècle précédent.
Selon les scénarios les plus pessimistes, on prévoit qu’au XXIe siècle, le niveau global de la mer s’élèvera plus rapidement que durant les dernières décades du XXe siècle, pour atteindre entre 22 et 44 centimètres au-dessus des niveaux de 1990, au rythme de 4 mm par an. »
Les membres du groupe de travail du rapport de synthèse du GIEC concèdent que cette hypothèse est une estimation a minima. Si elle se confirmait, cela voudrait dire que des millions de personnes dans le monde seraient obligées de fuir les zones côtières en voie de submersion, notamment dans les îles du Pacifique et de l’Océan indien, au Bangladesh, en Chine, au Vietnam, au Pakistan, en Gambie, en Côte d’Ivoire, aux Etats-Unis, en France, aux Pays-Bas et en Egypte.
Nairobi, quartier géneral du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE),
vers la fin des années 1980
A cette époque, deux nouvelles modes avaient retenu l’attention des bureaucrates de Gigiri (1). D’une part la recherche sur le « changement climatique dû à l’action de l’homme », dont on était pourtant encore loin de percevoir la gravité des conséquences sur notre vie quotidienne, et d’autre part l’arrivée d’une technologie nouvelle — les systèmes d’information géographique (SIG) — qui révolutionnait la manière de concevoir les analyses spatiales et de les intégrer dans un contexte politique ou économique.
L’arrivée simultanée de ces deux événements a permis de produire les cartes des premiers scénarios simulant les conséquences de l’élévation du niveau de la mer sur le delta du Nil et sa population (2).
Ayant très vite compris l’efficacité de ce nouvel outil pour modéliser et démontrer (carto)graphiquement les conséquences potentielles du changement climatique sur les milieux naturels et les sociétés humaines, et ainsi mieux faire prendre conscience aux décideurs de tous les pays de ce qui était en train de se jouer, les experts du PNUE ont fait l’acquisition de ces SIG.
Les éléments retenus pour cette étude du delta du Nil étaient relativement simples : un modèle de terrain digital dérivé d’un fichier de données de très haute résolution (3) pour définir les limites altimétriques à partir de 50 centimètres au-dessus du niveau de la mer.
Le résultat visuel de ces simulations de l’inondation du delta selon plusieurs niveaux (50, 100 et 200 centimètres) était très spectaculaire. En combinant ces images avec les chiffres de la population affectée et les surfaces de terres cultivables submergées, cela devenait même très dramatique. Des variables plus complexes et plus difficiles à manipuler n’ont pas été prises en compte, comme par exemple le processus de sédimentation ou le potentiel d’évaporation de la mer Méditerranée. Pourtant elles auraient pu influencer sensiblement le résultat de ces scénarios.
Lorsque ces scénarios ont été publiés pour la première fois, on s’est demandé, au PNUE, si leur nature apocalyptique n’allait pas avoir l’effet inverse de celui qui était recherché à l’époque et qui l’est plus que jamais aujourd’hui : convaincre les pays industrialisés de réduire leurs émissions de CO2.
Le projet cartographique « Delta du Nil sous la menace de la mer » fut donc présenté dans d’innombrables conférences ou réunions au sommet dans le monde et au siège du PNUE à Nairobi. Les cartes furent reprises dans de nombreuses publications scientifiques, mais aussi un peu dans la presse et dans l’édition. Ce cas d’étude a traversé les années en devenant une vedette de toutes les présentations sur les conséquences du changement climatique, mais sans jamais vraiment s’imposer dans le grand public : il est encore aujourd’hui largement utilisé et publié, plus de vingt ans après sa conception...
En dépit du fait que cette étude a été réalisée avec des modèles très simples et des moyens financiers et techniques limités, les hypothèses et résultats restent toujours valides et ne nécessitent pour l’instant aucune correction : l’image cartographique convaincante qui en résulte continue de marquer les esprits. Ce sont sans doute ces deux facteurs qui expliquent son succès et sa diffusion.
La popularité de cette étude (mais aussi de quelques autres utilisant les mêmes techniques et les mêmes approches) a joué un rôle décisif dans la convention sur le changement climatique signée à Rio de Janeiro en 1992 lors du premier Sommet de la Terre.
Les conséquences humaines et environnementales potentielles dans les régions désignées par l’étude n’ont jamais été vraiment analysées. A part quelques hurlements de bureaucrates égyptiens effrayés à l’idée que leurs propriétés du bord de mer seraient un jour englouties sous les eaux, les réactions furent quasi inexistantes : l’étude montrait des situations trop invraisemblables pour que la population des zones affectées, ou même les autorités, ne prennent au sérieux cette apocalypse annoncée et ne pensent à réagir.
Comme pour tous les bons produits de la bureaucratie onusienne, très peu d’efforts ont été fournis pour que l’information atteigne les intéressés. C’est le paradoxe d’une étude qui a été assez largement diffusée mais qui est restée de nombreuses années inconnue des populations concernées.
Le PNUE a été une des premières institutions à utiliser des SIG et à en diffuser les résultats cartographiques, contribuant ainsi au« boom » qu’a connu cette technologie : les premières cartes, qui ornent toujours aujourd’hui les murs des salles d’exposition et de réunion du siège à Gigiri, ont gardé toute leur force évocatrice. Il aura tout de même fallu vingt ans pour que « l’étude du changement climatique » passe de la confidentialité à la reconnaissance universelle avec, fin 2007, l’attribution du prix Nobel de la paix conjointement aux experts du GIEC (4) et à Al Gore.
Washington, Banque mondiale, février 2007
Février 2007, c’est la date de la publication du premier rapport du GIEC « Changement climatique : les bases scientifiques ». C’est aussi la date que choisit la Banque mondiale pour publier une étude intitulée « Les conséquences de l’élévation du niveau marin sur les pays en voie de développement : analyse comparative » et qui porte sur l’observation de 84 pays. Ce qui est intéressant, c’est que ces deux rapports publiés quasi simultanément proposent des résultats différents. Là où le GIEC ne s’engage que sur une élévation du niveau marin d’environ 50 centimètres vers la fin du XXIe siècle, la Banque mondiale annonce un mètre pour la même date (240 000 km2 submergés et environ 60 millions de personnes déplacées) et s’aventure même à donner quelques simulations pour 2, 3, 4 et 5 mètres (770 000 km2 submergés et 246 millions de personnes déplacées) !
Pourquoi se risquer à décrire, dans un rapport qui se veut sérieux, une prédiction aussi improbable que 5 mètres ? Les auteurs du rapport de la Banque mondiale rappellent que si la glace continentale du Groenland venait à fondre entièrement, le niveau marin s’élèverait d’environ 7 mètres. Et si l’on ajoute à cela la fonte de la glace continentale de l’Antarctique, le niveau de la mer serait alors de 70 mètres supérieur à celui d’aujourd’hui...
Or, plusieurs études scientifiques parues ces dernières années évoquent un scénario catastrophe, celui d’une accélération du réchauffement et d’une rupture dans le rythme de la fonte des indlansis (Groenland et Ouest de l’Antarctique) qui provoqueraient une élévation comprise entre 4,5 et 4,9 mètres d’ici la fin du siècle. D’où le choix de la Banque mondiale de publier une simulation des conséquences pour 5 mètres d’élévation. Les experts du GIEC modèrent cette approche en rappelant que cette rupture brutale pourrait plutôt se dérouler sur plusieurs siècles.
Trois pays retiennent l’attention de la Banque mondiale, pour lesquels les conséquences d’une élévation même minime du niveau de la mer sont décrites comme « potentiellement catastrophiques » : les Bahamas, le Vietnam et... l’Egypte, où une élévation d’un mètre submergerait une grande parti du delta du Nil (Alexandrie serait engloutie). Au moins 10% de la population serait déplacée.
L’institution de Washington redécouvre, vingt ans après, ce que l’étude du PNUE avait déjà très clairement montré. Comme le disent souvent les enseignants, apprendre et retenir, c’est beaucoup répéter.
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Prévenir la submersion du delta
La question du changement climatique n’est pas très populaire en Egypte, et rares sont ceux qui s’y intéressent. Mais devant la multiplication des rapports alarmants, des déclarations catastrophées, les autorités ont commencé à réagir et ont finalement décidé de préparer une grande « étude de stratégie nationale » sur les moyens d’adaptation au conséquences environnementales du changement climatique. L’Egypte a affecté la somme de 220 millions d’Euros pour la construction d’un mur en béton pour protéger une partie de la côte, et quelques milliers de tonnes de sables ont été utilisé pour reconstituer les zones côtières (5). Mais cela suffira-t-il pour contenir la mer ?
Plus radical, un autre projet fou dont on entend reparler en ce moment : la fermeture par un immense barrage de la mer Méditerranée au niveau du détroit de Gibraltar ! Ce serait la résurection du projet diabolique auquel l’architecte allemand Hermann Sörgel (1885-1952) a consacré l’essentiel de sa vie : Atlantropa. il voulait construire un barrage hydroélectrique de 35 kilomètres de long qui comprennait des usines de production d’énergie et tout un système d’écluses et de canaux. Cet édifice aurait permis d’isoler l’Atlantique de la Méditerranée pour en réguler le niveau et surtout pour le faire baisser... Mais avec comme objectif, non pas de lutter contre les effets des changements climats, — on est dans les années 1930 — mais de récuperer un peu plus de 220 000 km2 de surface (soit un peu moins de la moitié du territoire français métropolitain) pour les mettre en culture...
Pour en savoir plus, lire aussi l’article très complet disponible sur Wikipédia à propos du projet Atlantropa ainsi que l’article en anglais de Christopher Mühlenberg et Anjana Shrivastava dans la revue Cabinet magazine online.
Sites Internet
• Stern Review on the economics of climate change
• Climate changes and impact on coastal developping countries
• Impact of Climate Warming on Polar Ice Sheets Confirmed
• Sea Level Rise Threatens Nile Delta Ecosystems and Livelihoods
• IPCC assessment report 1990, 1992, 1995, 2001 and 2007
• Portail « Changements climatiques » du PNUE/Grid-Arendal
• Vital Climate Graphics 2000 du PNUE/Grid-Arendal
• Vital Climate Graphics 2005 du PNUE/Grid-Arendal