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Le Hezbollah, l’assassinat de Moughniyeh et Israël

par Alain Gresh, 17 février 2008

Alors que la situation se dégrade au Liban et que la guerre civile silencieuse risque de devenir ouverte, l’assassinat d’Imad Moughniyeh, un des dirigeants militaires du Hezbollah, à Damas le 12 février a ravivé les tensions non seulement au Liban mais dans la région.

La Syrie a démenti les informations selon lesquelles une enquête commune serait menée sur cet assassinat avec l’Iran et le Hezbollah ; elle a affirmé qu’elle était seule responsable des investigations. Plusieurs personnes auraient été arrêtées selon les autorités syriennes, qui ont affirmé qu’elles n’avaient pas connaissance de la présence de Moughniyeh sur leur territoire.

D’autre part, l’escalade, au même moment, des sanctions américaines contre Damas (Lire Joshua Landis, « Will Sanctions and the Mughniyah Killing Make Syria Blink ? », 16 février) semblent un démenti formel aux thèses conspirationnistes qui voudraient que l’assassinat de Moughniyeh soit un « geste » syrien en direction de Washington pour faciliter un rapprochement entre les deux pays.

Sur le site du quotidien Le Monde, le 15 février, un article de Mouna Naïm, « Hassan Nasrallah déclare le Hezbollah libanais en "guerre ouverte" avec l’Etat israélien » :

« Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, a annoncé, jeudi 14 février, que l’assassinat d’Imad Moughniyeh marquerait "le début du compte à rebours de la chute de l’Etat d’Israël" aux mains des combattants de son parti. "Le sang d’Imad éliminera (Israël) de l’existence", s’est-il exclamé dans un discours enflammé à l’occasion des obsèques d’Imad Moghniyeh, chef des opérations militaires et du renseignement du Hezbollah, tué dans un attentat à la voiture piégée, mardi à Damas. »

J’ai joint à cet envoi, en document attaché, le discours de Hassan Nasrallah prononcé le 14 février à l’occasion de l’enterrement de Moughniyeh.

La veille, Mouna Naïm avait publié un portrait de Moughniyeh, « Imad Moughniyeh, un homme de l’ombre accusé de multiples attentats ».

« Imad Moughniyeh était dans plusieurs collimateurs. Son nom était lié à une série d’attentats terroristes, notamment antiaméricains et anti-israéliens. Cela avait valu à ce chiite libanais, originaire du village méridional de Tayr Dibba où il est né en 1962, de figurer sur la liste des personnes les plus recherchées, en particulier par Israël et les Etats-Unis. En 2001, Washington avait mis sa tête à prix pour 5 millions de dollars. Pour le Hezbollah et ses alliés libanais, il était au contraire un "héros", un "grand chef djihadiste", pour reprendre les plus sobres des qualificatifs évoqués mercredi à son propos. »

« Inconnu dans les années 1970, lorsqu’il était membre de la Force-17, unité d’élite palestinienne chargée de la sécurité de Yasser Arafat, le nom d’Imad Moughniyeh a été propulsé au-devant de la scène en 1983, après trois attentats spectaculaires : en avril contre l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth (63 tués, dont 17 Américains) et en octobre contre les quartiers généraux des forces américaines et françaises alors déployées dans la capitale libanaise : 241 marines et 58 soldats français avaient péri. »

Les responsables et les médias israéliens se sont réjouis de la mort de ce « terroriste » – le gouvernement israélien a nié toute implication dans son assassinat. Gideon Levy fait entendre une voix dissidente dans Haaretz, « Liquidation sale » (17 février) :

« Quel que soit celui qui a tué Moughniyeh, il joue avec le plus dangereux des feux : il mine la sécurité d’Israël. Si c’est Israël, quelqu’un doit se demander s’il y avait la moindre parcelle de sens à une telle action. Si ce n’est pas Israël, nos si célèbres services de renseignement devraient le démontrer rapidement avant le prochain désastre. Est-ce que la sécurité d’Israël a été améliorée ? Est-ce que le terrorisme a reçu un coup durable ? L’histoire, avec tous ses précédents assassinats, nous apprend que la réponse est non. La liste des "chefs terroristes" liquidés par Israël, de Ali Salameh à Abou Jihad (deux dirigeants de l’OLP) en passant par Abbas Moussawi (dirigeant du Hezbollah), Yehya Ayyache, cheikh Ahmed Yassin et Abdelaziz Rantisi (trois responsables du Hamas) – toutes ces "opérations" que nous avons célébrées avec une grande pompe en nous illusionnant pour un moment à la fois agréable et intoxicant – n’ont apporté que des attaques de revanche dures et douloureuses contre Israël et contre les juifs à travers le monde ; et les personnes tuées ont été remplacées par d’autres, parfois plus efficaces que leur prédécesseur. D’assassinat en assassinat, la terreur a seulement augmenté et est devenue plus sophistiquée. »

Dans son éditorial du 14 février, « Mughniyeh - like Hezbollah - was a product of outside aggression », le quotidien libanais The Daily Star, plutôt libéral et pro-américain, note cependant :

« Que l’on condamne ou que l’on loue Moughniyeh, il faut rappeler le contexte dans lequel il a grandi et est devenu l’un des hommes les plus recherchés au monde. Il n’était pas encore né quand, en 1948, les forces israéliennes sont entrées au Liban et ont tué des dizaines de civils dans le village de Hula. Il était juste un bambin quand l’Etat juif envoya un commando sur l’aéroport international de Beyrouth, qui fit sauter 13 avions de ligne. Durant l’enfance et l’adolescence de Moughniyeh, Israël a systématiquement détruit des dizaines de villages musulmans, chrétiens et druzes au Liban, rendant le sud du pays inhabitable et forçant des tas de civils à fuir leur maison ancestrale et à se réfugier dans la banlieue sud de Beyrouth. Que l’on approuve ou désapprouve la réponse de Moughniyeh à la criminalité brutale dont il a été témoin durant ses années de formation, on ne peut nier le rôle que ces événements ont joué pour forger l’homme qu’il est devenu : Moughniyeh, comme le Hezbollah, est né comme une réponse directe à l’agression israélienne. »

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Alain Gresh

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