Alain Gresh, le 6 mars dernier, soulignait que Gaza endure la pire situation humanitaire depuis 1967. Une correspondance de Stevan Erlanger publiée par le New York Times le 6 novembre 2007 évoquait déjà les risques croissants de crise sanitaire découlant de l’absence d’entretien des infrastructures de traitement des eaux et des eaux usées, due aux mesures de sécurité adoptées par Israël sur l’importation de l’énergie, des pompes, tuyaux et autres pièces de rechange indispensables à un fonctionnement correct des réseaux dans les territoires sous le contrôle du Hamas.
Depuis mai 2007, 149 puits publics de Gaza n’ont pas été dotés de carburant en quantité suffisante pour fonctionner, et n’ont pas été entretenus en raison du manque de pièces. Par conséquent, 15% de la population de Gaza (225 000 personnes) ne reçoivent de l’eau que durant deux heures par jour.
Un constat confirmé par un article de Mel Frykberg, publié par le Middle-East Times le 2 janvier 2008, qui précisait de surcroît que la qualité de l’eau n’a pas été testée depuis plus d’un an, parce que les laboratoires d’analyse n’ont pas pu importer les produits chimiques nécessaires pour les tests. Ceux effectués par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) il y a plusieurs années avaient pourtant conclu que l’eau de Gaza n’est pas consommable sans risques sérieux pour la santé.
Les experts préviennent en outre que le manque de pièces de rechange pourrait bientôt amener l’une des 35 stations de pompage d’eaux usées à cesser de fonctionner à Gaza. Cela signifie qu’il y aura un reflux des eaux usées dans les maisons et les rues, avec les problèmes d’hygiène qui en résulteront.
La gravité de la situation a incité l’ex-premier ministre britannique et actuel délégué du « Quartet », M. Tony Blair, à s’impliquer dans un projet porté par la Banque mondiale, qui vise à améliorer d’urgence le traitement des eaux usées en situation dans la partie nord de Gaza. Il s’agit en fait d’obtenir des autorités israéliennes l’autorisation d’y acheminer d’urgence des pièces de rechange, en l’absence desquelles ce projet de la Banque mondiale est condamné à l’échec.
Voir le rapport intitulé « Otages de la politique : l’impact des sanctions et le blocus sur le droit de l’homme à l’eau et à l’assainissement dans la bande de Gaza », publié le 23 janvier 2008 par le Centre sur les droits au logement et les évictions forcées (Cohere).
(« Hostage to Politics : The impact of sanctions and the blockade on the human right to water and sanitation in Gaza. Centre on Housing Rights and Evictions. Position Paper. 23 January 2008).
Voir aussi : "A wall, water and power : the Israeli "separation fence", Julie Trottier, Review of International studies, 2007.
Lire aussi :
Mondialisation.ca, 13 mars 2008.
C’est comme ça qu’Israël exporte de l’eau vers la Suisse
Une extraordinaire enquête d’Amira Hass, publiée par Haaretz le 6 mars 2008, qui remet en cause nombre d’idées reçues sur la place de l’eau dans le conflit israëlo-palestinien, traduite en français sur le site de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien, sur lequel elle a été mise en ligne le 16 mars 2008.
L’eau dans les pays en guerre
Les conflits armés ont des conséquences négatives pour l’environnement et pour les populations, qui s’ajoutent aux morts violentes directes. La destruction des sites industriels et militaires provoque en effet des pollutions massives qui, au-delà des effets sanitaires immédiats et à moyen terme, détruisent à long terme les ressources vitales, par exemple en libérant des métaux lourds et des substances dangereuses dans l’air, le sol et les réserves d’eau douce. Le passage des engins militaires détruit les sols et la végétation d’écosystèmes fragiles.
Les conflits provoquent aussi la destruction des infrastructures, comme les systèmes d’irrigation, diminuant la production agricole, ce qui perturbe les systèmes alimentaires et contribue à la famine et à la malnutrition. Ils engendrent alors des flux massifs de réfugiés, concentrés sur des zones réduites, qui provoquent d’importants prélèvements de ressources pour répondre à des besoins vitaux.
Quand ils s’éternisent, comme dans les territoires palestiniens, aux impacts directs et indirects des activités militaires s’ajoute une dégradation environnementale générale provoquée par l’effondrement des structures administratives. La destruction des réseaux d’assainissement et d’adduction d’eau accroît les risques de contamination des eaux souterraines non protégées. La destruction d’immeubles libère des matériaux dangereux comme l’amiante. Et la disparition du système de collecte des ordures conduit à l’incinération en plein air des déchets
Ces dégradations finissent par être plus meurtrières que les conflits armés qui en sont responsables. Elles sont plus durables car l’arrêt des hostilités ne signifie jamais un retour immédiat à la paix dans un environnement assaini et sûr.
Les armements inutilisés constituent aussi une menace pour les hommes et l’environnement. C’est le cas des sites de production d’armes nucléaires et chimiques de la guerre froide contaminés par des agents toxiques, de l’arsenic, des dioxines, des substances radioactives.
Le 2ème Rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau a estimé que les guerres et les persécutions auraient entraîné environ 17 millions de réfugiés et de personnes déplacées. Ces migrations ont un impact très important sur les ressources en eau des régions vers lesquelles elles ont été déplacées.
La région du Moyen-Orient a particulièrement été affectée par ces problèmes.
L’eau en Irak
Après la première Guerre du Golfe, 30% des réserves d’eau du Koweit ont été inutilisables pendant 10 ans. On observe aujourd’hui parmi les populations civiles kurdes, bombardées en 1987-1988 par des agents chimiques et biologiques, des cancers rares, des malformations chez les enfants, des fausses couches, des infections pulmonaires récurrentes, des problèmes neuro-psychiatriques graves.
Les armes contenant de l’uranium appauvri, utilisées lors des conflits au Kosovo, en Serbie-Monténégro et en Irak, polluent toujours de nombreux sites.
Les enfants irakiens ont été victimes à trois reprises des conflits qui ont affecté la région depuis trente ans. La guerre de huit ans avec l’Iran dans les années 80 et la guerre du Golfe en 1991, avaient déjà causé des dommages considérables aux infrastructures de plusieurs pays.
La destruction de nombreuses zones humides dans les marais du Sud de l’Irak avait provoqué des migrations de populations, mais aussi la disparition de certaines langues et de cultures profondément ancrées dans leur environnement naturel.
Près de 700 puits de pétrole avaient été incendiés au Koweit en 1991. La chute des température ou l’empoisonnement des réseaux d’eau potable causés par les gigantesques incendies provoqua près de 100 000 morts.
L’Irak a été pendant douze ans l’objet de lourdes sanctions des Nations unies. Bien que le programme Pétrole contre nourriture en 1996 ait autorisé le gouvernement irakien à vendre le pétrole et d’en utiliser les revenus pour acheter des fournitures humanitaires, réduisant ainsi l’impact des sanctions - en partie du moins - les conséquences en ont été considérables.
Une évaluation partielle de la situation conduite par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) à Bagdad en 2003 montrait que la malnutrition avait presque doublé par rapport à ce qu’elle était avant la guerre. Sept enfants sur dix souffraient de diarrhée à divers degrés, ce qui mène à une perte de nutriments et souvent à la mort si un traitement approprié n’est pas appliqué.
Le système sanitaire et de distribution de l’eau, déjà mal en point, est pratiquement délabré aujourdhui, menant à l’absence ou à la contamination de l’eau courante, et ainsi à une plus grande prédisposition à contracter la diarrhée.
On estime que deux cent soixante-dix mille enfants nés après la guerre n’ont aucun des vaccins nécessaires et les services de vaccination de routine ont tous été interrompus. De plus, le stock de vaccins existant est devenu inutilisable par suite de l’interruption de la chaîne du froid. Les égouts déversent chaque jour des centaines de tonnes d’eaux usées non traitées dans le Tigre et l’Euphrate. Les produits chimiques servant au nettoyage de l’eau ayant été pillés ou détruits, la qualité de l’eau pompée vers les maisons est extrêmement basse et mène à des cas de maladies et de malnutrition plus fréquents chez les enfants.
En conséquence, l’évolution de la mortalité infantile depuis 1990 est dramatique. Dans les années 90, l’augmentation la plus significative a été enregistrée dans le nord et le centre du pays, où la mortalité des moins de cinq ans est passée de 56 à 131 pour 1000 naissances viables. L’insécurité conduit beaucoup de mères à accoucher à domicile, où elles ne bénéficient d’aucun suivi pré-natal.
Une enquête sur l’éducation en Irak (Iraq Education Survey), conduite par le gouvernement irakien avec le soutien de l’UNICEF au début des années 2000, soulignait que dans les régions les plus affectées, plus de 70% des bâtiments des écoles primaires n’avaient plus accès au service de l’eau. Selon un rapport publié conjointement le 30 juillet 2007 par l’association caritative britannique Oxfam et le Comité de coordination des ONG d’Irak, quelque huit millions d’Irakiens ont un besoin urgent d’eau et de systèmes d’assainissement. Globalement 70% des Irakiens ne disposent pas de ressources adéquates en eau, contre 50% en 2003.
Un porte-parole de l’Iraq Aid Association rapportait à l’été 2007 que « dans certains camps de déplacés près de Baqouba, Najaf et Missan, les familles puisent de l’eau des bouches d’égout à ciel ouvert qui se trouvent aux alentours, la filtrent avec des morceaux de tissus et la boivent sans la faire bouillir au préalable. »
« Il ne fait aucun doute que de nombreuses familles déplacées et locales vivent sans eau propre, en partie du fait de l’insécurité, et en partie à cause du manque d’électricité ou d’infrastructures pour permettre l’approvisionnement en eau. [...] De nombreuses familles en viennent à exploiter illégalement des canalisations, à creuser des puits ou à boire l’eau des rivières », déclarait à la même date Mme Claire Hajaj, chargée de communication aux bureaux irakiens de l’UNICEF.
Témoignage s’il en était besoin du délabrement qui affecte les infrastructures irakiennes et du chaos suscité par le conflit, le sénateur américain Byron Dorgan lors d’une conférence de presse tenue le 10 mars 2008 s’indignait par ailleurs des révélations apportées par un récent rapport de l’inspection générale de l’US Army, établissant sans équivoque que la firme Halliburton, titulaire de marchés colossaux accordés par le Pentagone, a fourni de l’eau contaminée aux troupes américaines basées en Irak...
Les ressources naturelles à l’origine de conflits armés
Si l’environnement subit donc fortement, et à long terme, les effets des conflits armés, il peut également être lui-même source de tensions et de conflits.
La dégradation et la raréfaction des ressources, dues à une surexploitation croissante et renforcées par les évolutions et les événements climatiques, génèrent des rivalités entre des populations sur les questions des terres agricoles, de l’eau douce, des ressources forestières ou des pêcheries. Si c’est souvent à l’intérieur des pays que surgissent de tels conflits, ils existent aussi au niveau international, car les ressources fondamentales se font plus rares et plus disputées, ceci d’autant plus quand s’y ajoutent des enjeux démographiques.
En outre, au-delà de l’accès aux ressources susceptibles d’assurer à long terme la vie des communautés, l’exploitation des revenus des richesses naturelles est devenu un but de guerre et un moyen de financement des parties en conflit. L’abondance de ressources naturelles conduit ainsi à leur détournement et à leur prise de contrôle par la violence. Cette captation des ressources concerne en particulier des pays africains, riches en pétrole, diamants, minerais ou bois. Elle est entretenue par les entreprises et pays importateurs, dont les enjeux économiques l’emportent sur la transparence et des sanctions internationales dérisoires.
Mais les pénuries de ressources environnementales ne sont jamais la cause unique d’un conflit et n’en sont que rarement à l’origine. Ce dernier résulte souvent de la difficulté d’une communauté à gérer la rareté et à partager équitablement les ressources, ce qui nécessite des droits et une administration efficace.
Environnement et paix
La prise de conscience des effets possibles des conflits sur l’environnement a abouti en 1977 à la signature d’une Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles.
On estime en effet que la reconstruction des économies, les vies dévastées, les infrastructures endommagées, notamment les services d’eau et les réseaux électriques, la reconstruction et restauration des systèmes d’irrigation endommagés ou le déminage des territoires au terme des conflits armés absorbe 27% de l’aide extérieure au développement.
Des initiatives se développent qui visent à prévenir ou arrêter les conflits, à s’opposer à la prolifération des armes légères. Initiatives qui sont souvent le fait d’organisations créées par des femmes.
La coopération dans le domaine de la protection et de la gestion de l’environnement peut aussi aider à maintenir ou reconstruire la paix. L’établissement de zones protégées internationales permettant de réduire les sources de tension entre pays. C’est le cas dans le corridor méso-américain, avec une succession de parcs transfrontaliers du Mexique à la Colombie, mais aussi entre Israël et la Jordanie avec le Parc marin de la mer Rouge.
La question environnementale peut ainsi favoriser la prévention des conflits et devenir le moteur d’une stratégie régionale de coopération et de développement.
La gestion intégrée des cours d’eau permet également de prévenir la violence. Ainsi l’Initiative du bassin du Nil, qui regroupe les pays riverains et des organisations internationales, favorise-t-elle une gestion des intérêts de tous et préserve la qualité écologique, voire la survie du fleuve.
Mais la communauté internationale doit impérativement s’attacher à renforcer les moyens juridiques et les mécanismes actuels de protection de l’environnement en temps de guerre. Y compris par la création d’une juridiction pénale internationale spécifique, car l’application de nouvelles règles est nécessaire pour minimiser les risques environnementaux et sanitaires. Il faudra aussi définir les réparations qui pourront être accordées aux victimes, et développer de nouveaux types de coopération autour des enjeux environnementaux et de l’accès aux ressources vitales.
Lire aussi :
Guerre et environnement, l’attention monte
Compte-rendu par le Journal de l’environnement du colloque « Guerre et environnement », organisé à Paris le jeudi 6 mars 2008 par le WWF-France et la sénatrice Verts du Nord, Mme Marie-Christine Blandin.