Il y a cinq ans, les Etats-Unis se lançaient à l’assaut de l’Irak. Plusieurs centaines de milliers de civils irakiens (et 4 000 soldats américains) tués plus tard, il apparaît de plus en plus que cette guerre aura été une des plus grandes catastrophes que le Proche-Orient ait connues depuis cinquante ans. Et ses conséquences seront sans doute bien plus durables que celles que la guerre du Vietnam a eues sur l’Asie.
On se rappelle que les deux prétextes de cette guerre étaient les armes de destruction massive, dont il a été prouvé qu’elles n’existaient pas, et le lien entre Saddam Hussein et le terrorisme (la moitié des Américains étant convaincus que le dictateur irakien était derrière les attentats du 11-Septembre).
Début mars, le Pentagone a publié un rapport fondé sur 600 000 documents examinés, démontrant qu’il n’existait aucune relation entre Al-Qaida et Saddam Hussein. Mais la transparence a des limites. Comme le rapporte ABC News, le 12 mars, dans « Pentagon Report on Saddam’s Iraq Censored ? », le Pentagone a annulé l’envoi d’un communiqué de presse sur le rapport et a décidé de ne pas le publier en ligne. Il ne sera fourni qu’à ceux qui en feront la demande et sera envoyé par la poste ! ABC a mis en ligne un résumé du rapport (« Iraqi perspective project. Saddam and terrorism : Emerging insight from Captured Iraqi documents Volume 1, redacted) »).
Le rapport affirme que Saddam Hussein a soutenu des groupes terroristes, notamment palestiniens. Mais il insiste : « Les principales cibles des opérations terroristes de l’Etat irakien étaient les citoyens irakiens, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Irak. »
En revanche, le rapport dément toute relation entre Al-Qaida et Saddam Hussein. ABC rappelle une des déclarations de George W. Bush, rapportée par le Washington Post du 18 juin 2004 : « La raison pour laquelle j’ai continué à insister sur la relation entre l’Irak, Saddam et Al-Qaida, c’est parce qu’il y avait une relation entre l’Irak et Al-Qaida. »
Cette interprétation du rapport est contestée par un néoconservateur, William Kristol, dans The Weekly Standard, « Why is the Bush administration silent on the new Pentagon report ? » (24 mars 2008). Selon lui, le rapport intégral précise, en page 42, que « Saddam soutenait des groupes directement liés à Al-Qaida (comme le Djihad islamique, dont le dirigeant fut à un moment Ayman Al-Zawahiri, le bras droit de Ben Laden) ou partageait les buts et les objectifs affirmés par Al-Qaida ». On peut pourtant douter que Saddam Hussein ait soutenu l’idée d’un Etat islamique ; quant à partager les « buts » d’Al-Qaida, s’il s’agit du départ des Etats-Unis de la région, on peut dire qu’ils sont ceux de la grande majorité de l’opinion publique.
Le New York Times du 16 mars a demandé à neuf « experts » ou responsables de donner leur point de vue de l’époque sur l’invasion de l’Irak et la manière dont ils voient la situation aujourd’hui (« Reflections on the Invasion of Iraq »). Parmi eux, Paul Bremer III (le premier proconsul américaine en Irak) et Richard Perle, un théoricien néoconservateur.
Je posais ici même la question de savoir si « les Etats-Unis vont gagner la guerre en Irak », en expliquant que Washington mettait en avant la diminution des pertes américaines et civiles irakiennes au cours des derniers mois. Un article dans le Washington Times du 15 mars, « Iraqi civilian deaths rise again » (Sharon Behn), actualise ces données. Selon la journaliste, 422 Irakiens ont déjà été tués en mars, contre 544 pour tout le mois de janvier et 674 pour le mois de février. Ainsi, la tendance à la baisse des victimes irakiennes aurait été enrayée.
Il faut noter aussi que, sur l’autre front de « la guerre contre le terrorisme », l’Afghanistan, cet « Etat défaillant », la situation semble échapper aux forces américaines et à l’OTAN. Ce sera d’ailleurs un des thèmes du sommet de l’OTAN à Bucarest, les 2-4 avril prochains. Dans une dépêche de l’agence Reuters du 11 mars, « UN Reports sharp rise in Afghanistan attacks », il est écrit que, selon un rapport du secrétaire général des Nations unies, les attaques ont augmenté de manière importante en 2007 : on a compté 566 incidents par mois, contre 425 en 2006. 8 000 personnes ont été tuées dont plus de 1 500 civils. On a aussi compté 160 attentats-suicides en 2007 (contre 123 en 2006). Les travailleurs humanitaires et les ONG sont des cibles de plus en plus fréquentes.
Pour l’évolution des conflits au Proche-Orient depuis l’invasion américaine de l’Irak, on pourra consulter l’ensemble des articles consacrés par Le Monde diplomatique, regroupés dans « Proche-Orient, les guerres du XXIe siècle ».
La route de l’apartheid
Un excellent reportage de Michel Bôle-Richard dans Le Monde daté du 15 mars et intitulé « La route de l’apartheid ». En voici les trois premiers paragraphes.
« A partir de 3 heures du matin, ils se pressent sous un auvent de tôle pour s’abriter du froid. Le check-point de Makkabim n’ouvre qu’à 5 heures, mais plus on est là tôt, plus on passe vite. Une Jeep de l’armée israélienne est postée à une cinquantaine de mètres. Un soldat fait régner l’ordre dans la foule qui grossit au fil de l’aube naissante : cette main-d’œuvre palestinienne vient des villages environnants, mais également de beaucoup plus loin en Cisjordanie, Bethléem, Hébron, Ramallah. »
« Tous arrivent par une petite route bloquée par des cubes de ciment et traversent, à pied, l’autoroute 443, afin de pouvoir pénétrer en Israël. Tous vont louer leurs services à des entreprises. Pour pouvoir le faire, ils doivent obtenir un permis de trois mois. Vers 5 heures, ils sont plusieurs centaines à attendre leur tour face à deux guérites où des soldats examinent leurs papiers puis fouillent leurs sacs en plastique emplis des victuailles pour la journée. »
« "On nous traite comme des animaux, comme du bétail, raconte l’un des travailleurs palestiniens. Lorsqu’il pleut, c’est terrible ! L’autre jour, les soldats ont dispersé les feux que nous avions allumés pour nous réchauffer. Comme punition, on n’a pas pu aller travailler. Une journée de perdue !" »
Histoires d’Israël
Un numéro de Manière de voir, le bimestriel publié par Le Monde diplomatique, consacré à « Histoires d’Israël, 1948-2008 » (disponible uniquement en kiosque), avec des contributions de Henry Laurens, Idith Zertal, Edward Said, Tom Segev, Dominique Vidal, Amnon Kapeliouk, Shimon Peres, Zeev Sternhell, Amira Hass, Joseph Algazi, etc.