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Nicolas Sarkozy, l’Afghanistan et l’universalisme européen

par Alain Gresh, 5 avril 2008

Le président Nicolas Sarkozy a donc annoncé l’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan, cet « Etat défaillant », sans même qu’un débat réel se soit engagé en France, sans doute parce que la grande majorité de la population est opposée à cette escalade.

Le blog de Jean-Dominique Merchet, « Secret défense », nous donne « Les vrais chiffres : la France enverra plus d’un millier d’hommes en Afghanistan ». Aux 700 hommes annoncés, on doit en effet ajouter :

— « En août, la France doit prendre, pour la deuxième fois, la responsabilité de la RCC (Regional Command Capital), c’est à dire la région de Kaboul. C’est un commandement tournant entre trois pays : France, Italie et Turquie. Pour assumer cette responsabilité, un état-major ainsi que des moyens de soutien et de protection seront envoyés à Kaboul, en plus du bataillon français présent dans la capitale. Soit 300 hommes supplémentaires. Cette mission durera environ un an. »

— « Dans le cadre de son effort de soutien à l’armée nationale afghane, la France avait prévu d’envoyer une cinquième équipe d’OMLT (Operationnal Mentoring Liaison Team) dans la province d’Oruzgan, un secteur confié aux Hollandais. L’effectif de cette OMLT sera d’environ 80 hommes, issus pour l’essentiel du 2ème Régiment étranger d’infanterie (REI). »

Cette décision s’inscrit dans une volonté affirmée depuis longtemps par le président de la République de réintégrer les structures militaires intégrées de l’Alliance que le général de Gaulle avait quittées en 1966. Pour Nicolas Sarkozy, il faut que la France s’inscrive clairement dans « le camp occidental ». Mais face à quel ennemi ? Dans un monde marqué par l’émergence de la Chine et de l’Inde, le retour de la Russie, l’affirmation du Brésil, ne faudrait-il pas réfléchir à ce qui nous lie aux Etats-Unis ? Dans un article publié dans Le Monde diplomatique de ce mois d’avril, Pierre Conesa s’interroge : « Les Etats-Unis sont-ils une menace pour l’Europe ? »

Pour justifier l’envoi de ce contingent supplémentaire, Nicolas Sarkozy a ressorti l’argument des femmes afghanes : « Quand on sait ce que les talibans ont fait aux Afghans, surtout aux femmes afghanes… »(Libération, 4 avril, « Otan et défense européenne : le pas de deux de Sarkozy »). Rappelons l’article publié dans Le Monde diplomatique de mars 2002, de Christine Delphy, « Une guerre pour les femmes ? »

Le site « Bakchich » revient sur ce thème le 3 avril, « Après les infirmières bulgares, Sarkozy va-t-il libérer les femmes afghanes ? » Pourquoi envoyer 1 000 nouveaux troufions français en renfort en Afghanistan ?

« Est-ce pour « éradiquer les Talibans », comme l’a virilement annoncé Hervé Morin la semaine passée ? Est-ce pour « lutter contre le terrorisme » comme le défendent depuis toujours Bush et Sarko ? Ou est-ce encore pour accomplir une généreuse mission de « développement », laquelle consisterait à bâtir des maisons et des routes, à installer un beau système démocratique qui libérerait les femmes afghanes de leur pesante burqa… »

« Si l’on s’en tient aux dernières déclarations de Sarkozy et Morin, ce serait pour accomplir d’un seul élan ces trois nobles missions ! Ce qui voudrait dire que nos petits gars des forces spéciales, avec le matériel de persuasion qu’ils emportent avec eux, vont en fait s’évertuer à nous bâtir un Afghanistan des Lumières. »

Toutes ces entreprises coloniales bâties au nom des Lumières ! Je suis revenu sur ce thème dans le numéro d’avril du Monde diplomatique, « De l’esclavage et de l’universalisme européen », une longue analyse de plusieurs livres parus sur le sujet. L’un d’eux a été écrit par Immanuel Wallerstein, un universitaire américain, intitulé L’universalisme européen. De la colonisation au droit d’ingérence (éditions Démopolis). Il fait un utile rappel historique :

« Le droit des puissances européennes à coloniser avait été théorisé dès 1550, par Juan Ginès de Sepúlveda. Opposé à Bartolomé de Las Casas dans la célèbre controverse dite de Valladolid – pouvait-on réduire les Indiens en esclavage ? –, il défendit le droit de l’Espagne à soumettre les populations des Amériques. »

Wallerstein rappelle « l’importance du raisonnement de Sepúlveda. Premier argument, les Amérindiens sont des « barbares, simples, illettrés, sans éducation, (…), remplis de vices et cruels, d’une espèce telle qu’il vaudrait mieux qu’ils soient gouvernés par autrui » ; le joug espagnol est nécessaire « à titre de rectification et punition des crimes contre la loi naturelle et divine… » ; c’est d’ailleurs cette loi divine qui oblige les Espagnols à « empêcher le mal et les grandes calamités » dont les Indiens ont accablé « un grand nombre d’innocents » ; enfin, dernière thèse, la domination espagnole va faciliter l’évangélisation chrétienne. On retrouve, écrit Wallerstein, « les quatre arguments de base qui ont toujours servi à justifier les “ingérences” des “civilisés” du monde moderne dans les zones “non civilisées” : la barbarie des autres, le devoir de mettre fin à des pratiques qui violent des valeurs universelles, la défense des innocents face à la cruauté des autres, la nécessité de faciliter la diffusion des idées universelles ». »

Ce raisonnement est, bien évidemment, celui de M. Sarkozy en Afghanistan. Et, au nom de la civilisation, l’OTAN multiplie les bombardements et... les victimes civiles.

Des membres du Congrès s’enrichissent grâce à la guerre

Dans un article intitulé « Members of Congress Profit Iraq War Contractor Stocks », publié le 3 avril sur le site « Voters for Peace », Lindsay Renick Mayer écrit :

« Le général David Petraeus, le plus haut gradé américain en Irak doit venir au Capitole la semaine prochaine pour briefer le Congrès. Il s’adressera à des élus qui ont plus qu’un intérêt politique dans cette guerre de cinq ans. Selon les calculs du Center pour des politiques réactives (responsive) (centre non partisan), les élus qui entendront un rapport du général et de l’ambassadeur américain en Irak, ont gagné 196 millions de dollars grâce à leurs investissements dans des compagnies qui font des affaires avec le département de la défense. Des industries d’aviation et d’armes aux producteurs de matériel médical et de boissons non alcoolisées, les investissements en action de plus du quart du Congrès incluent des compagnies qui ont reçu des milliards de dollars mensuellement pour appuyer l’intervention militaire en Irak et ailleurs. »

Voici quelques fourchettes de gains pour certains d’entre eux :

Sen. John Kerry (D-Mass) entre $28,872,067 $38,209,020
Rep. Rodney Frelinghuysen (R-NJ) $12,081,050 $49,140,000
Rep. Robin Hayes (R-NC) $9,232,037 $37,105,000
Rep. James Sensenbrenner Jr. (R-Wis) $5,207,668 $7,612,653
Rep. Jane Harman (D-Calif) $2,684,050 $6,260,000
Rep. Fred Upton (R-Mich) $2,469,029 $8,360,000
Sen. Jay Rockefeller (D-WVa) $2,000,002 $2,000,002
Rep. Tom Petri (R-Wis) $1,365,004 $5,800,000
Rep. Kenny Ewell Marchant (R-Texas) $1,163,231 $1,163,231
Rep. John Carter (R-Texas) $1,000,001 $5,000,000

Ce que dit le Hamas

Lors d’un long entretien avec le quotidien palestinien Al-Ayyam publié à Ramallah le 3 avril, Khaled Meshaal, chef du bureau politique du Hamas a expliqué que son mouvement était favorable à une trêve avec Israël, à la condition que celle-ci soit globale et non limitée à la seule région de Gaza.

Par ailleurs, il a déclaré qu’il approuvait la position arabe concernant la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967. « La plupart des factions palestiniennes ont accepté le document signé en 2006 entre le Fatah et le Hamas affirmant qu’un Etat palestinien devait être établi dans les frontières de 1967, y compris Jérusalem ; cet Etat devrait disposer d’une souveraineté totale et le droit au retour devrait être reconnu. C’est la position palestinienne. C’est aussi la position arabe officielle avec des différences de détail. Israël doit donner son accord à une telle solution. »

Mais, lui demande-t-on, les Européens et les Américains disent que le Hamas veut la destruction de l’Etat d’Israël. Que répondez-vous ?

« Nous sommes un mouvement qui se tient au programme politique sur lequel nous nous sommes mis d’accord avec les autres factions palestiniennes, un programme qui est appuyé par le monde arabe. Donc les Américains et les Européens et les autres parties internationales devraient accepter cette réalité politique et nous juger en fonction de celle-ci. On ne juge pas les gens par ce que vous croyez qu’ils ont dans la tête, mais par ce sur quoi ils se sont engagés par écrit. Le défi principal auxquels les Américains et d’autres membres de la communauté internationale sont confrontés est de savoir comment forcer Israël à accepter ce que nous avons offert. C’est cela la solution. Après cela, que l’un veuille ou non reconnaître Israël c’est son affaire. »

Notons que Politis de cette semaine (N° 996, 3 avril) publie un entretien avec Ahmed Youssef, principal conseiller d’Ismaïl Haniyeh, « La division interpalestinienne ne sert qu’Israël », ainsi qu’un reportage d’Eugénie Rébillard sur Gaza, « Nous n’avons devant nous que des solutions extrêmes ».

Alain Gresh

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