L’ASEP et le WWF-France ont réalisé en mars et avril dernier une campagne de prélèvements sanguins auprès de 52 volontaires pour mesurer l’imprégnation aux PCB des riverains du Rhône consommateurs de poisson, mais aussi de pêcheurs de la Seine et de la Somme.
L’étude a été réalisée par un laboratoire lyonnais agréé sur 52 prélèvements sanguins réalisés auprès de volontaires âgés en moyenne de 51 ans.
Il s’agit de six "témoins" - n’habitant pas près d’un fleuve et ne consommant guère de poisson -, 42 habitants du delta du Rhône, 3 pêcheurs de la Seine et un pisciculteur de la Somme.
Le groupe témoin présente un taux moyen de PCB « DioxineLike » de 16,83 picogrammes par gramme de matière grasse (pg/g), selon le docteur Patrice Halimi, chirurgien pédiatre et secrétaire de l’ASEP.
Ce taux passe à 28,03 pg/g pour ceux qui ne mangent pas régulièrement de poisson mais vivent au bord d’un fleuve, et grimpe à 69,9 pg/g pour ceux qui mangent régulièrement du poisson et vivent au bord d’un fleuve.
Cinq sont supérieurs à 100 mg/g et un pointe à 572 pour un pêcheur de 83 ans qui a toujours bu l’eau de la Seine et mangé du poisson 4 à 5 fois par semaine.
Quinze personnes mangeant du poisson plus de deux fois par semaine ont présenté un taux moyen de 93,13 pg/g. Parmi les taux les plus élevés figure un médecin arlésien, grand amateur de pêche et gros consommateur de poisson.
Les résultats, « préoccupants » dévoilés par les deux associations sont de nature à relancer les inquiétudes suscitées par cette pollution.
Ils témoignent en effet d’une imprégnation des consommateurs de poissons quatre à cinq fois supérieure aux autres groupes tests.
"Le taux naturel est zéro, mais sans exposition particulière tout le monde a un taux d’imprégnation aux PCB de 5 à 15 picogrammes par gramme de matière grasse", un taux qualifié de "bruit de fond", a expliqué le docteur Patrice Halimi.
"En revanche, les gens qui habitent Port-Saint-Louis-du-Rhône (Bouches-du-Rhône) ont un taux plus important. Quant à ceux qui consomment du poisson du Rhône plus d’une fois par semaine, ils ont des taux quatre à cinq fois supérieurs. Le problème, c’est qu’il n’existe pas de norme internationale pour interpréter cette imprégnation".
"La présence importante de PCB dans le corps augmente le facteur de risque de cancer, de troubles de la fertilité, de déficit immunitaire et de troubles neurologiques : cancers du fois, du colon, du sein et du pancréas, effets neurotoxiques chez les enfants avec des troubles du développement cérébral, baisse du système immunitaire et troubles de la reproduction. Cela nous rend stériles", a poursuivi le docteur Halimi.
"Il s’agit d’un problème de santé publique, on n’en est qu’au début. J’attends que les pouvoirs sanitaires se mettent au travail et lancent de véritables études. Il va falloir agir".
Les personnes testées portaient jeudi des T-shirts sur lesquels était inscrit leur taux d’imprégnation avec la question : "Et vous ?".
"Bien sûr que nous sommes inquiets de ces résultats", a expliqué M. Gérard Casanova, 49 ans, analysé à 52 picogrammes et président du Collectif de défense des citoyens santé et environnement de Port-Saint-Louis-du-Rhône. "Nous voulons savoir précisément quelles sont les sources de pollution aux PCB. Nous sommes à l’embouchure du Rhône et voisins d’une zone industrielle particulièrement importante avec d’autres sources de PCB", souligne-t-il, son taux de 52 inscrit sur la poitrine.
"Moi j’ai 12, j’ai les glandes même si ce n’est rien par rapport à d’autres pour moi c’est trop", lancé le comédien Cartouche qui faisait partie de la population-témoin.
"Nous conseillons aux personnes qui ont des taux élevés d’arrêter de manger du poisson de rivière et de se faire dépister régulièrement, notamment pour les cancers", a prévenu le docteur Pierre Souvet, président de l’ASEP.
"Les taux que nous avons relevés sont plus importants que ce à quoi on s’attendait. C’est préoccupant. Aujourd’hui, nous révélons le problème. C’est à la société de s’en emparer".
M. Guillaume Llorca, responsable des investigations au WWF-France, livrait dans l’édition du quotidien Libération du 29 mai 2008 les premiers enseignements de ces analyses. Soulignant que des investigations poussées devaient désormais selon l’ONG, être engagées sur la Seine.
Voir l’étude d’imprégnation PCB de l’ASEP et du WWF-France
« L’impuissance » de l’Etat
La même édition de Libération, en date du 29 mai rapportait donc que l’Etat « avoue son impuissance à dépolluer le Rhône ».
La ligne de défense des pouvoirs publics semble de jour en jour plus intenable. Pour M. Jacques Gérault, préfet du Rhône, « il n’existe aucun procédé au monde pour traiter de quelles quantités de sédiments pollués ».
Les exemples de la Norvège et des Etats-Unis prouvent le contraire. Ces deux pays ont certes respectivement investi trois milliards et près de 500 millions de dollars pour traiter la pollution aux PCB qui les affectaient... Et les USA avaient interdit les PCB 17 ans avant la France !
La France se contente de répéter depuis octobre 2007 « qu’un programme de recherche sur les techniques de dépollution devrait être labellisé par le pôle de compétitivité Axelera (chimie-environnement), qui se trouve en Rhône-Alpes. Il tentera notamment de développer des outils de traitement des sédiments pollués. Le projet serait piloté par Suez Environnement, et associerait des laboratoires, une quarantaine de chercheurs, des industriels, des PME (etc.), pour une durée initiale de quarante mois et un coût évalué à 12,65 millions d’euros. L’Etat en prendrait 50 % à sa charge, l’autre moitié restant aux frais des industriels. »
Par ailleurs une enquête d’imprégnation, officielle celle-ci, sera conduite par l’Agence française pour la sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et l’Institut de veille sanitaire (INVS) d’octobre 2008 à mai 2009, sur une cohorte de 900 personnes volontaires (150 sur 6 sites différents), mais les premiers résultats sont attendus en 2010...
Le préfet a par ailleurs précisé que l’interdiction de pêche, de consommation et de commercialisation de certains poissons (gardon, perche, truite…) a été levée le 6 mai pour la zone comprise entre le confluent du Rhône avec l’Isère et celui du Rhône avec la Durance.
Une circulaire du ministère chargé de l’Agriculture précisera enfin les mesures d’accompagnement économiques prévues pour les pêcheurs professionnels, 12 d’entre eux étant concernés dans le bassin du Rhône. Ils devraient être indemnisés à hauteur de 30 000 euros.
Parallèlement, un « protocole est en cours d’élaboration pour tous les travaux de dragage sur le Rhône et ses affluents, afin d’éviter que les couches de sédiments souillés ne se dispersent en étant remuées. »
On ne voit pas en l’état comment les draguages incessants du Rhône, qui n’ont jamais cessé, sauf à compromettre gravement son fonctionnement hydrologique, et celui des centrales nucléaires qu’il refroidit, pourraient éviter de provoquer le relargage des PCB contenus dans les sédiments du fleuve... Au total, comme depuis le début de la crise, l’Etat clame donc son impuissance et se contente d’annoncer des projets dont la mise en œuvre ne réglera à l’évidence rien...
L’atlas en ligne des sites pollués aux PCB en France
L’association Robin des Bois avait pour sa part publié sur son site le 22 mai 2008 un atlas en ligne des sites pollués par les polychlorobiphényles (PCB) en France.
Cette première, qui vise à informer le citoyen et les collectivités, soulignait déjà l’omerta qui continue à peser sur une catastrophe environnementale majeure.
Discrète, l’association Robin des Bois n’en réalise pas moins un remarquable travail de terrain depuis des lustres. Très impliquée dans les problèmes de pollution et de déchets, elle a ainsi déjà publié d’autres atlas de pollution, notamment par voie d’hydrocarbures.
Pour réaliser cet inventaire remarquablement documenté des sites français pollués par les PCB, l’association s’est notamment appuyée sur des bases de données officielles, dont la base Basol du ministère de l’Environnement et les Inventaires historiques régionaux des sites industriels, corpus complété par les enquêtes de terrain réalisées par Robin des Bois.
L’atlas référence ainsi 360 sites pollués, dont 17 sites de production classés "noir" par l’association, 39 sites classés "rouge" dédiés au stockage, au regroupement, à la maintenance et à l’élimination du PCB,
Auxquels s’ajoutent 240 sites "orange" de sols et remblais pollués, et 64 sites "jaune" de récupérations non autorisées de cuivre.
Pour chacun d’entre eux, l’atlas fournit des informations précises par le biais d’un lien internet, d’une synthèse, voire d’éclairages documentaires sur le contexte réglementaire et historique des arrêtés pris localement pour contenir ces pollutions.
Les pollutions y sont localisées par bassin versant. Leur origine et leur ampleur sont précisées dans le cas de collectivités fortement touchées.
A l’image de Lille, Limoges, Saint-Quentin, Corbeil-Essonne, Aix-les-Bains, ou les régions de Lyon et de Saint-Etienne, comme de Metz et de Mulhouse.
Auxquels s’ajoutent l’environnement des deux principaux sites historiques producteurs de pyralène (l’une des appellations commerciales du PCB) en France, situés à Pont-de-Claix et à Jarrie dans l’Isère, au bord de la Romanche et du Drac.
"La cartographie confirme que le Nord de la France jusqu’à la Wallonie est le plus touché, et que les bassins de la Seine et du Rhône, les lacs alpins, le Rhin, la Moselle, la Somme et leurs affluents recèlent des agrégats de sites PCB. Lesquels se recoupent souvent avec la contamination des sédiments aquatiques et la contamination des poissons telles qu’elles sont relevées par le ministère de l’Ecologie", note l’association dans cet atlas dont tout laisse malheureusement augurer qu’il est appelé à s’enrichir de nouvelles découvertes, trop longtemps dissimulées.
L’atlas des sites contaminés par les PCB de l’association Robin des Bois.
Le Rhône en 100 questions
La Zone Atelier Bassin du Rhône (ZABR) vient par ailleurs d’annoncer qu’à dater du 11 juin 2008, un livre collectif intitulé "Le Rhône en 100 questions" sera disponible gratuitement en téléchargement sur son site
L’ouvrage est né d’un besoin d’une meilleure information sur le grand fleuve, ressenti à l’occasion des Comités territoriaux de concertation et des Etats Généraux du Rhône réunis en 2005 et 2006 dans la phase préparatoire du Plan Rhône.
80 rédacteurs issus de la communauté scientifique et économique du bassin du Rhône ont accepté de se prêter au jeu du "Rhône en 100 questions", qui s’intéresse successivement au fonctionnement naturel du fleuve, à sa gestion, à ses aménagements, à sa qualité et à l’économie qu’il sous-tend, aux risques d’inondation et à son patrimoine écologique et culturel.
Voir :
« Comme un poison dans l’eau », Envoyé spécial, 22 mai 2008
Lire aussi :
Le Rhône pollué par les PCB : un Tchernobyl français ?
Carnets d’eau – Le Monde Diplomatique, 14 aout 2007.
Pollution du Rhône : 10 questions sur un désastre écologique majeur.
Les eaux glacées du calcul égoïste, 23 aout 2007.
« Le Rhône interdit : il est pollué jusqu’à la Méditerranée »
Le Nouvel observateur, 23 aout 2007.
Le « couloir de la chimie » sur la sellette
Les eaux glacées du calcul égoïste, 28 aout 2007.
Carnets d’eau – Le Monde Diplomatique, 30 aout 2007.
Le pyralène, poison des poissons du Rhône
Rue 89, 1er septembre 2007.
Pollution du Rhône : la video qui accuse
Les eaux glacées du calcul égoïste, 20 septembre 2007.
Pollution du Rhône : questions sans réponses
Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 septembre 2007.
The ’French Chernobyl’ that has poisoned the Rhône’s fish
The Guardian, 23 février 2008.
Des taux élevés de PCB trouvés chez des consommateurs de poisson
Le Monde, 29 mai 2008.
Le WWF met en garde contre la contamination de l’homme aux PCB
Le Monde, 29 mai 2008.
Lire : Fred Pearce, Quand meurent les grands fleuves, Enquête sur la crise mondiale de l’eau, Calmann-Lévy, 2006.