En à peine plus d’un mois, l’Inde puis le Japon ont, chacun, organisé avec éclat leur sommet Afrique. Une riposte en quelque sorte à celui que Pékin avait tenu en novembre 2006, et qui avait rassemblé quarante-huit chefs d’Etat ou de gouvernement du continent noir. Du jamais-vu en Asie.
Tokyo a donc mis les petits plats dans les grands pour recevoir les dirigeants des pays africains, dans la ville de Yokohama, du 28 au 30 mai. Avec succès. Pour cette quatrième édition de la conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Tokyo International Conference on African Development, connue sous le nom de Ticad), cinquante-deux pays étaient représentés – plus qu’à Pékin deux ans plus tôt. Le titre même de la rencontre résume le programme : « Vers une Afrique pleine de vie : un continent d’espoir et d’opportunités » (Towards a Vibrant Africa : Continent of Hope and Opportunity). Le tout avec l’appui de l’Organisation des Nations unies et de la Banque mondiale.
Le gouvernement japonais a décidé de doubler son aide publique au développement à destination de l’Afrique, pour la porter à 1,2 milliard d’euros d’ici à 2012. Il s’est également engagé à accélérer le programme alimentaire, en aidant à la production de riz avec l’objectif d’aller vers un doublement d’ici dix ans. Ce qui n’est certainement pas un détail quand on voit la flambée des prix des produits alimentaires. Mais dans son discours d’ouverture, le premier ministre Yasuo Fukuda a mis l’accent sur la « construction d’infrastructures lourdes (…) routières mais aussi portuaires ». De quoi contribuer au dynamisme du continent, selon son expression, mais surtout favoriser les activités des entreprises privées. « Quand les investissements directs en provenance du Japon augmentent, les transferts de technologies et du savoir-faire augmentent également », a assuré le premier ministre. Dans la foulée, un fonds de soutien pour les entreprises nippones voulant investir sur le continent noir a été créé. Il est doté de 5 milliards d’euros sur cinq ans.
De toute évidence, Tokyo veut rattraper son retard sur Pékin, bien que les autorités s’en défendent. « Nous avons organisé la première Ticad il y a quinze ans, à la fin de la guerre froide, quand l’intérêt vis-à-vis de l’Afrique était au plus bas niveau. A cette époque, personne ne pensait à une éventuelle rivalité avec la Chine pour l’approvisionnement en ressources », a expliqué M. Fukuda (« Japan, Africa pledge to ramp up food production », The Wall Street journal, 30 mai 2008). A l’époque sans doute. Mais aujourd’hui…
L’Inde n’est pas en reste, qui a tenu son premier sommet africain du 4 au 8 avril dernier. Plus modeste, il n’en fut pas moins important. New Delhi entend ainsi montrer au monde en général et à l’Asie en particulier qu’il faut désormais compter avec les investissements (publics et privés) indiens. L’opération vise aussi à séduire les dirigeants africains, qui demeurent déterminants dans les choix des investisseurs. Bien entendu, les grands groupes indiens étaient eux aussi invités à la fête… qui a commencé depuis quelques années déjà. En 2003, les échanges commerciaux entre l’Inde et l’Afrique s’élevaient à 6,5 milliards de dollars ; en 2007, à 25 milliards de dollars (lire Manjeet Kripalani et David Rocks, « India plays catch-up in Africa », Business Week, 26 mai 2008). Cela reste deux fois moins important que le commerce sino-africain, mais la courbe est impressionnante. D’autant que l’Inde comme la Chine concentrent leurs relations économiques sur cinq pays : l’Afrique du Sud, l’Angola, le Mozambique, la Zambie, le Zimbabwe. La concurrence peut s’avérer épique.
Bien sûr, l’approvisionnement en hydrocarbures et en matières premières constitue la principale motivation de cette course folle. La Chine a quelques longueurs d’avance et ne s’embarrasse guère de grands principes – pas plus d’ailleurs que l’Inde ou le Japon et, avant eux, les Etats-Unis ou la France (lire Jean Claude Servant, « La Chine à l’assaut de l’Afrique », Le Monde diplomatique, mai 2005). Toutefois, Pékin ne se contente pas de faire ses emplettes en ressources énergétiques et minières ou d’écouler ses marchandises bas de gamme et peu chères. Elle participe à la construction d’infrastructures (routes, ponts, ports, écoles…). Il est d’ailleurs significatif que les autorités nippones aient décidé d’investir dans ce domaine. Pour une Afrique cantonnée jusqu’alors aux « FMI’s boys » et aux « costumes–cravates » qui ont démantelé les services publics et écrasé les cultures nationales, cette arrivée change singulièrement le paysage. Cela explique le succès de ce que l’on a appelé le « soft power » chinois. Les vieilles chasses gardées américaines, françaises et autres sont désormais soumises à rude épreuve. Cela ne transforme pas pour autant les groupes chinois – publics ou privés – en chevaliers blancs de la croissance équilibrée et égalitaire. Loin s’en faut. Leurs méthodes suscitent parfois des réactions vives des populations : c’est le cas en Zambie, où, à la suite d’un accident minier en 2005 (cinquante morts), des manifestations antichinoises se déroulent régulièrement, en Afrique du Sud et dans d’autres nations.
La Chine a deux visages : celui de l’anti-FMI et de l’anti-Banque mondiale dont l’arrogance n’est plus acceptée (lire Joseph Stiglitz, « Le FMI, la preuve par l’Ethiopie », avril 2002), d’une part ; celui d’exploiteur des ressources naturelles et des travailleurs, de l’autre. L’un des mérites de Michel Beuret et Serge Michel dans leur dernier ouvrage La Chinafrique (photographies de Paolo Woods, Grasset, 2008) est de mettre en évidence ce double aspect, loin des clichés. Par là même, ils aident à comprendre ce qui se joue réellement. Une chose est sûre : « Jamais l’Occident ne s’est autant intéressé à l’Afrique que depuis que la Chine est partie à sa conquête », ainsi qu’ils le notent.
Première république maoïste du monde
Non seulement le Népal a troqué la monarchie, qui régnait sur le pays depuis deux cent quarante ans, pour une république fédérale, mais la rupture s’est opérée démocratiquement. C’est, en effet, au terme d’élections libres, non contestées, que le Parti communiste du Népal maoïste (CPN-M) est arrivé en tête – sans toutefois détenir la majorité absolue (lire Marie Lecomte-Tilouine, « De la guérilla à la démocratie au Népal », Le Monde diplomatique, mai 2008). Ce pays de vingt-huit millions d’habitants est désormais « un Etat indépendant, indivisible, souverain, laïque et une république démocratique », selon le texte voté par la nouvelle Assemblée constituante, qui précise que « tous les privilèges accordés par le roi et la famille royale cessent d’être valides à partir d’aujourd’hui », ce 29 mai, proclamé « jour de la République ». Un inventaire des propriétés du roi déchu Gyanendra a démarré, et le palais royal devrait être transformé en musée.
En principe, l’assemblée doit s’atteler à construire une Constitution qui devrait largement s’inspirer de celle de l’Inde, avec un président de la République plutôt honorifique, un premier ministre disposant de pouvoirs étendus. Le principe du fédéralisme est accepté par tous les partis. Mais les divergences demeurent sur les critères devant guider le découpage du pays.
Qui sont ces maoïstes passés de la guérilla au palais de la République, du treillis au costume-cravate ? Quel est leur programme ? Dans une interview à The Hindu, le dirigeant du CPN-M, M. Pushpa Kamal Dahal, dit Prachanda, apporte des éclairages importants (Siddarth Varadarajan, « The peoples’s mandate is for all parties to work together » ), 29 avril 2008). Il explique d’emblée que « le mandat du peuple est que toutes les parties doivent travailler ensemble ». Ce qui est encore loin d’être acquis.
Il soulève plusieurs questions, et notamment celle de la démocratie et de la participation des forces vives du pays. « Dans la démocratie formelle, les partis politiques dépensent de l’argent, il y a de la corruption, et le peuple n’est jamais partie prenante. (…) Nous voulons que les populations puissent s’engager et participer à la conduite de l’Etat, dans un contexte de compétition entre plusieurs partis politiques. Nous devons présenter des femmes, des dalits, des janajatis, des Madhesis [hors castes et peuples indigènes discriminés], des travailleurs et des paysans et construire une véritable démocratie ». Il aborde également les défis sociaux à relever et la délicate question de l’intégration des guérilleros de l’Armée de libération du peuple (ALP) dans les troupes officielles de l’Armée du Népal (AN). Cette dernière, explique t-il, « a besoin d’être démocratisée tandis que l’ALP doit être plus professionnelle. Dans ce sens, seuls ceux qui auront les compétences professionnelles pourront être intégrés à l’armée régulière, et les autres devront se tourner vers d’autres emplois. C’est très clair. L’AN a déjà précisé qu’elle se conformerait aux ordres de tout gouvernement élu, quel qu’il soit. C’est une bonne déclaration (…). ». Une commission chargée de cette intégration devrait se mettre en place. Quant aux effectifs « ils devraient se réduire. Dans un petit pays comme le Népal, nous n’avons pas besoin d’une grande armée. Mais il ne faut pas déstabiliser cette institution. La réduction devrait se réaliser en cinq à sept ans ». M. Prachanda récuse le rôle des Nations unies, qui devraient superviser le désarmement de l’ALP et son intégration dans le corps militaire officiel. A lire également, le second volet de cet entretien consacré aux relations avec ses voisins et notamment l’Inde (« We want new unity on a new basis with India »).
La Chine, le business et... Sharon Stone
Encore toute à l’enthousiasme de son opération business-charité où des milliardaires se donnent bonne conscience, chaque année à Cannes, en versant quelques deniers pour la lutte contre le sida, l’actrice Sharon Stone n’a pas hésité à commenter l’actualité. Le séisme du Sichuan (entre soixante mille et cent mille morts), a-t-elle assuré, n’est que la conséquence d’un mauvais « karma » dû à la politique des dirigeants chinois au Tibet. On appréciera la finesse de l’analyse. Les dirigeants chinois ont immédiatement protesté, annoncé le boycott des films avec l’actrice. Dior, dont Sharon Stone est l’égérie, a présenté de chaleureuses excuses et retiré ses affiches. LVMH, propriétaire de Dior et qui a pignon sur rue en Chine, où les milliardaires prolifèrent, ne badine pas avec ces choses-là.
Dans ce mic-mac invraisemblable, tout est condamnable. Les journalistes qui exigent des stars d’avoir une opinion sur tout à tout moment, comme si célébrité valait aptitude à l’expertise. Le gouvernement chinois, qui appelle au boycott (les lobbies américains en avaient fait autant quand la France a refusé de participer à la guerre en Irak – mais au moins, le gouvernement américain était officiellement resté en dehors) : les autorités pékinoises devront apprendre qu’il existe des pays où le droit de parler – même pour dire des énormités – existe sans engager leur gouvernement. Quant aux communiqués de la maison Dior, ils sont tout simplement pitoyables. Décidément, la Chine rend fou.