Dans un article publié le 6 juin dans Le Figaro et intitulé « Les juges turcs mettent la vie politique sous tutelle » Laure Marchand écrit :
« L’annulation par la Cour constitutionnelle, jeudi (5 juin), de la loi qui autorisait le foulard dans les universités constitue le dernier exemple de l’intervention de la justice dans l’arène politique. "La Cour montre que la souveraineté appartient au pouvoir judiciaire", titrait le quotidien Taraf. Pour les partisans de l’adhésion à l’Union européenne, c’est l’institution judiciaire dans son ensemble qui a besoin d’être réformée. "C’est la même mentalité qui conduit à poursuivre les intellectuels au nom de l’article 301 du Code pénal ou le Parti de la justice et du développement (AKP)", estime Orhan Kemal Cengiz, avocat à la tête d’une association des droits de l’homme. Car en Turquie, les magistrats assument un rôle politique et le droit est utilisé comme un instrument pour accomplir leur mission. » (...)
« La fondation Tesev a dressé le portrait-robot d’une corporation conservatrice, antilibérale et qui se méfie de l’UE. "Nous avons interrogé 51 juges et procureurs pour comprendre comment l’idéologie influençait leurs pratiques, explique Volkan Aytar. Leurs réflexes sont axés sur la sécurité." Ainsi, un juge sur deux considère que les droits de l’homme peuvent mettre en danger l’État, et la majorité pense que la défense de l’État doit passer avant celle du citoyen. La confiscation de milliers de biens immobiliers aux minorités chrétiennes s’inscrit dans cette logique. Pour les gardiens du dogme, égratigner la mémoire du fondateur de la République constitue un sacrilège. En mars, un professeur a été condamné à quinze mois de prison avec sursis pour insulte à l’héritage d’Atatürk : il avait critiqué le kémalisme, "davantage régressif que progressiste". »
« Cet idéal républicain doit aussi être protégé des "impérialismes" de Washington et de Bruxelles. Dans son acte d’accusation contre l’AKP, le procureur de la Cour de cassation accuse les États-Unis de soutenir un régime islamique en Turquie. Et "l’UE implique une redistribution complète des rôles, c’est-à-dire la fin de la suprématie de ceux qui sont désignés sur ceux qui sont élus, décrypte Orhan Kemal Cengiz. Les bureaucrates sont engagés dans une lutte à mort pour leur survie." »
Rappelons que des élections législatives ont eu lieu le 22 juillet 2007, provoquées par le refus de l’armée et de certains éléments "laïques" de voir accéder Abdullah Gül, un membre de l’AKP à la présidence. Lors de ce scrutin, l’AKP a obtenu 47% des voix, progressant de 12%. L’AKP, un parti que l’on peut qualifier de conservateur de centre-droit, est favorable à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.
Comme on peut le lire dans un article du Monde (5 juin), « La Cour constitutionnelle turque annule un amendement autorisant le port du voile à l’université »
« Le verdict de la Cour constitutionnelle constitue le pire scénario pour l’AKP. Cette même Cour devra également se prononcer dans les mois à venir sur une autre procédure, portant sur une interdiction du parti pour activités contraires à la laïcité. L’amendement sur le port du voile islamique sur les campus constitue d’ailleurs l’un des principaux arguments du procureur de la Cour de cassation qui a réclamé l’interdiction de l’AKP et une interdiction de toute activité politique de cinq ans pour soixante et onze de ses membres, dont l’actuel premier ministre, Recep Tayyip Erdogan. »
Lors d’une réunion tenue le , le parti AKP a condamné la décision de la Cour constitutionnelle, comme le rapporte AlJazeera.net dans un article « Turkey headscarf ruling condemned ».
« "La décision de la Cour constitutionnelle est une ingérence directe dans le pouvoir législatif du parlement et une violation ouverte du principe de séparation des pouvoirs" a déclaré Dengir Mir Mehmet Firat, le vice-préisdent du parti à l’issue de la réunion. »
Le site de la BBC rapporte les réactions de la presse turque le 6 juin, sous le titre, « Turkish press divided over headscarf ruling »
Ce qui se joue en Turquie, bien au-delà de la décision sur le port du foulard à l’université, c’est la démocratie dans ce pays. L’armée et la bureaucratie étatique garderont-elles la haute main sur toutes les décisions, y compris contre la majorité de la population ? L’évolution en Turquie pourrait aussi avoir des conséquences sur toute la région.
Sur l’islam en Turquie, on peut lire l’envoi « Vers une révolution de l’islam en Turquie ? »
Jours tranquilles à Ramallah
Directeur du tout nouveau centre culturel à Ramallah créé par la France en partenariat avec l’Allemagne, Gilles Kraemer part en Cisjordanie en 2004. Il va y rester trois ans, découvrant une société palestinienne « vivante et inventive malgré ses propres archaïsmes et la dureté de l’occupation de l’Etat hébreu ». Il en rapporte un livre de chroniques, pleines d’humanité et d’humour, qui rendent compte de la vie quotidienne, Jours tranquilles à Ramallah, Riveneuve éditions, Paris.