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La corruption dans le secteur de l’eau

Dans un rapport saisissant de 300 pages, publié par Cambridge University Press, l’ONG Transparency International dresse un état des lieux accablant des différentes formes de corruption qui gangrènent le secteur de l’eau dans le monde entier. Cette investigation sans précédent appelle à rompre avec des pratiques qui obèrent toute perspective de promotion d’un accès à l’eau équitable et de préservation de cette ressource précieuse entre toutes sur les cinq continents.

par Marc Laimé, 1er juillet 2008

Le rapport indique que « la pollution de l’eau n’est souvent pas sanctionnée à cause de la corruption, et les fonds liés à la gestion des ressources en eau se retrouvent dans les poches d’officiels corrompus ».

Ainsi de la Chine, où l’eau de plus de 75% des rivières qui traversent les zones urbaines est polluée pour cette raison.

La corruption existe aussi dans les secteurs de l’hydroélectricité et de l’irrigation, ainsi qu’au niveau des services publics et privés d’eau et d’assainissement, depuis l’élaboration d’une politique et l’attribution des budgets, jusqu’aux systèmes de facturation.

Elle intervient dans les pays riches lors de l’attribution des contrats pour la construction ou la gestion d’infrastructures municipales, un marché estimé à 210 milliards de dollars (133 milliards d’euros) en Europe de l’Ouest, Amérique du Nord et Japon.

Dans les pays en développement, le prix de connexion d’un foyer au réseau d’eau serait également supérieur de 30% à ce qu’il devrait être.

Le professeur Wangari Maathai, lauréat du Prix Nobel de la Paix 2004 et fondateur de Green Belt Movement, souligne en préface de ce rapport qui fera date l’importance de l’intégrité dans le domaine de l’eau :

« L’eau est le moteur indispensable au fonctionnement de la nature. Elle est au cœur même de nos systèmes écologiques. Elle est indispensable à notre santé et à la santé de tous. Elle est à la source de notre vie spirituelle. Elle relie tous les êtres humains par le biais des cours d’eau et le partage des sources d’eau. Elle façonne notre relation avec la nature à travers la politique et l’économie qui en découlent.

La gestion pondérée des ressources en eau est d’autant plus vitale à notre avenir tant le défi semble difficile à relever. Les visions énoncées dans le domaine de la gouvernance de l’eau entrent en compétition avec des valeurs et des intérêts divergents.

Toutefois il existe un point clair sur lequel tous convergent : nous sommes les seuls responsables de la crise globale de l’eau qui détruit les sources et les cours d’eau, coupe l’accès à l’eau potable à une grande partie de l’humanité, détruisant des vies et des moyens de subsistance dans le monde entier en continuant à provoquer des désastres écologiques homériques toujours plus nombreux.

Cette crise de la gouvernance est le fait de l’homme, elle est motivée par l’ignorance, l’appât du gain et la corruption, le pire de ses maux étant la corruption. Corruption rime avec pouvoir illimité. Elle donne à ceux qui détiennent le pouvoir les moyens de s’opposer aux règles fixées par les populations elles-mêmes et de les contourner.

La corruption dans le secteur de l’eau en est, tout au plus, préjudiciable. Elle permet aux puissants de s’affranchir des règles qui préservent les habitats et les écosystèmes, de gaspiller et de polluer l’eau dont dépendent des régions entières, de détourner l’argent destiné à fournir les plus pauvres en eau.

Non seulement la corruption empêche les petits exploitants d’avoir accès à l’eau nécessaire à l’irrigation des plantations, mais elle est responsable du déplacement des populations, et ce, en toute impunité lors de la construction de barrages. La corruption fait fi des accords patiemment élaborés pour le partage transfrontalier de l’eau, et elle permet aux populations les pauvres et les moins informées de mener des activités nuisibles à l’environnement et dommageables pour leurs propres moyens de subsistance.

Ainsi, les conséquences pour la durabilité environnementale, la cohésion sociale et la stabilité politique en sont d’autant plus retentissantes. Toutefois, il n’en demeure pas moins que la puissance funeste de la corruption menace de créer une situation dans laquelle les règles continuent de jouer en faveur de ceux qui détiennent le pouvoir et les efforts de réformes restent, quant à eux, lettre morte.

Par conséquent, la lutte contre la corruption dans le secteur de l’eau constitue une condition sine qua non pour juguler la crise mondiale de l’eau.

Face à ces enjeux de taille, le Rapport mondial sur la corruption 2008 de Transparency International ne pouvait pas tomber plus à propos. Ce rapport constitue un outil permettant de mieux appréhender les différentes formes que peut revêtir la corruption en décrivant, dans les détails, les dommages qu’elle engendre.

Enfin, par-dessus tout, ce rapport ne s’achève pas sur une note sombre, mais il présente des approches concrètes et utiles pour mener à bien le combat contre la corruption dans le secteur de l’eau.

En nul autre lieu qu’en Afrique est-il tout au plus choquant de constater les ravages persistants des crises globales de l’eau engendrées par la corruption. Une élite puissante et riche gère une région naturellement prospère dans laquelle vit une population des plus démunies et dénuée de pouvoir. Mais l’Afrique n’est pas un cas isolé.

Les études menées dans le monde entier, figurant dans ce rapport, démontrent clairement que la corruption dans le secteur de l’eau est un phénomène global. Il est global à la fois parce qu’il se manifeste dans toutes les régions du monde, confirmant ainsi que les pays industrialisés n’en sont pas moins concernés, mais aussi parce que cette crise est de la responsabilité internationale de toutes les parties prenantes ; des populations locales, des législateurs, des milieux d’affaires, de la société civile et des bailleurs de fonds.

Mon expérience de militant m’invite à penser que l’analyse présentée dans ce rapport apporte l’impulsion nécessaire au rapprochement urgent entre les gouvernements, les entreprises et les militants de la société civile qui luttent en faveur de plus de justice environnementale et moins de pauvreté, ainsi que pour encourager la bonne gouvernance afin de former une coalition solide pour combattre la corruption dans le secteur de l’eau.

J’ai toujours pensé que notre façon de gérer les ressources naturelles reflétait la puissance de nos sociétés. Comme le souligne ce rapport, nous avons tous la possibilité d’agir et de contribuer à cet effort. C’est en agissant ensemble que nous parviendrons à progresser ensemble de manière durable. Le bien-être de notre monde en dépend. »

Lire le rapport de Transparency International.

La corruption dans le secteur de l’eau

Marc Laimé

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