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Le boycott des JO n’a pas eu lieu

Les Jeux olympiques de 2008 sont bien ce qu’a voulu en faire la Chine : une sorte d’apothéose de sa puissance nouvelle. Le pays organisateur le doit à la passivité des grands médias et à la complicité du Comité international olympique. Une situation que même Reporters sans frontières, qui appelait au boycott de la cérémonie d’ouverture, ne remet pas vraiment en cause.

par Marie Bénilde, 21 août 2008

Et de trois, et de quatre… Tous les quatre ans, c’est le même décompte médiatique de médailles d’or tricolores à l’occasion des Jeux olympiques. Oublié le débat national sur la présence du président en exercice de l’Union européenne, Nicolas Sarkozy, à la cérémonie d’ouverture. Oubliée la crainte des démocraties occidentales d’apporter leur caution à un régime policier. Oubliées les élémentaires préventions des médias en matière de droits de l’homme en Chine. Ni Angela Merkel, ni Gordon Brown ni Jose Luis Rodriguez Zapatero ni même Silvio Berlusconi n’ont honoré de leur présence les fastes inauguraux des JO, le 8 août dernier. Mais qu’importe ! Quatre-vingts chefs d’Etat et de gouvernement avaient fait le déplacement, soit deux fois plus qu’à Athènes en 2004. Donc, que le spectacle commence … Place à la retransmission d’épreuves sélectionnées par les chaînes nationales en fonction du nombre de compatriotes sur la ligne de départ.

L’information sous contrôle

En fait de spectacle, force est constater que tout se passe comme l’entendaient les autorités chinoises. Les 21 600 journalistes étrangers dûment accrédités n’ont eu que très peu l’occasion de sortir du cadre étroit qui leur était réservé. L’agression, le 13 août, d’un journaliste de la chaîne britannique ITV, qui suivait une manifestation de quelques activistes pro-Tibet, a montré les limites de la liberté d’informer dans ce pays. Reporters sans frontières recense les multiples abus montrant qu’il n’y a « pas de trêve olympique pour les défenseurs des droits de l’homme chinois ». Dans la province musulmane du Xinjiang, au Nord Ouest de la Chine, deux reporters japonais ont été frappés tandis qu’un journaliste et un photographe d’Associated Press étaient interpellés. Une journaliste européenne installée à Pékin depuis plusieurs années a témoigné auprès de RSF des fortes pressions qu’elle subissait : les autorités la suivent dans ses moindres déplacements et arrêtent les Chinois qui lui accordent des interviews (1).

Les reportages existants sur le quartier de Qianmen, à Pékin, montrant ou faisant entendre des délogés de la ville – suite aux travaux réalisés pour les JO -, ne vont ainsi pas sans risque : ils peuvent conduire une femme comme Zhang Wei, une ancienne résidente, à se retrouver en détention après avoir seulement demandé le droit de manifester contre l’expulsion de sa famille. Mais il est vrai que Zhang Wei s’était exprimée dans des médias étrangers. « Dans ces conditions, nous sommes tous poussés à l’autocensure et nous refusons d’interviewer certains Chinois de peur qu’ils soient ensuite arrêtés », commente une journaliste auprès de RSF (2).

Le CIO balade les journalistes

Que dire du Comité d’organisation des Jeux si ce n’est qu’il concourt lui aussi ouvertement à ce climat d’autocensure ? Il suffit d’aller sur le site en français du CIO. Il y est narré, photos à l’appui, comment une douzaine de journalistes accrédités du centre de presse principal ont visité le 5 août la place Tiananmen « afin de jeter un coup d’œil aux arrangements floraux » (3). Nulle référence, de près ou de loin, aux manifestations durement réprimées de 1989. En revanche, on est heureux d’apprendre que « malgré la chaleur étouffante, journalistes et responsables ont passé l’après-midi en bordure de la place, posant une multitude de questions au sujet de la conception des parterres ». Le 17 août, les organisateurs de Jeux ont eu la plus grande peine à expliquer aux journalistes que s’il avaient annulé coup sur coup deux conférences de presse quotidiennes, ce n’était pas en raison des questions sensibles qui leur avaient été posées auparavant sur le Tibet, les droits de l’Homme ou les libertés publiques.

Mais après tout, ne serait-ce pas plutôt aux officiels chinois qu’il conviendrait de poser de telles questions ? Seulement voilà, le compartimentage journalistique autour des Jeux fait que ce n’est pas si simple. Difficile pour les journalistes d’échapper au conditionnement olympique avec ses multiples actualités du jour (forfait du coureur Liu Xiang, suivi des compétitions…). Du même coup, on se rend bien compte que tous les arguments développés par exemple par Daniel Bilalian relèvent bel et bien de la fable. Dans une présentation à la presse au printemps du dispositif des Jeux – où déjà aucune question de journaliste n’avait pu être posée –, le directeur des sports de France Télévisions avait rappelé que les journalistes sportifs envoyés à Pékin étaient d’abord et avant tout des journalistes. Donc, que si un événement inattendu se produisait, ils seraient en mesure de faire leur travail. Quant à la couverture de France 2 et de France 3, elle ne manquerait pas de faire ressortir les aspects moins reluisants de la Chine d’aujourd’hui, comme la politique d’expropriation dans les petits quartiers populaires.

La couverture médiatique

Certes, le travail sur la question « sociétale » a été fait, mais a minima. Les 400 professionnels envoyés par France Télévisions – journalistes et techniciens – se sont fort logiquement concentrés sur la couverture télévisuelle et Internet des Jeux. Avec cette particularité : le haut débit s’est désormais suffisamment développé sur le web pour permettre aux internautes de suivre les compétitions de leur choix (avec ou sans commentaire). Les grosses équipes dépêchées sur place ont donc surtout servi à améliorer la couverture technologico-journalistique des Jeux. L’Agence France Presse, qui compte 200 personnes sur place (dont 60 journalistes et 70 photographes), se targue ainsi de déployer un dispositif de transmission cent fois supérieur à celui utilisé à Athènes en 2004. Pour la première fois, elle dispose dune équipe dédiée à la vidéo afin d’abreuver en images ses multiples sites clients. De même, Thomas Curley, le PDG d’Associated Press, qui aligne 300 représentants pour les JO, annonce que son agence met l’accent sur le multimédia et qu’elle ajoutera à sa couverture sportive des «  reportages culturels car la Chine fascine les Américains en particulier (4) ».

Après la répression des manifestations de moines à Lhassa et dans plusieurs villes du Tibet, en mars 2008, la question avait été clairement posée, au moins pour la cérémonie d’ouverture : « Faut-il boycotter les JO ? ». On se souvient que Reporters sans frontières s’était saisi de cette affaire avec force démonstration de savoir-faire marketing au moment du passage de la flamme olympique à Paris. Pourtant, une question a été savamment ignorée par RSF, qui seule aurait été en mesure d’entraîner une prise de conscience politique du sort réservé aux défenseurs des droits de l’homme en Chine. On peut la résumer ainsi : et si les médias français boycottaient les Jeux, au moins partiellement, que se passerait-il ? On imagine les cris d’orfraie de tous ceux qui ne jurent que par le sport apolitique et ignorent les mises en garde de Roger Bambuck, l’ancien secrétaire d’Etat aux sports de 1989 à 1991, pour qui ces JO sont « le triomphe du cynisme ».

Les limites de Reporters sans frontières

Oui mais voilà, RSF ne peut rien exiger des médias français dans la mesure où Robert Ménard, son président, a pris le parti de ne pas s’aliéner les médias qui le font exister. Que se passerait-il dans le cas contraire : «  Nous risquons de mécontenter certains journalistes, de nous mettre à dos les grands patrons de presse et de braquer le pouvoir économique » (5). Donc, il n’est pas question pour RSF de mettre dans l’embarras les grands diffuseurs, France Télévisions et Canal +, qui ont versé 70 millions d’euros de droits audiovisuels pour retransmettre les Jeux. Le 5 avril, le Syndicat national des journalistes a bien tenté d’interpeller Patrick de Carolis, le président du groupe de télévisions publiques, sur la question de la liberté de l’information à Pékin. Mais le patron s’est contenté de répondre qu’il rejetait d’avance toute image en « faux direct » qui permettrait aux Chinois de caviarder un événement dérangeant.

Que Patrick de Carolis se rassure cependant : les Jeux sont tellement sous contrôle (un blindé veille même devant le centre de presse) qu’il est pour ainsi dire impossible que la moindre manifestation d’hostilité au régime chinois ait lieu à l’intérieur des installations olympiques. Bref, rien n’échappe aux visées du Parti communiste chinois et ces Jeux sont exactement ce qu’il en attendait : le triomphe d’une puissance économique, diplomatique et sportive (dotée du plus grand nombre de médailles d’or) où, dans la grande tradition de Tintin au pays des soviets, on ne montre que ce qu’on veut bien faire voir (y compris les palissades masquant les quartiers misérables).

L’important est sans doute que chacun y trouve son compte. Le groupe France Télévisions n’est pas en reste lorsqu’il se félicite dans un communiqué le 14 août : « Le bilan de cette première semaine de Jeux olympiques se révèle très positif pour les chaînes du service public. » Sans doute est-ce aussi cela que Roger Bambuck appelle le « triomphe du cynisme »…

Marie Bénilde

(1Voir l’article de RSF du 13-08-2008 sur www.rsf.org

(2Ibid.

(5Marianne du 5 au 11 mars 2001, extrait de Ces journalistes que l’on veut taire chez Albin Michel. On peut lire aussi le dialogue shakespearien ci-dessous entre Daniel Schneidermann et Robert Ménard, extrait d’Arrêt sur images du 11 avril dernier :

Robert Ménard : Oui, on a un rapport obligé avec les médias. Oui j’ai, nous avons besoin, j’ai besoin comme directeur de Reporters sans frontières de l’appui des médias, sinon on n’obtient rien car on n’a aucune autre force que les médias par rapport aux gens qu’on combat. Cette contradiction-là, moi je l’assume, et je sais qu’elle est difficile.

Daniel Schneidermann : Elle vous pèse ?

RM : Bien sûr qu’elle me pèse. Vous savez ce que je pense des médias ? Vous imaginez ?

DS : Français ?

RM : Mais bien sûr.

DS : Non, je ne sais pas, parce que vous ne le dites jamais.

RM : Oui, je ne le dis jamais. J’ai écrit une fois un livre qui s’appelle La Censure des Bien-Pensants. Ca m’a valu de tels problèmes avec les médias français et ça a tellement mis en jeu le travail de Reporters sans frontières que, oui, je m’abstiendrai, comme patron de Reporters sans frontières, de dire ce que je pense des médias français.

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