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Irak, nouvelles tensions avec les sunnites

par Alain Gresh, 27 août 2008

Les Etats-Unis vont-ils gagner la guerre en Irak ? Cette question est posée depuis plusieurs mois, surtout depuis que les pertes de l’armée américaine se sont considérablement réduites. Et que le gouvernement de Nouri Al-Maliki semble se renforcer. Pourtant, le grave attentat à la bombe du mardi 26 août, qui a tué au moins 25 jeunes recrues de la police dans la province de Diyala, montre que la situation reste fragile, cinq ans et demi après l’invasion américaine.

Comme l’écrit sur le site « Counterpunch » un des meilleurs journalistes sur l’Irak, Patrick Cockburn, dans son article « The big questions about Iraq » :

« La situation s’améliore sûrement, mais on ne comprend pas très bien, à l’étranger, ce que cela veut dire. Au plus fort du conflit confessionnel sunnite-chiite, 3 000 personnes étaient assassinées chaque mois. En juillet, ce chiffre est tombé à 900 selon le ministère de l’intérieur irakien, ce qui est mieux mais ne peut être qualifié de retour à la normale. Bagdad reste la ville la plus dangereuse du monde, et les sunnites et les chiites ne se rendent pas visite dans leurs quartiers respectifs. Le meilleur baromètre de l’instabilité en Irak est la capacité des 4,7 millions de réfugiés à l’intérieur et à l’extérieur du pays de rentrer chez eux. Cela fait environ un Irakien sur six qui a dû quitter l’endroit où il vivait. Ils vivent souvent dans des conditions misérables en Jordanie, en Syrie ou dans d’autres parties de l’Irak, mais, malgré tous les discours sur l’amélioration de la situation, ils ne peuvent pas encore retourner chez eux. »

Sur les réfugiés irakiens en Syrie, on lira, dans Le Monde diplomatique de septembre (en kiosques), l’article de de Theodor Gustavsberg, « Silencieux exil des Irakiens en Syrie ».

De nombreuses autres incertitudes demeurent en Irak, notamment sur l’accord que doivent signer le gouvernement de M. Maliki et les Etats-Unis sur le statut des troupes américaines après le 1er janvier, date de la fin du mandat donné par les Nations unies. Le gouvernement irakien a annoncé qu’un accord était prêt et qu’il prévoyait le départ des troupes américaines d’ici 2011 ; la Maison Blanche a démenti, disant qu’il restait encore plusieurs points à régler.

Sur son blog, « Just World News », en date du 22 août, Helena Cobban note que les sujets de désaccord entre les deux gouvernements ne portent pas seulement sur ce pacte de sécurité, mais aussi sur la politique gouvernementale à l’égard des milices sunnites (payées par les Etats-Unis pour combattre Al-Qaida).

Cette information, qui n’a pas été relayée par la presse française, est fortement répercutée par la presse anglo-saxonne. Elle est importante, puisque c’est le ralliement de ces milices sunnites, à la fin de l’année 2006, qui a permis aux Etats-Unis de réduire considérablement l’action d’Al-Qaida et le nombre d’attaques. Dans un article du New York Times du 22 août, « Iraq Takes Aim at U.S.-Tied Sunni Groups’ Leaders », Richard A. Oppel écrit :

« Le gouvernement irakien à majorité chiite est en train de mettre à l’écart de nombreux dirigeants sunnites des patrouilles citoyennes, les groupes d’anciens insurgés qui sont payés par les Américains et qui ont été un élément essentiel du déclin de la violence à travers le pays. »

« Dans la province rebelle de Diyala, des responsables militaires américains et irakiens ont affirmé avoir reçu l’ordre d’arrêter des centaines de membres du mouvement connu sous le nom de Réveil. (...) Au moins cinq responsables importants ont été arrêtés ces dernières semaines, selon des dirigeants de ce groupe. »

« Dans la partie ouest de Bagdad, d’anciens dirigeants insurgés affirment que les militaires irakiens recherchent 650 membres du Réveil, et que nombre d’entre eux ont fui les quartiers qu’ils avaient aidé à garder tranquilles. Bien que cette offensive paraisse viser un petit nombre de dirigeants que le gouvernement irakien considère comme les plus dangereux, des voix influentes s’élèvent pour démanteler totalement le mouvement soutenu par les Américains. »

« “L’Etat ne peut accepter les milices du Réveil”, a affirmé le cheikh Jalaladeen al-Sagheer, un membre chiite influent du Parlement. “Leurs jours sont comptés.” »

Ces informations ont été confirmées par le général David Petraeus, le commandant en chef des troupes américaines en Irak, dans un entretien donné à Leila Fadel, « Petraeus : Iraq slows hiring of former insurgents », (McClatchy Newspapers, 21 août).

Il a affirmé que « le gouvernement irakien était volontairement long à absorber dans ses forces de sécurité les dizaines de milliers d’anciens insurgés sunnites qui avaient rejoint les milices financées par les Etats-Unis », et que le gouvernement irakien avait créé des « obstacles » (stumbling blocks) pour absorber ces 99 000 hommes.

Mais il a ajouté que la semaine précédente, le général Llyold J. Austin avait reçu des assurances que le gouvernement tiendrait ses engagements de prendre 20% de ces hommes dans les forces de sécurité et de répartir les autres dans l’administration ou de leur donner une formation.

« Nous n’allons pas les abandonner, a affirmé Petraeus, et, comme je l’ai dit, le premier ministre Maliki s’est engagé à prendre soin d’eux. On peut comprendre que le gouvernement hésite à recruter d’anciens insurgés pour des postes dans ses forces de sécurité ou pour des postes de ministres... Mais c’est comme cela que se termine ce type de conflit. C’est pourquoi cela s’appelle la réconciliation. Elle ne se fait pas avec des amis, mais avec d’anciens ennemis. »

Sur son blog, « Abu Aardvark, » Marc Lynch note, le 25 août :

« Les accords de ces milices sunnites avec les Etats-Unis (pas avec le gouvernement irakien) ne signifient pas qu’elles ont déposé les armes ou oublié comment on se bat. Mais elles sont extrêmement fragmentées (selon Steve Biddle, on compte au moins 200 accords différents avec différents chefs), ce qui crée une difficulté politique majeure. L’absence de direction unifiée rend plus difficile de conclure et de respecter des accords, mais aussi de retourner en masse dans la clandestinité. Avec chaque groupe local qui suit ses propres intérêts, le premier ministre Maliki croit qu’il peut les diviser, cooptant certains, réprimant d’autres, comptant sur leur incapacité à l’action collective. Et, selon ce que m’a dit un important responsable militaire américain, si les groupes du Réveil décident de passer à l’action, Maliki aura une bonne excuse pour frapper encore plus fort. »

« Reste à savoir si les factions insurgées comme l’Armée islamique d’Irak garderont le contrôle des cellules et des petits groupes locaux (mais pas comme en 2005, avec leur alliance avec Al-Qaida - ce divorce est consommé et total selon mes informations). Même s’ils n’en sont pas capables, il ne sera pas difficile à des dissidents, même quelques milliers, de relancer fortement les combats. »

« Mais il y a un problème. Qu’arrivera-t-il si les anciens groupes du Réveil choisissent non pas de se retourner contre leurs “amis” américains, mais de se concentrer uniquement sur le gouvernement irakien ? Quel camp obtiendra le soutien des Etats-Unis ? Le mouvement du Réveil qu’ils ont créé et entretenu, ou le gouvernement irakien qu’ils ont créé et entretenu ? Cela pourrait mal tourner. »

Alain Gresh

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