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Nicolas Sarkozy et les « ruptures » de la politique étrangère

par Alain Gresh, 29 août 2008

Nicolas Sarkozy a prononcé le 27 août un discours devant les ambassadeurs français réunis à Paris. Il y reprend plusieurs aspects de sa politique internationale qu’il avait déjà développés l’an dernier devant le même aréopage. J’avais, à l’époque, qualifié d’« américaine » sa vision de l’Orient. Qu’en est-il cette année ?

Avant d’y venir, signalons la parution du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, La France et l’Europe dans le monde (PDF), rédigé sous la responsabilité d’Alain Juppé et de Louis Schweitzer.

Le président a commencé son discours en évoquant l’Afghanistan :

« Il y a dix jours, dix soldats français sont tombés en Afghanistan au cours de combats contre des terroristes talibans. Ils sont tombés au service d’une cause juste, dans le cadre d’une mission approuvée par l’ONU : la lutte contre le terrorisme, la lutte pour nos valeurs, pour la liberté et les droits de l’homme, dans un pays martyrisé par une barbarie obscurantiste. Souvenons-nous : les lapidations dans les stades, les mutilations, les droits des femmes bafoués. Nos soldats sont tombés pour protéger la France, pour protéger les Français de la menace directe du terrorisme, qui prend pour une large part sa source dans cette région du monde. C’est cela qui est en cause en Afghanistan. »

« Il y a un an, je vous disais ici même qu’un des principaux enjeux des années à venir serait d’éviter la confrontation entre l’Islam et l’Occident. Une confrontation que veulent provoquer ces extrémistes qui rejettent toute ouverture, toute modernité, toute diversité. Je vous disais que notre devoir était d’aider, d’encourager les forces de modération et de modernité en Afghanistan. C’est ce que nous avons fait et que nous continuerons de faire. »

Ce que le président ne dit pas, c’est que la guerre menée par l’OTAN depuis bientôt six ans a pour effet de renforcer les talibans, et non de les affaiblir. Les bombardements aériens, notamment, dont le dernier a fait plus de quatre-vingt dix morts civils, en majorité des femmes et des enfants, renforcent le rejet par la population de ce qu’ils considèrent comme une occupation étrangère (« L’ONU confirme le bilan de Kaboul sur la mort de 90 civils lors d’un bombardement américain », Le Monde, 27 août). Et il ne s’agit pas de bavures, mais bien d’une logique de guerre coloniale que je rappelais en juin 2007, dans « Quand la mort vient du ciel) ».

« Notre présence militaire, décidée à juste titre dès 2001, a été renforcée. La France joue tout son rôle, avec ses Alliés européens - 25 des 27 membres de l’Union -, américains, canadiens, turcs, pour stabiliser ce pays et pour empêcher le retour au pouvoir d’un régime allié à Al-Qaida. Ce renforcement, nous l’avons décidé dans le cadre de la nouvelle stratégie des Alliés, définie à l’initiative de la France au sommet de Bucarest. Elle reste valable : un engagement dans la durée ; une approche globale, civile et militaire, avec une coordination accrue de l’aide ; la nécessaire coopération du Pakistan ; mais surtout la prise en charge progressive par les Afghans eux-mêmes de leurs responsabilités de sécurité. C’est à mes yeux l’objectif prioritaire car c’est la première condition d’un succès dans la durée. Dans la région Centre, celle de Kaboul, c’est la France qui, depuis ce mois d’août, est chargée d’organiser, dans un délai maximum d’un an, ce transfert de responsabilités au profit de l’armée afghane. Dès demain, 28 août, la sécurité de la ville de Kaboul lui sera confiée. »

« Certains disent : il faut mettre l’accent sur la reconstruction. C’est ce que j’ai fait : notre aide civile a été doublée. Notre pays a organisé en juin dernier une conférence de soutien à l’Afghanistan qui a été un succès remarquable puisqu’elle a rassemblé quelque 20 milliards de dollars d’aide pour les prochaines années. »

« Bien sûr la situation reste difficile et dangereuse. Mais mesurons les progrès accomplis : des institutions démocratiques avec de nouvelles élections en 2009/2010 ; la scolarisation de près de 6 millions d’enfants contre 800 000 en 2001 ; un système de santé qui a permis de réduire la mortalité infantile d’un quart : ce sont 40 000 enfants sauvés chaque année ; dans tous les domaines, un progrès sans précédent de l’égalité entre hommes et femmes ; des infrastructures restaurées ; 4 000 kilomètres de routes construites… Qui croira que tout ceci aurait été possible sans notre présence militaire ? »

« Quelle serait l’alternative ? Un retrait militaire serait suivi du retour des talibans et d’Al-Qaida, et sans doute de la déstabilisation du Pakistan voisin. Ce n’est pas concevable. Soyons clairs : la France, membre permanent du Conseil de Sécurité, assumera ses responsabilités. Elle ne cèdera pas aux terroristes. Elle les combattra, partout où ils se trouvent, avec la conviction que le peuple afghan, appuyé par ses alliés, l’emportera sur la barbarie et pourra progressivement y faire face par lui-même. »

Ensuite, le président dresse un bilan de son action :

« Quinze mois nous donnent un recul suffisant pour porter un jugement sur les effets de ces ruptures en politique étrangère que j’avais annoncées pendant la campagne électorale. Je souhaite avec vous en établir un premier bilan dans cinq domaines majeurs. »

Première rupture : la relation avec les Etats-Unis et l’Alliance Atlantique.

« J’ai voulu situer, franchement et nettement, la France au sein de sa famille occidentale, restaurer une relation confiante avec le peuple et les dirigeants américains et rénover notre relation avec l’Alliance Atlantique. Pourquoi ? Pendant les décennies de contrainte bipolaire, comme pendant la décennie de situation unipolaire, il était juste et souhaitable que notre pays marque sa différence par rapport à Washington. Mais nous sommes entrés, depuis quelques années, dans une période radicalement différente, qui va durer plusieurs décennies et que je qualifierai d’ « ère des puissances relatives ». Non pas que les Etats-Unis aient perdu leurs formidables atouts ; mais l’ascension fulgurante de la Chine, de l’Inde, du Brésil, le retour de la Russie créent une situation nouvelle : aucun pays n’est plus en mesure d’imposer seul sa vision des choses ; les conditions objectives d’un nouveau concert des grandes puissances existent mais celui-ci reste à organiser. Comme reste à inventer le nouvel ordre international dont le monde a besoin pour traiter les problèmes globaux. »

« Dans cette période de transition, où les repères s’estompent, il m’a paru nécessaire d’affirmer avec netteté où la France se situe et quels sont les valeurs et les intérêts qui, pour elle, sont essentiels. Je note que plus personne, aujourd’hui, ne dit ou n’écrit que, ce faisant, la France a aliéné son indépendance ou perdu sa souveraineté. Mais il reste, dans l’esprit de certains, une inquiétude : la France ne risque-t-elle pas de perdre une part de sa marge de manœuvre ou de voir son image atteinte à travers le monde ? »

C’est un des tics du président d’affirmer que personne ne dit ou n’écrit le contraire de ce qu’il pense. Mais c’est absolument faux. De nombreuses voix, y compris dans la majorité, se sont inquiétées de ce retour de la France dans l’OTAN, et, quand il sera officialisé, sans doute au printemps prochain, on peut s’attendre – et cela est souhaitable – à un débat important.

« Je suis convaincu du contraire : la France, me semble-t-il, a gagné en crédibilité ; elle a accru sa marge d’action et sa capacité d’influence à l’intérieur comme à l’extérieur de sa famille. Le Sommet de l’Otan de Bucarest, en avril dernier, en a offert un parfait exemple : pour la première fois depuis la création de l’Alliance, le président des Etats-Unis a apporté un soutien public, clair et net, au projet de Défense européenne ; il l’a fait parce qu’il était convaincu qu’en portant ce projet, la France ne souhaitait pas affaiblir l’Alliance Atlantique, que les deux étaient complémentaires et non antagonistes. Les autorités polonaises et d’autres réputées “atlantistes”, pour la même raison, ont exprimé leur soutien à notre approche. »

Deuxième rupture : notre positionnement au Proche-Orient.

« Combien de fois n’ai-je pas entendu exprimer une crainte que je pourrais résumer ainsi : “Si vous affichez trop clairement l’amitié de la France pour Israël, me disait-on, nous allons perdre nos relations privilégiées avec le monde arabe… ”. J’ai toujours été convaincu que c’était le contraire qui était vrai. Restaurer une relation de confiance, forte et durable, avec les dirigeants et le peuple israéliens était, à mes yeux, naturel et la condition même d’un regain d’influence de la France au Proche-Orient. D’abord parce qu’on ne peut pas contribuer à la paix si l’on n’a pas la confiance des deux parties concernées. Ensuite, parce qu’on peut dire bien des choses lorsque l’on est reçu en ami. »

Depuis 2004 au moins (donc sous la présidence de Jacques Chirac), on a assisté à ce rapprochement avec Israël. Ce rapprochement s’est accentué avec Nicolas Sarkozy, mais on n’en a pas vu le moindre effet sur la politique israélienne, qui ignore les déclarations de principe françaises sur le caractère néfaste des colonies, mais engrange tous les avantages économiques et politiques liés au rapprochement israélo-français.

« Le discours que j’ai prononcé à la Knesset contenait plusieurs messages difficiles à entendre pour une bonne partie des députés et du peuple israéliens. Pourtant l’accueil fut des plus chaleureux, en Israël, mais aussi parmi les Palestiniens et dans tout le monde arabe. A une semaine de la présidence française de l’Union, au moment où la France s’apprêtait à rentrer dans le Quartet, il était important que notre pays exprime avec force et clarté son message, le même pour les deux parties : un message d’amitié, un message d’engagement, un message de vérité sur les conditions de la paix. »

Autre évolution majeure : nos relations avec la Syrie.

« Il y a un an j’avais affirmé l’importance de la réconciliation avec tous ceux qui sont prêts à évoluer. Nous avons commencé avec la Libye et nous avons poursuivi avec la Syrie. Là encore, que n’ai-je pas entendu ! A en croire certains, y compris à Washington soit dit en passant, la seule option offerte à notre diplomatie était l’isolement de ce pays. J’ai préféré m’engager dans une autre voie, plus risquée c’est vrai, mais plus prometteuse : celle d’un dialogue dans la clarté débouchant sur des progrès tangibles. Cela n’a pas été facile et l’absence d’avancée m’a conduit, le 30 décembre dernier, à suspendre tout dialogue jusqu’au développement que nous attendions, avec la Ligue Arabe : l’élection au Liban du Président Sleimane. »

Ce que le président ne dit pas, c’est que l’accord pour l’élection du président Sleimane s’est fait en l’absence totale de la France et qu’il prouve, contrairement aux discours du président et de son ministre des affaires étrangères, que Damas était prêt à un compromis.

« Mon entretien avec le Président Bachar Al Assad, le 12 juillet à Paris, a permis d’enregistrer deux nouvelles avancées : l’annonce solennelle de l’établissement de relations diplomatiques, pour la première fois dans l’histoire, entre Beyrouth et Damas ; et la décision de la Syrie de voir, le moment venu, la France co-parrainer avec les Etats-Unis la négociation directe syro-israélienne comme la mise en œuvre de l’accord de paix qui en résultera, y compris pour les arrangements de sécurité. »

La décision syrienne d’établir des relations diplomatiques avec le Liban n’a rien à voir avec une influence française. Elle était affirmée par les Syriens depuis de nombreuses années mais dépendait d’un accord entre les factions libanaises satisfaisant pour Damas. Pour plus de précisions, lire « Rencontre avec Bachar Al-Assad ».

« Là encore, la relation de confiance restaurée avec l’autre partenaire de la paix, Israël, comme avec les Etats-Unis, a joué un rôle majeur : c’est aussi parce que la Syrie sait que nous avons désormais les meilleurs rapports avec ces deux pays que Damas a voulu voir la France assumer, le moment venu, cette responsabilité sans précédent. Je me rendrai en Syrie les 3 et 4 septembre pour poursuivre, sur ces dossiers et d’autres, ce dialogue utile. »

« Mon espoir est que, dans un délai pas trop lointain, le Liban et Israël voudront à leur tour engager des discussions indirectes et que la France pourra contribuer à leur succès, à la demande des deux parties. Mais la validation la plus éclatante du nouveau cours de notre politique au Proche-Orient est venue avec le sommet de l’Union pour la Méditerranée, les 13 et 14 juillet. Lors du 10e anniversaire du processus de Barcelone, un seul dirigeant arabe avait accepté de faire le déplacement : le président Mahmoud Abbas. A Paris, tous les pays arabes invités, sauf un, étaient représentés au niveau des chefs d’Etat ou de Gouvernement. Fait sans précédent : tous étaient assis, avec le premier ministre d’Israël et les dirigeants européens, autour de la même table ronde. Ce grand projet est maintenant une réalité et la France, avec la co-présidence égyptienne, fera tout pour que les quatre réunions ministérielles qui se succèderont à l’automne permettent la mise en œuvre rapide des six projets ambitieux adoptés le 13 juillet. »

Les deux autres ruptures dont parle le président concernent l’Union européenne et l’Afrique.

Dans son discours, le président revient aussi sur le dossier iranien :

« Mais il est un autre dossier où l’Europe a pris l’initiative et continue de jouer un rôle majeur : l’Iran. Dès 2003, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France, avec le Haut Représentant, ont défini, au nom de l’Europe, une stratégie de dialogue et de sanctions, fondée sur une conviction : la communauté internationale ne peut pas accepter que l’Iran se dote de l’arme nucléaire. Rejoints par les Etats-Unis, la Russie et la Chine, les Européens doivent maintenir le cap avec fermeté et détermination et, faute de réponse de l’Iran, accroître les sanctions dans tous les domaines. »

« Pour deux raisons : personne n’a de meilleure stratégie à proposer et si nous devions échouer, chacun connaît l’alternative catastrophique devant laquelle nous serions placés et que je résumais l’an dernier en quelques mots : la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran. Je souhaite que le dialogue se poursuive avec l’Iran et que ses dirigeants prennent conscience de la gravité de l’enjeu pour leur pays. Je les invite à réfléchir au jugement que porteront les générations futures sur leurs choix d’aujourd’hui. Car c’est à l’Iran de choisir. Tout doit être mis en œuvre pour convaincre Téhéran de privilégier la coopération sur l’isolement et la confrontation. »

Dialogue Hamas-Jordanie

En 1999, les autorités jordaniennes avaient expulsé les responsables du Hamas installés sur leur territoire. Des contacts avaient déjà été rétablis après la victoire du Hamas aux élections palestiniennes de janvier 2006. Il y a quelques semaines, le chef du renseignement jordanien avait rencontré des cadres du Hamas. Différentes informations indiquent que Khaled Meshaal, le chef du Hamas, pourrait se rendre en Jordanie pour une visite, ce qui a suscité l’inquiétude de l’Autorité palestinienne.

Alain Gresh

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