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Un « New Deal » à la chinoise

par Martine Bulard, 11 novembre 2008

Contrairement aux idées reçues, le pouvoir chinois peut faire preuve d’une grande capacité à bouger – et bien plus vite qu’on ne le dit. Alors que l’économie connaît un net ralentissement depuis le début du deuxième semestre, le premier ministre Wen Jiabao vient d’annoncer, ce dimanche 9 novembre, un plan de relance d’une ampleur exceptionnelle – tant par le montant mobilisé, 4 000 milliards de yuans d’ici la fin 2010 (460 milliards d’euros), que par la diversité des politiques adoptées.

Le gouvernement a mis au point un « plan de dix mesures importantes » visant à mener « une politique fiscale active » et à «  relâcher modérément la politique monétaire » afin de stimuler la croissance.

Une première série de mesures définit, assez classiquement, un programme d’investissements publics et de grands travaux : développement de logements plus abordables financièrement, et notamment construction de logements locatifs pour « réduire le nombre de taudis » ; transports (construction ou agrandissement d’aéroports à l’ouest, chemins de fer, routes…), reconstructions dans le Sichuan après le tremblement de terre, environnement (préservation de l’eau, recherche dans les énergies renouvelables, la « grande muraille verte » …).

L’autre série de décisions vise à améliorer le système de protection sociale, de la santé et de l’éducation, en y consacrant des moyens supplémentaires, et à augmenter directement les revenus des Chinois les plus en difficulté (relèvement des cours des céréales et subventions aux paysans, augmentation des allocations aux habitants des villes à faible revenu, augmentation des contributions retraites pour les salariés…). Pour l’heure, rien n’est prévu pour les migrants – dont une partie, privés d’emploi pour cause de fermeture d’entreprises, doivent retourner dans leur village.

Enfin, un troisième ensemble concerne les entreprises. La plus importante mesure porte sur l’extension à toutes les sociétés de la réforme de la taxe sur la valeur ajoutée, « ce qui pourrait réduire le fardeau fiscal des entreprises de 120 milliards de yuans » (près de 14 milliards d’euros), note le communiqué officiel. C’est d’ailleurs la seule mesure chiffrée avec précision. A cela s’ajoutent des aides à la recherche, un « assouplissement des crédits bancaires » pour les « projets prioritaires » : développement des zones rurales, des petites entreprises, essor des nouvelles technologies et « rationalisations industrielles grâce aux fusions et acquisitions » (autrement dit aide à la concentration industrielle).

Ce vaste programme s’accompagne d’une baisse graduée des taux d’intérêts, amorcée à la mi-septembre et décidée à trois reprises (la dernière datant du 29 octobre). Au total, les taux se sont réduits de plus d’un demi point, atteignant 6,6% pour les taux de référence sur les prêts à un an : « Une réponse opportune à la baisse des taux d’intérêt décidée par d’autres banques centrales dans le monde et qui fait partie des efforts coordonnés visant à remédier à la crise financière globale », avait alors affirmé M. Tang Min, secrétaire adjoint de la Fondation de Recherche sur le développement de la Chine. La baisse des taux encourage les emprunts, alors que l’inflation qui volait de record en record, est en nette décélération, dépassant légèrement les 8 % depuis le début de l’année et même 6,5 % en octobre (sur un an). Elle sert également de signal pour l’extérieur, les autorités affirmant avec éclat leur refus de laisser filer le yuan à la hausse.

Des raisons multiples

Cette volonté des autorités chinoises de marquer un grand coup tient à plusieurs raisons.

La première est la réduction sensible des exportations, l’un des moteurs-clés de la croissance. Cette chute est liée bien sûr à la récession dans les pays industrialisés (Etats-Unis, Europe, Japon, Corée…), mais aussi à la perte de fiabilité d’une partie des produits « made in China », suite aux scandales à répétition (jouets dangereux, denrées alimentaires frelatées…) qui arrivent au plus mauvais moment. Nombre d’entreprises, notamment dans les zones exportatrices du sud, ont dû fermer leurs portes. Au total, la croissance est passée à un rythme annuel de 9 % ( contre 11,4 % l’an dernier) et certains économistes tablent sur une chute à 7 ou 8 %.

Or, à la différence de nations jusqu’à maintenant donneuses de leçons (Etats-Unis et France en tête), la Chine a les moyens d’une relance. Son excédent budgétaire atteint 1 181 milliards de yuans (134 milliards d’euros). Elle possède d’importantes réserves (2 000 milliards de dollars) dont une partie est conservée dans des fonds souverains et utilisée pour assainir le système interne (industriel et bancaire) tout en impulsant un renouveau. L’ensemble des décisions prises suffira-t-il à donner un nouveau souffle à l’économie du pays ? Il est évidemment trop tôt pour le dire.

La deuxième raison de ce « New Deal à la chinoise » est plus directement politique. Le parti communiste et ses dirigeants savent qu’ils conservent le pouvoir principalement parce qu’ils ont pu enrôler les couches moyennes naissantes – qui pourraient rompre le consensus en cas de chute de leur niveau de vie – et parce qu’ils ont réussi à maintenir l’espoir d’une vie meilleure pour les enfants des couches les plus défavorisées. Que la croissance chute en deçà des 6 % et 7 %, bouchant toute perspective d’avenir, et c’est tout l’édifice qui s’effondrerait. Les autorités sont particulièrement attentives aux populations des campagnes, qui ont vu leur pouvoir d’achat régresser et qui sont de plus en plus actives dans les mouvements sociaux.

La troisième raison est à rechercher du côté des ambitions géopolitiques de Pékin. Ce n’est pas un hasard si le gouvernement a fait connaître son plan avant le sommet du G20 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni, Russie (le G8), représentants de l’Union européenne, Afrique du sud, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique et Turquie). La Chine veut ainsi faire la démonstration qu’elle a les moyens de peser sur les affaires, de contribuer à la stabilité de l’économie mondiale, et qu’il faut donc compter avec elle. Elle entend également montrer qu’elle peut agir seule, en toute indépendance, sans l’injonction ni même l’imprimatur d’un groupe de pays à géométrie variable dont la composition dépend de l’administration américaine et qui n’est pas habilitée à décider quoi que ce soit.

Les BRIC se rebiffent

Les pays membres du groupe des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), réunis à Sao Paulo le 8 novembre, ont appelé dans un communiqué commun à une réforme des institutions monétaires et financières et notamment du Fonds monétaire international (FMI), afin de tenir compte de leur puissance nouvelle. La suprématie des grands du G7 est terminée. « Il est temps de conclure un pacte entre gouvernements pour bâtir une nouvelle architecture financière pour le monde », a déclaré le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva. Ce dernier a plaidé, quelques jours plus tard, pour un « nouvel ordre » économique mondial « dans lequel l’être humain, le travailleur, le développement et la production culturelle, scientifique et technologique seraient le vrai moteur de l’économie, et non pas la spéculation financière ». Très bon programme. Il y a fort à parier qu’il ne sera pas à l’ordre du jour du G20 qui se tient à Washington le 15 novembre. Pas plus que l’objectif de retirer aux Etats-Unis leur quasi droit de veto au sein du FMI (près de 17 % des droits de vote), pour le redistribuer aux nouveaux bailleurs de fonds mondiaux qui demeurent marginalisés dans cette institution : Chine (3,7 % des droits de vote), Russie (2,7 %), Inde (1,9 %) Brésil (1,4 %)… Le Monde diplomatique de novembre (en kiosques) consacre un dossier de huit pages à ce basculement du monde et à ses conséquences économiques, politiques, militaires, etc.

Martine Bulard

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