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Unité africaine

Le rêve inachevé de Miriam Makeba

par Jean-Christophe Servant, 14 novembre 2008

11 novembre, Paris. A la sortie du métro Ménilmontant, un Africain, légèrement éméché, chante Malaika. Quelques rues plus bas, dans un restaurant fréquenté par la communauté, Teemour Diop, fils du regretté réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambety, confie que sa fille, quatre ans, s’appelle… Malaika. Et que le dernier projet de son père portait le même nom. Trois exemples, en moins d’une demi heure, de l’importance qu’avait pour le continent feu Miriam Makeba.

La voix de la chanteuse sud-africaine, décédée ce 9 novembre à 76 ans, se défiait des frontières continentales et des barrières culturelles. De ses morceaux d’exil intérieur signés sur le label national guinéen Sylliphone à ses tubes (The Click Song, Pata Pata) diffusés par les maisons de disques occidentales en passant par son grand retour à domicile, sur le label sud-africain Gallo, Mama Africa fut la première artiste africaine d’envergure internationale.

Vu d’ici, on garde surtout en mémoire son long combat contre l’apartheid qui sévissait dans son pays natal. Sur le continent, on n’oublie pas non plus que l’ex-épouse du Black Panther Stokely Carmichael fut pour une génération — celle des après-indépendances — une éminente figure du panafricanisme. Miriam Makeba chanta en 1963 lors du sommet de l’inauguration de l’Organisation de l’Unité africaine à Addis Abbeba. Sa voix résonna aussi le jour de l’indépendance du Kenya ainsi que, plus tard, pour celle de l’Angola. A l’instar de Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Jomo Kenyatta, Julius Kambarage Nyerere, le Sekou Toure d’avant la meurtrière dérive dictatoriale, Amilcar Cabral ou Agostino Neto, Makeba était la chantre d’une Afrique unie, progressivement libérée de ses colonisateurs, et rêvant de marcher, de commercer et parler d’une seule voix face à ses partenaires du Sud et du Nord.

Depuis, si l’OUA est devenue en 2000 l’Union Africaine, elle n’a pas encore apporté la preuve que l’Afrique marche enfin d’un même pas. Pour une opération militaire conjointe au Darfour, combien en effet de points de discorde, de maladresses, de faux pas et de retards à l’allumage, qu’il s’agisse de contribuer à la résolution de la crise de gouvernance zimbabwéenne ou de prévenir le nouveau cycle meurtrier qui s’est emparé du Kivu congolais. L’Afrique, combien de dissensions et d’illusions perdues ?

Après le bilan en demi-teinte du sommet euro-africain organisé fin 2007 à Lisbonne, le continent donne une nouvelle fois l’exemple de sa désunion à l’occasion du sommet du G20 organisé le 20 novembre à Washington. Alors que l’Afrique du Sud y est invitée en tant que pays émergent, sept chefs d’Etat du continent, jugeant « inaceptable » que l’Afrique ne soit pas présente à ce sommet, ont de leur côté mandaté… le président congolais Denis Sassou Nguesso pour y délivrer un « plaidoyer pour l’Afrique à l’occasion de la réunion historique du 15 novembre ». (« G 20 : Faure mandate Sassou à Washington », communiqué de la République du Togo, 31 octobre 2008). A quel titre un chef d’Etat plus connu pour la défense de ses propres intérêts que ceux de son peuple, se retrouve t-il bombardé porte-parole ? Serait-ce parce que ce sommet a été « initié » par un ami d’ami, le président en exercice de l’Union européenne, le Français Nicolas Sarkozy ?

Cette Afrique chorale, qui a pourtant applaudi d’une seule voix l’élection de Barack Obama à la tête des Etats-Unis, on la retrouve aussi dans la nébuleuse des organisations économiques continentales. L’intégration a beau être sur toutes les lèvres des architectes de l’Union, l’arbre du nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, le Nepad, planté en 2001, continue en fait à cacher une forêt aussi touffue que subtile d’organisations régionales. Des quinze Etats réunis sous la bannière de la Cedeao aux dix-neuf membres du Comesa, on n’en compte pas moins d’une trentaine, parfois dotées d’institutions calquées sur le modèle européen, quelquefois d’un organe de défense et de sécurité, souvent ambitionnant de contribuer à la naissance d’une monnaie unique régionale, et aspirant toutes, in fine, à faire circuler sans entraves culturelles ni barrières commerciales les produits tout autant que les hommes (voir « Abécédaire des organisation internationales », La Documentation Française). Chaque nation d’Afrique subsaharienne est ainsi au moins signataire de quatre traités censés fluidifier les échanges économiques et humains entre pays voisins. Le problème, c’est que plusieurs de ces traités semblent avoir été exclusivement mis en place pour profiter d’abord et surtout aux ambitions du pays qui en fut le maître d’œuvre : c’est le cas de la Libye avec la communauté des Etats sahelo-sahariens ; voire de la France, avec une communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale (Cemac) qui regroupe entre autre les Emirats pétrototalitaires du Congo, du Gabon, de la Guinée Equatoriale, et du Tchad…

Y aura t-il un avant et un après-22 octobre 2008 ? Jusqu’à cette date, l’Afrique subsaharienne offrait le spectacle navrant d’un monde tiraillé entre zones d’influence culturelle diverses (lusophone, anglophone, francophone) et puissances régionales cherchant de plus en plus âprement à s’accaparer des parts du nouveau marché généré par le retour de la croissance (Afrique du Sud, Nigeria, Angola...). Ce jour-là, dans l’indifférence occidentale quasi générale, une exceptionnelle rencontre tripartite s’est tenue à Kampala. Pour la première fois depuis la naissance de l’Union africaine, des composantes-clés de la communauté économique africaine, instituée en 1991 à Abuja, se réunissaient pour discuter des procédés sur l’intégration et l’harmonisation africaine. Un sommet, selon les propres mots de son hôte, le chef d’Etat ougandais Yoweri Museweni, destiné à vaincre « le plus grand ennemi de l’Afrique et la source de sa plus grande faiblesse : la désunion et le faible niveau d’intégration politique et économique ». A Kampala, trois blocs économiques et commerciaux d’Afrique de l’Est et australe — Communauté est-africaine (EAC), Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) et Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) —, pesant un PIB global de quelques 624 milliards de dollars, ont convenu d’entamer immédiatement le processus menant à terme à la création d’une unique communauté économique régionale. Le chemin, évidemment, sera long. Ce ne sont pas les inimitiés qui manquent, ni les craintes, justifiées, de certains pays à l’encontre des appétits dont font preuve certaines puissances régionales. Ils sont ainsi de plus en plus nombreux, en Afrique australe, à s’inquiéter de la montée d’un « impérialisme » sud-africain. A l’issue du sommet de Kampala, un premier rendez-vous a été fixé dans un an. Il sera alors temps de juger si le 22 octobre 2008 aura effectivement été une date historique.

A terme, cette politique d’harmonisation commerciale destinée à intégrer vingt-six pays dans un marché unique (« African Free Trade Zone is Agreed », BBC Africa, 22 octobre 2008) pourrait contribuer tout autant à l’établissement d’une politique agricole commune qu’à renforcer et développer les corridors commerciaux ouvrant sur l’océan Indien. Que cette communauté de 526 millions de citoyens s’étale sur une bordure orientale, courant de l’Egypte à l’Afrique du Sud, n’est bien sûr en rien fortuit. Ce superbloc de libre échange où les frontières seront peut être, un jour, abolies, et qui espère peser un jour d’une seule voix — en anglais, voire en swahili ? — lors de futurs accords internationaux, est clairement tourné vers l’Inde et la Chine, cet Est « où le soleil se lève », pour reprendre l’expression du Zimbabwéen Robert Mugabe. A la Communauté économique d’Afrique de l’ouest (Cedeao) de montrer qu’elle n’est pas, elle, implantée du « côté où le soleil se couche », pour paraphraser à nouveau l’homme fort d’Harare (« Cedeao, l’interférence étrangère entrave l’intégration régionale », agence Xinhua, 10 septembre 2008). « La belle bête qui dort », selon les propos du politicien burkinabé Jean de Dieu Somda, vice-président de la commission de la Cedeao, tiendra t-elle sa dernière promesse — lancer une monnaie unique en 2009 ?

Le rêve panafricain de Miriam Makeba, qui parlait aussi bien français qu’anglais, est encore loin d’être concrétisé. Mais les lignes semblent avoir bougé à Kampala. C’est bien sûr le libéralisme et le pragmatisme économique qui ont primé ; mais, pour la première fois depuis les indépendances africaines, trois organisations sous-régionales fusionnent. Reste désormais au continent à se trouver, lui aussi, un nouveau leader providentiel digne de ses défunts pères. Un homme, ou une femme, capable de mobiliser les opinions autour d’une vision et d’une ambition panafricaines qui ne soient pas seulement régies par la loi du marché. Même oubliée au sommet de Washington, l’Afrique n’a en effet jamais été autant en position de force pour s’unir et proposer d’autres modèles d’intégration. En particulier celle qui est bordée par l’océan Indien..

Jean-Christophe Servant

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