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« Madagascar 2 », chercher la petite bête…

par Evelyne Pieiller, 28 janvier 2009

Non, il ne s’agit pas de faire du mauvais esprit. Pas vraiment. Encore que, par les temps qui courent, une dose quotidienne de soupçon critique agrémentée d’un zeste d’ironie rigolarde ne peut que contribuer au bon fonctionnement des neurones et à la préservation de l’équilibre intime.

Il ne s’agit pas de faire du mauvais esprit, simplement de s’étonner par-ci par-là, ce qui, comme chacun sait, invite à la réflexion. Franchement, il y a de quoi être intrigué par la déferlante d’animaux de tout poil, si l’on ose dire, qui occupe depuis quelque temps les écrans. Succès terrassant, les familles sont charmées, les tiroirs-caisses aussi. Mieux, il y en a pour tous les goûts. Les films d’animation proposent des histoires folâtres sans autre prétention que divertir, les films documentaires instruisent en émerveillant : pur bonheur innocent. A quoi pourrait rimer de chercher…la petite bête ? Madagascar 2, dont l’exploitation n’est pas finie, se classe au troisième rang des films préférés des Français, après Bienvenue chez les Ch’tis, et Astérix aux Jeux Olympiques.

Dans l’opus précédent, sobrement intitulé Madagascar, on avait fait la connaissance d’une bande de copains, un lion, une girafe, un zèbre et une femelle hippopotame, qui quittent leur zoo de New-York pour tenter de gagner leur terre natale : ils « rêvent d’une autre vie ». Des pingouins assez survoltés mais remarquablement organisés entendent également rejoindre leur pays d’origine : ils se retrouvent tous, erreur (surtout pour les pingouins), à Madagascar, où ils font l’expérience de la vie « sauvage ». Vive la liberté, y compris celle d’être rendu à sa vraie nature ?

Mais Alex le lion n’aime pas du tout sa vraie nature. Il est complètement déprimé de ne plus voir dans son copain le zèbre qu’un repas sur pattes. Il se préférait star du zoo, accoutumé à séduire les badauds par ses danses et à être nourri à heures fixes. Il préfère mourir plutôt qu’être une brute, réduite à son instinct. Mais l’amitié sera plus forte que l’instinct. Ah ! Il y a des prédateurs-nés, il y a des proies-nées, c’est la nature, mais les bons sentiments peuvent l’emporter… La « loi de la jungle » est une vérité, mais l’amour est plus fort. On est ému.

Quoi qu’il en soit, la bande des quatre, plus les pingouins (fort peu altruistes et vraiment épatants), aspire à retrouver New-York, son zoo et ses douceurs. Tant pis pour la Nature, la Vie Sauvage et la Liberté. Encore une erreur, ils atterrissent en Afrique. Où Alex retrouve ses parents, et où sévissent des amateurs d’émotions fortes, eux aussi new-yorkais, des « gagnants », des vrais, des prédateurs pugnaces qui parviendront presque à transformer Alex en grillade. Mais si la Vie Sauvage s’avère ici aussi pleine de dangers, elle a désormais une irrésistible douceur : car Alex impose sa dansante « nature », celle d’un artiste, au-dessus des obligations de l’instinct, la girafe et l’hippopotame se déclarent leur flamme, « l’amour transcende toutes les différences », et tous ensemble contribuent à sauver leurs frères en « libérant » l’eau salvatrice d’un barrage. On est re-ému.

On pourrait presque résumer l’ensemble en disant que la danse et la fraternité sauveront le monde – à moins que ce ne soit l’Afrique ? Il semble bien en tout cas que cette vision du bonheur pour tous et de l’épanouissement de chacun soit en merveilleux accord avec ce que le néo-libéralisme a de plus tendre…

Pour finir, on ne peut s’empêcher de rappeler que La Marche de l’Empereur, dont le succès a été fulgurant aux Etats-Unis, fut, comme l’expliqua en 2005 le New York Times, fortement soutenu par la droite protestante, qui affirma avec entrain que ce documentaire défendait la famille et le « droit à la vie », et par les « créationnistes », qui affirmaient que le comportement des manchots était d’une telle complexité qu’à l’évidence, il ne pouvait être dû à l’évolution.

Et, ma foi, il est vrai que lorsqu’on voit, pour citer un documentaire récent, Les Ailes pourpres, consacré aux flamants qui vont se reproduire sur le lac Natron, en Tanzanie, on est saisi d’un doute : serait-on en train de nous confronter au « Grand Dessein » ? A cette merveilleuse astuce qui vient remplacer le créationnisme pur et dur, en nous permettant d’admirer l’étonnante adéquation des besoins et des ressources ? En Tanzanie, donc, « berceau de l’humanité », « la nature nous révèle l’un de ses derniers grands mystères » : la naissance, la vie et la mort d’un million de flamants, qui, dans « un des derniers sanctuaires de notre Terre », sur ce lac quasi solidifié en sel, viennent, quand tombe la pluie, se nourrir d’une algue qui leur donne leur couleur, et nidifier dans la boue. Tant d’obstacles, tant de coïncidences, tant de beauté…Il faut ce lac-là, hostile, cette pluie, exceptionnelle, cette combinaison unique de sel, de chaleur, d’algue, pour que naisse le flamant pourpre, qui connaîtra l’amour de ses parents, les difficultés de la survie, l’envol enfin…

C’est là la première œuvre de Disney Nature. Disney, qui ne règne plus sans partage sur le film d’animation, mais doit compter avec Dreamworks et la Fox. La loi de la jungle…

Evelyne Pieiller

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