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Obama et l’Afghanistan-Pakistan

par Alain Gresh, 29 mars 2009

Les consultations autour de la situation en Afghanistan s’intensifient. L’Iran et les Etats-Unis ont envoyé des observateurs à la conférence de Moscou réunie le 27 mars sous l’égide du groupe de Shanghai (Russie, Chine, et quatre pays d’Asie centrale) et qui visait à stabiliser la situation en Afghanistan. Y participaient également le secrétaire général des Nations unies, des représentants de l’OTAN et de l’Organisation de la conférence islamique. La Russie a confirmé son autorisation de permettre le transit par son territoire de cargaisons non miliaires destinées à la force internationale en Afghanistan.

Le 31 mars se tiendra à La Haye une réunion internationale sur l’Afghanistan. A cette réunion, l’Iran a été invité et ce contact entre Téhéran et Washington permettra de mesurer les progrès de la détente entre les deux capitales depuis les ouvertures du président Obama.

Le 27 mars, le président Barack Obama a présenté sa nouvelle politique concernant l’Afghanistan-Pakistan, « A New Strategy for Afghanistan and Pakistan ». L’intervention du président était fondée sur un étude coordonnée par Bruce Reidel, un ancien de la CIA, White Paper of the Interagency Policy Group’s Report on U.S. Policy toward Afghanistan and Pakistan (PDF).

« Je veux que le peuple américain comprenne que nous avons un but clair et précis : déranger, démanteler et défaire Al-Qaida au Pakistan et en Afghanistan et les empêcher durablement de revenir dans les deux pays. C’est le but que nous devons atteindre. Il n’y a pas de cause qui pourrait être plus juste. »

Le président a annoncé l’envoi, en plus de 17 000 soldats supplémentaires, de 4 000 « instructeurs » qui seront chargés de former l’armée et la police afghanes dont les effectifs devront être portés respectivement à 134 000 et 82 000 hommes d’ici 2011.

« Cet effort, a poursuivi le président, doit être accompagné par un effort dramatique dans le domaine civil. L’Afghanistan a un gouvernement élu, mais il est miné par la corruption et a du mal à assurer les services de base à son peuple. L’économie est menacée par un commerce de la drogue florissant qui encourage la criminalité et procure des fonds aux insurgés. » (...)

« Aussi pour avancer dans ces objectifs de sécurité, d’opportunités et de justice – pas seulement à Kaboul mais aussi dans les provinces – nous avons besoin de spécialistes de l’agriculture, mais aussi des éducateurs, des ingénieurs et des juristes. C’est ainsi que nous pouvons aider le gouvernement afghan à servir son peuple et à développer une économie qui n’est pas dominée par les drogues illégales. Et c’est pour cela que j’ai ordonné une augmentation substantielle du nombre de civils sur le terrain. C’est aussi pourquoi nous devons chercher auprès de nos partenaires et de nos alliés, des Nations unies et des organisations d’aide internationales un effort dans le domaine civil – cet effort, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton cherchera à l’obtenir la semaine prochaine à La Haye ».

« Dans cette période de crise économique, a poursuivi Obama, il est tentant de croire que nous pouvons diminuer cet effort civil. Mais ne vous trompez pas : nos efforts en Afghanistan et au Pakistan échoueront si nous n’investissons pas dans le futur. »

La presse américaine souligne la continuité entre cette politique et celle de son prédécesseur Bush.

Karen DeYoung écrit un article dans le Washington Post (28 mars), « Obama Outlines Afghan Strategy. He Pushes Stability and Regional Partnerships » :

« Le président Obama a présenté sa nouvelle stratégie pour l’Afghanistan et le Pakistan avec l’évocation de menaces qui rappellent celle formulée par l’administration Bush. “Les terroristes qui ont planifié et organisé les attaques du 11-Septembre”, a-t-il dit, continuent à comploter pour “tuer autant de nos concitoyens que possible”. » (...)

« Mais Obama tente de séparer cette approche du problème de celle des années précédentes, marquées par l’absence de continuité et des échecs politiques alors que le président George W. Bush orientait son attention et les ressources américaines vers l’Irak. Obama s’est engagé à se mobiliser sur le Pakistan et à construire un meilleur “partenariat” avec son gouvernement et ses militaires. » (...)

« Obama a affirmé que ce qui se passait au Pakistan était “indissociablement lié” au succès en Afghanistan. Le Pakistan, a-t-il dit, “a besoin de notre aide pour poursuivre Al-Qaida”, dont la direction, avec d’autres groupes insurgés, est installée dans les montagnes accidentées à la frontière de l’Afghanistan. “La capacité du gouvernement pakistanais de détruire ces bases sûres est liée à sa propre force et sécurité”, a poursuivi Obama. Il s’est engagé pour une aide de 7,5 milliards de dollars, pour de nouveaux équipements militaires et une constance dans cette politique et ces efforts. »

« “Mais, a-t-il poursuivi, après des années de résultats incertains, nous n’accorderons pas un chèque en blanc. Le Pakistan doit faire la preuve de sa détermination à éradiquer Al-Qaida et les extrémistes violents qui sont le long de sa frontière. Et nous insisterons pour que des actions soient prises, d’une manière ou d’une autre, quand nous aurons des informations concernant des objectifs terroristes de haut niveau.” »

« Bien que l’administration ait intensifié les attaques de missiles d’avions sans pilote Predator contre des objectifs de l’autre côté de la frontière, il ne semble pas qu’elle ait repris les attaques terrestres par les Forces spéciales et la CIA que l’administration Bush avait autorisées l’été dernier. »

Au même moment, la presse américaine relayait des informations comme quoi des responsables des services secrets pakistanais aidaient les talibans dans leurs opérations contre l’Afghanistan (« Afghan intel chief : Pakistan spies support Taliban », International Herald Tribune, 26 mars.)

Cet effort américain supplémentaire se traduira sur le terrain : à l’issue des nouveaux déploiements, les troupes américaines représenteront deux tiers des effectifs étrangers déployés (contre seulement un tiers pour l’OTAN). Il semble que Barack Obama ait renoncé à obtenir plus de troupes européennes, demandant plutôt à ses alliés d’accélérer leur aide à la formation de la police et au développement du pays.

Il est peu probable pourtant que cette nouvelle ligne permette la réussite de cette « mission impénétrable » (voir « Afghanistan-Pakistan, “mission impénétrable” ») que dénonçait William Pfaff.

Nancy A. Youssef et Margaret Talev, du Miami Herald (28 mars), trouvent que le dossier pakistanais a été mal traité par le président (« Obama’s Afghan Plan Does Little To Fix Pakistan ») :

« Obama a formulé un plan bien moins ambitieux pour le Pakistan, bien que ses principaux conseillers militaires et du renseignement pensent que ce pays est au centre du problème. Dans son discours, le président a qualifié la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan de “région la plus dangereuse du monde” pour la sécurité des Etats-Unis. »

(...)

« Des responsables américains officiels affirment que des officiers des services de renseignement maintiennent des liens étroits avec les talibans afghans et pakistanais. Il semble que l’un des éléments de la stratégie d’Obama en direction de l’Afghanistan est de convaincre son armée que les Etats-Unis ne partiront pas de la région comme ils l’ont fait dans les années 1990, mais resteront jusqu’à ce que l’Afghanistan devienne un pays sûr. Un des éléments essentiels dans la recherche par Obama de la stabilité est, selon ce qu’a affirmé un officier du renseignement américain vendredi, “de convaincre les Pakistanais qu’il n’y a aucune bonne raison pour laquelle ils devraient investir dans (s’allier avec) les talibans”. »

L’éditorial du quotidien Le Monde, (28 mars) est consacré à « Obama l’Afghan ».

« Si rupture il y a dans l’approche américaine, c’est surtout dans une évaluation plus réaliste des réalités régionales : les racines du conflit afghan se situent largement au Pakistan, où les chefs d’Al-Qaida et de la mouvance talibane ont établi des sanctuaires. Or l’impunité dont ils jouissent n’existerait pas sans la complicité des services secrets d’Islamabad. La bonne solution est-elle de tripler l’aide au Pakistan, comme l’a annoncé M. Obama, et une telle approche est-elle conciliable avec un accroissement des frappes militaires contre des cibles situées au Pakistan ? »

« Le président américain a récemment reconnu que la situation sécuritaire connaissait une dérive en Afghanistan, tout en soulignant qu’il fallait songer à une stratégie de sortie. “Obama l’Afghan” est en train de mesurer à son tour que la tâche consistant à pacifier un pays qui a tenu en échec plus de 100 000 soldats soviétiques ne sera pas aisée. »

Sommet arabe

A l’occasion du sommet arabe qui s’ouvre le 30 mars à Doha, la chaîne de télévision Al Jazzera English consacre son émission « Empire » à un débat sur l’unité arabe à l’ombre des empires (« Empire, Arab Unity in the Shadow of Empires »). Cette émission, animée par Marwan Bishara, et à laquelle j’ai participé aux côtés de Mounir Chafik, Robert Fisk et Michael Hudson, est visible sur le site de la chaîne.

Alain Gresh

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