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Où en est la guerre en Irak ?

par Alain Gresh, 14 avril 2009

C’est dans une grande indifférence qu’a été « célébré » le sixième anniversaire de la guerre américaine contre l’Irak, entamée en mars 2003 par l’administration du président George W. Bush. Le conflit est désormais considéré par nombre de médias comme terminé, le retrait des troupes américaines devant s’achever au plus tard à la fin 2011 (celui des troupes combattantes avant septembre 2010), selon l’accord signé entre les deux capitales après bien des péripéties.

Le 9 avril, sixième anniversaire de la chute de Bagdad, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Bagdad, à l’appel du leader chiite Moqtada Al-Sadr, pour demander le départ des troupes américaines. Un des assistants de Moqtada a déclaré : « Nous demandons que le président Obama soit aux côtés du peuple irakien en respectant sa promesse de mettre un terme à l’occupation. » Shi’ite Protest Marks 6th Anniversary Of The Fall Of Bagdad », par Qassim Abdul-Zahra, Boston Globe, 10 avril).

Selon le Los Angeles Time du 11 avril, le coût du conflit irakien aura dépassé à la fin de l’année celui du conflit vietnamien : 694 milliards de dollars, contre 686 pour le Vietnam (données corrigées en fonction de l’inflation — « Iraq War’s Cost To Pass Vietnam’s », par Julian E. Barnes).

La semaine qui vient de s’écouler a été particulièrement sanglante. Lundi 6 avril, une série d’explosions à Bagdad a tué des dizaines de personnes. Mardi et mercredi, des bombes dans la capitale du district de Kadhemiyah ont tué au moins quinze personnes. Et vendredi, au moins sept personnes, dont cinq soldat américains, ont été tuées à Mossoul. Ce qui inquiète les autorités et les Etats-Unis, c’est le risque de voir les 100 000 miliciens sunnites enrôlés dans la guerre contre Al-Qaida revenir à la lutte armée : les promesses qui leur ont été faites, selon lesquelles ils seraient intégrés à l’armée ou à la police, ne semblent pas tenues.

Sur les incertitudes concernant les milices sunnites, on lira « Arrests Deepen Iraqi Sunnis’ Bitterness », de Alissa J. Rubin (The New York Times, 12 avril). Ces milices, selon la journaliste, se sentent de plus en plus prises en tenaille entre les groupes armés qui les visent et le gouvernement à majorité chiite qui arrête leurs dirigeants. Le retrait progressif des Etats-Unis laisserait libre cours à un gouvernement qui leur est hostile.

Par ailleurs, Mossoul reste une ville où l’activité d’Al-Qaida n’a pas été réduite. La télévision CNN affirme (10 avril) que la situation dans cette ville pourrait remettre en cause le retrait des troupes combattantes américaines des villes irakiennes, fixé au 30 juin (« June 30 Pullout Date From Iraqi Cities Could Be In Jeopardy »).

Selon la chaîne américaine, le général Ray Odierno, le commandant des troupes américaines en Irak, a affirmé au quotidien britannique Times que la situation à Mossoul « rendra très difficile pour le gouvernement Maliki de décider si les troupes américaines doivent rester ou non à l’intérieur de Mossoul. Nous allons attendre. Il reste 75 jours »... Le journaliste affirme que la Maison Blanche envisage cette possibilité, qui ne met pas en question le calendrier général de retrait américain. Pourtant, il semble bien que des cadres militaires américains tentent de remettre en cause les calendriers de retrait, comme l’a rappelé Gareth Porter dans un article du Monde diplomatique de janvier 2009 : « M. Obama prisonniers des “faucons” en Irak ? ».

Le reportage de Sudarsan Raghavan sur la ville de Samara, dans le Washington Post du 13 avril, reflète la persistance des difficultés, notamment les tensions entre sunnites et chiites (« An Iraqi City Divided by Walls, by Sect, By Bitterness »).

« Cinq mètres de haut, près de 1 kilomètres de long, les murs courent comme un ruban à travers le cœur de la ville meurtrie, le berceau de la guerre confessionnelle irakienne. Les pèlerins chiites glissent le long des murs vers la mosquée brisée Al-Askari. (...) Les forces de sécurité nationales sont chiites et pas un policier sunnite ne patrouille dans cette zone. » C’est un attentat contre cette mosquée en 2006 qui avait marqué le début d’une guerre civile confessionnelle.

Quelles que soient les évolutions, rien ne saurait plus faux que de croire que les Américains ont gagné la guerre en Irak.

Dans un article du site Antiwar.com, « Iraq Disaster Still a Mystery to Some » (5 avril), Alan Bock tente de tirer les leçons de ce qui se passe en Irak, alors que la presse américaine semble se désintéresser du sujet. Il évoque d’abord la bataille qui a opposé fin mars des miliciens sunnites à l’armée à Bagdad. La bataille, explique-t-il, n’a été qu’un exemple de la recrudescence de la violence. Dans la ville de Diyala, connue un moment comme « la ville de la mort », 43 personnes ont été tuées en mars, contre 29 en février et 6 en janvier. Si ces affrontements ne conduisent pas à une reprise de la guerre civile, ils sont significatifs du manque de progrès politiques.

Alan Bock fait ensuite référence à un livre de Ivan Eland, Partitioning for Peace : An Exit strategy for Iraq, qui prône un gouvernement central faible. Il évoque le nettoyage ethnique effectué dans beaucoup de quartiers mixtes pour justifier ce plan – une solution qui, à mon avis, serait pourtant catastrophique pour l’Irak et pour la région.

La conclusion de l’article est sans appel :

« La leçon générale que les Etats-Unis doivent tirer (...), c’est que tenter de modeler d’autres pays pour répondre à une version idéale de la démocratie avec une société civile active est une folie. (...) Peut-être devrions-nous laisser le reste du monde à ses affaires, dans la mesure où il ne pose pas de danger pour nous, ce qui est le cas de tous les pays aujourd’hui... »

Dans un intéressant envoi de son blog sur le site du New York Times (11 avril), « 100 Days. Starting the Job. From F.D.R. to Obama », Jean Edward Smith rappelle comment Roosevelt a mis fin à la guerre de Corée (1950-1953) en abandonnant des objectifs irréalistes (comme celui de réunifier la Corée par la force des armes), et appelle Obama à faire de même.

Le Hamas, l’Egypte et la réconciliation nationale

Un excellent article de l’universitaire Khaled Hroub dans Arab Reform Bulletin d’avril 2009, intitulé « Pressures on Hamas in reconciliation talks ». Hroub est l’auteur d’un des rares livres en français publiés sur l’organisation islamiste, Le Hamas (Démopolis, 2008). Il explique en particulier la stratégie égyptienne à l’égard de l’organisation :

« Alors qu’il existe une possibilité que les Américains et les Européens puissent tolérer un consensus palestinien incluant une formule vague qui permettrait au Hamas de participer à un gouvernement d’union nationale, ce sont les Egyptiens qui adoptent la ligne la plus dure et pressent le Hamas d’adopter une position non ambiguë (sur la reconnaissance d’Israël). L’Egypte veut diminuer les chances que le Hamas gagne les prochaines élections palestiniennes. La délicate situation intérieure égyptienne ne peut permettre à l’Egypte d’accepter une expérience réussie de participation d’une organisation inspirée par les Frères musulmans dans le monde arabe, encore moins à ses frontières.(...) Le Caire sait que la position du Hamas est difficile et que ses choix sont limités, en particulier à cause du ressentiment croissant à l’égard des politiques du Hamas à Gaza avant, pendant et après la récente guerre, ressentiment qui pousse le Hamas a adopter une politique plus souple. »

Pendant que les négociations entre les factions palestiniennes s’éternisent, Israël poursuit son blocus de la bande de Gaza et semble avoir obtenu que neuf pays de l’OTAN se mettent d’accord pour utiliser leurs ressources navales, de renseignement et diplomatiques pour contrôler les flux d’armes vers Gaza (lire Adam Morrow et Khaled Moussa Al-Omrani, « Big Powers Moving In on Gaza », agence IPS, 3 avril).

Alain Gresh

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