Or, si la réintégration a bien été annoncée (lors du sommet de l’Otan (1) du début avril, à Strasbourg-Kehl), la relance du pilier « défense » de l’Union européenne est moins à l’ordre du jour que jamais ; la PESD n’a été que très rarement prise en compte dans les réunions et professions de foi des candidats au parlement européen ; et elle a même été parfois éreintée par ceux qui devraient, officiellement au moins, en être les défenseurs…
Grave erreur
C’est ainsi que le président tchèque Vaclav Klaus, actuel président en exercice de l’Union européenne, intervenant mardi à la tribune de la 56ème session de l’assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), à Paris, a pu se réjouir publiquement de ce que le thème d’une politique de défense européenne autonome n’ait même pas été évoqué, lors de ses entretiens bilatéraux avec le président américain Barack Obama, « ce qui aurait été une grave erreur », ajoute-t-il, car l’Otan doit rester l’organisation majeure pour la politique européenne de défense ».
Le peu d’enthousiasme communautaire du numéro un tchèque est bien connu, mais il s’est surpassé sous la voûte du Palais d’Iena : « Plus les pays membres de l’Union seront nombreux, moins l’unification sera facile, et c’est tant mieux !… L’Union a tout à perdre d’une ratification du traité de Lisbonne qui vise en fait à accroître le pouvoir des bureaucrates de Bruxelles », dont l’ambition de tout régenter en Europe « lui rappelle ce que trop de pays ont vécu sous la férule communiste ! », etc.
Paradoxalement, c’est le secrétaire général de l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer qui – à cette même tribune quelques minutes plus tard – a quelque peu « ressuscité » la PESD, en prônant une « coopération renforcée [de son organisation] avec l’Union européenne », et en regrettant les « blocages » : « Il est assez regrettable qu’alors que l’Otan a engagé une deuxième opération de lutte contre la piraterie au large de la Corne de l’Afrique, l’Union européenne mène actuellement des opérations dans le même secteur ». Et de poser la question qui tue : « Est-il judicieux qu’un même pays applique, dans le cadre de deux institutions internationales, des procédures et des cadres juridiques différents, sources d’incohérences et d’inefficacité ? ».
Mécanisme Athena
Cette assemblée parlementaire de l’UEO, habituée à débattre deux fois par an des questions de défense dans un cadre plutôt compassé, a examiné cette fois des rapports assez pénétrants sur la lutte contre la piraterie, la stratégie de l’Europe dans la guerre en Afghanistan, les nouvelles perspectives de coopération entre l’Union européenne et les Etats-Unis ou la surveillance de l’espace.
L’assemblée a également passé en revue les opérations militaires extérieures de l’UE, dans les Balkans et en Afrique : ainsi, rappelant les préparatifs laborieux fin 2007-début 2008 de l’intervention Eufor-Tchad-Rca (par ailleurs plutôt réussie, dans le genre), les parlementaires ont demandé une réforme rapide du « mécanisme ATHENA » de répartition du financement des opérations militaires de gestion de crises menées par l’Union européenne (afin de s’assurer d’une participation au moins financière de tous les Etats prenant la décision du lancement d’une opération) ; et ils ont préconisé un réexamen du principe de sélection de la « nation cadre » et de son rôle (suite aux grandes difficultés rencontrées lors de la phase de « génération de forces ») (2).
La grande illusion ?
La majorité de l’assemblée a demandé, une nouvelle fois, que l’Union européenne puisse disposer d’une capacité de planification et de commandement des opérations réellement permanente et réactive, sans laquelle il est illusoire de prétendre jouer un rôle actif (et surtout réactif) en matière de défense et de sécurité.
Défense européenne, la grande illusion : c’est justement le titre de l’ouvrage de Jean-Dominique Merchet. (3) Ce confrère de Libération, qui anime également le blog Secret défense, estime – dans une charge au sabre – que cette Europe de la défense « ne verra pas le jour et c’est tant mieux, car c’est une illusion dangereuse. Sa mise en oeuvre plus avant aboutirait à plus de gabegie, d’impuissance, de renoncement ».
Grande asymétrie
Dans « Eurodéfense » (4) qui sort également ces jours-ci, le président du Conseil économique de la défense, Philippe Esper, flanqué de plusieurs grands patrons, plaide au contraire pour une relance de l’Europe de la défense, « avec les pays qui le veulent et qui le peuvent… en s’inspirant par exemple de l’exemple de l’euro dans le domaine de la monnaie ». Selon lui, l’analyse des budgets de défense (5) met en lumière d’une part « l’asymétrie de volume » entre les budgets de défense américain et européen, d’autre part « l’absence de coordination » des budgets de défense en Europe. Avec, sur la période 2002-2008 – les deux mandats de G.W. Bush – une croissance de 62 % des dépenses aux Etats-Unis, contre 22 % en moyenne au sein de l’Union européenne – ce qui équivaut hors inflation à une quasi stagnation. En terme d’investissement, le ratio est de 1 à 3 en faveur des Etats-Unis, et de 1 à 6 en matière de recherche et développement.