La situation à Téhéran (et dans d’autres villes du pays) reste tendue, plusieurs manifestations ayant rassemblé samedi des partisans de Moussavi qui contestaient l’élection d’Ahmadinejad. Selon diverses informations, plusieurs dizaines de réformistes auraient été arrêtées. D’autre part, l’un des trois candidats, le conservateur Mohsen Rezai (crédité de 1,7 % des voix) a proclamé son soutien à Ahmadinejad (cette information a été démentie le 14 au soir, Rezai ayant publié une lettre contestant les résultats), avec d’autres leaders officiels, comme Ali Larijani, le président du Parlement (« Iran reformists held after street clashes », John Simpson, 14 juin, BBC World Service. Lire aussi, « Reformists held after Iran riots, », Al Jazira en anglais). Enfin, dimanche après-midi, les partisans du président Ahmadinejad se réunissaient à Téhéran pour fêter leur « victoire ».
La secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a réagi de manière prudente, affirmant qu’elle espérait que le résultat refléterait « le désir véritable et la volonté du peuple iranien ».
Dans un article du quotidien israélien Haaretz du 14 juin, Amos Harel explique que la victoire d’Ahmadinejad est ce qu’il y a de mieux pour Israël (« Ahmadinejad win actually preferable for Israel »).
Rappelons d’abord que tous les candidats se situent dans le cadre de la République islamique et ne la contestent pas, aucun n’est un opposant au sens propre du terme – même si Moussavi, après avoir été premier ministre dans les années 1980, avait été absent de la scène politique depuis lors. Le scrutin a-t-il été truqué ? Si la majorité des observateurs occidentaux le pensent, quelques voix dissidentes se font aussi entendre.
Le correspondant du quotidien britannique The Guardian, Abbas Barzegar publie le 13 juin un article intitulé « Wishful thinking from Tehran » et sous-titré, « depuis la révolution, les universitaires et les éditorialistes (pundits) ont prédit l’effondrement du régime iranien. Cette semaine ils n’ont pas fait mieux. »
« Depuis une semaine, les mêmes courants hostiles à la corruption, populistes et pieux qui ont conduit à la révolution étaient disponibles pour ceux qui voulaient les voir. Ahmadinejad, pour la majorité du pays, représente ces idéaux. Depuis qu’il a accédé à la présidence, il a refusé de porter un costume, de changer de domicile (qu’il avait hérité de son père) et de modifier sa rhétorique contre ceux qu’il accuse de trahir la nation. Quand il a publiquement accusé son imposant rival, l’aytollah Hashemi Rafsandjani, un lion de la révolution, de corruption parasitique, et comparé sa trahison à la tentative de tromper le Prophète Mohammed qui a conduit, il y a 1 400 ans, à la scission entre sunnites et chiites, il a libéré l’imaginaire des masses. La défense de Rafsandjani à travers un journal de Moussavi a signé la fin des réformistes. »
Helena Cobban dresse un parallèle sur son blog Just World News (13 juin) avec les élections en Palestine en janvier 2006 et qui ont donné la victoire au Hamas. « The results of free and fair elections » (13 juin) et se demande combien d’Américains ont protesté contre la violation du résultat de ces élections par la communauté internationale.
Ces remarques et le fait que nombre d’observateurs extérieurs ont sous-estimé la question sociale et la popularité d’Ahmadinejad telle qu’elle apparaît dans les images des correspondants qui ont pu le suivre en province, ne semblent néanmoins pas suffire à mettre en doute les manipulations du scrutin.
Gary Sick, sur son blog Gary’s choices, parle d’un « Iran’s political coup ». Il trace l’historique des événements du 12 juin, la coupure des communications par SMS, l’annonce des résultats avec les mêmes proportions de voix quelles que soient les provinces (voir les remarques de Juan Cole plus bas), la rapidité avec laquelle le Guide a soutenu la « victoire » d’Ahmadinejad, la coupure de la plupart des communications internationales après, etc.
Pour Juan Cole, il ne fait aucun doute que l’élection a été « volée » (« The stealing of the iranian election », Informed Comment, 13 juin). Il en donne quelques preuves :
« Ahmadinejad aurait obtenu 57 % des voix à Tabriz. Son principal concurrent est Moussavi, un Azeri de la province d’Azerbaïdjan dont Tabriz est la capitale. (...) Or dans les élections passées, les Azéris ont voté de manière disproportionnée même pour des candidats présidentiels qui étaient mineurs parce qu’ils venaient de cette province. »
On annonce qu’Ahmadinejad aurait obtenu plus de 50 % des suffrages à Téhéran. Or, il n’est pas populaire dans les villes, y compris dans les quartiers pauvres, même s’il le prétend, car sa politique a conduit à une importante inflation et à un fort taux de chômage. Qu’il ait pu l’emporter à Téhéran est tellement peu probable que l’on peut avoir des doutes sur ces chiffres. »
Le correspondant de la chaîne Al-Jazira, Teymoor Nabili retrace le film des événements dans la journée du 12 juin (« Mousavi sees election hopes dashed ») qui soulève bien des doutes. Alors que les journalistes avaient été convoqués à un point de presse à 11 heures du soir au ministère de l’Intérieur, celui-ci était repoussé tandis que l’agence de presse officielle Irna annonçait qu’Ahmadinejad menait largement en province. Finalement, le point de presse se tenait avec près d’une heure de retard, et on annonçait que, sur 5 millions de votes décomptés, Ahmadinejad menait avec 69 % des voix. Plus tard, les mêmes pourcentages étaient donnés régulièrement, comme si toutes les villes avaient voté de la même manière, y compris à Tabriz, la ville de Mousavi. Ahmadinejad annonçait sa victoire, confirmée par le Guide de la révolution, l’ayatollah Khamenei.
En revanche, Moussavi contestait les résultats, dans une déclaration à l’agence Reuters reprise par la BBC World Service (« Ahmadinejad re-election sparks Iran clashes) » :
« Je proteste fortement contre les nombreuses irrégularités et je vous préviens : je ne me plierai pas à cette dangereuse mascarade. De telles activités menées par certains officiels mettront en cause les piliers de la République islamique et aboutiront à la tyrannie. »
Le groupe de religieux regroupés autour de l’ancien président Mohammed Khatami appelait aussi à l’annulation des résultats, selon une dépêche du 12 juin de l’AFR reprise par le site Nasdaq (« Khatami’s Clerical Group Urges Annulling Iran Poll Results »).
Deux autres anomalies ont été soulignées par des observateurs. D’abord, le comité électoral est censé attendre trois jours pour entendre les éventuelles plaintes des candidats avant de proclamer les résultats. Et ces résultats doivent être approuvés par le Conseil des experts avant d’être confirmés par le Guide Khamenei. Or Khamenei a confirmé les résultats sans attendre ce délai.
Il est difficile de savoir comment la situation va évoluer, mais les divisions au sein même de la classe politique sont un élément nouveau.