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Une pièce de Philippe Malone

« Septembres », une traversée de la violence

par Marina Da Silva, 30 juin 2009

«Si j’ai bien renoncé à écrire la poésie politique et limitée quant à ses significations, je n’ai pas pour autant renoncé à la résistance esthétique. »

Cette exergue de Mahmoud Darwich qui introduit Septembres est revendiquée par Philippe Malone comme une filiation.

Le poète y est reconvoqué plus loin avec une citation de Passant parmi les paroles passagères. Et avec lui, Sonia Chiambretto, Edmond Jabès, Paul Celan, Mourid Al-Bargouti, comme autant de voix qui entrent en résonance avec celle de l’auteur.

Le texte s’ouvre par le poème de Peter Handke Lied Vom Kindsein (le Chant de l’enfance) – celui qui donne une tessiture si particulière aux Ailes du désir de Wim Wenders – et s’inscrit ainsi résolument dans une veine poétique. Il est écrit d’un seul souffle, sans ponctuation, pour être proféré, comme un chant, une transe, avec ses silences et sa durée. Les mots deviennent alors matière et sont sculptés, taillés, étirés, tordus, bousculés. Ils ont une existence propre sur le papier et en prennent une autre dans leur oralité. Les nombreux prénoms de toutes provenances évoqués dans le récit, comme autant de figures du témoin, y sont barrés, comme si graphiquement il s’agissait de s’interroger pour savoir si on a affaire à des morts ou à des vivants.

La mort est ici tapie ou explosive. Septembres nous renvoie à ce 11 septembre qui a précipité le monde occidental au bord d’un abîme qu’il ne se représentait pas. Ou seulement pour les autres. Aucun événement historique, aucun lieu, aucun pays n’est nommé, mais Septembres est autant un texte poétique que politique et chacun peut y convoquer le Liban, la Palestine, l’Irak, le Kosovo… toutes les blessures et les désastres qui font écho à la mémoire intime du lecteur.

L’action dramaturgique se déploie en une seule journée : « Et commence le long cheminement de l’enfant bras en croix mains ouvertes dans le couloir obscur et commence la marche lente à tâtons dans le noir. » De l’Orient à l’Occident.

L’enfant du récit va se métamorphoser devant la violence à laquelle il est confronté dans une ville en ruines qui titube sous les bombardements : « Et c’est ainsi que de la ville déflorée aux défenses crevées s’épanchèrent les ruines c’est ainsi que s’éleva le feulement de rocaille et de sang le requiem d’une ville et son chœur de fantômes. » On sait peu de choses de lui en dehors de cette trajectoire douloureuse dans le chaos du monde qui est rapportée dans les mouvements ténus du quotidien. Il a des frères, une sœur avec qui il dialogue et dont on apprend qu’elle a été tuée. Autour de lui tout est champ de bataille et anéantissement. Il nous mène sur les lieux avec une précision implacable, visuelle et concrète même si le récit est métaphorique. Dans cette longue traversée géographique et existentielle qui est aussi un passage à l’âge adulte, tout pourrait conduire l’enfant à devenir kamikaze : « J’ai trouvé cette ceinture avec des explosifs Sveta l’ai serré sur mon ventre à l’endroit où ton souffle jadis calmait mes peurs. »

Philippe Malone interroge ainsi cette notion de kamikaze, en dehors de tout jugement et de toute tentative de rétrécissement du terme, exploré ici dans toutes ses déclinaisons, dont celle de sacrifice, trop souvent occultée du discours médiatique. En mettant d’abord à jour les processus de déshumanisation qui font naître la violence, Septembres pose la nécessité de questionner le monde comme un véritable défi théâtral.

Le premier enjeu, celui de la langue, absolument étonnante dans ses explorations, ses répétitions, ses fragmentations, ses étirements, ses contractions, est emporté haut la main.

Lors de la lecture remarquable par l’auteur lui-même lors du cinquième Salon du Théâtre de la Foire Saint-Germain, fin mai à Paris, la dimension d’engagement corporel du texte, interprété à la fois avec sobriété et intensité, était particulièrement perceptible et ne laissait pas le public indifférent. Une première étape de rencontre qui invite à voir la mise en scène de Michel Simonot à La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, les 19, 20 et 21 juillet.

Septembres, de Philippe Malone, Rencontres d’été de la Chartreuse, les 19, 20, 21 juillet à 21 h 30, à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon. Mise en scène : Michel Simonot ; jeu : Jean-Marc Bourg ; musique : Franck Vigroux.

Renseignements, réservations : 04 90 15 24 45.

Texte publié aux éditions Espaces 34.

L’œuvre de Philippe Malone — Morituri suivi de Les Prometteuses (Quartett, 2007), L’entretien (Espace 34, 2007), III (Espace 34, 2007), L’extraordinaire Tranquillité Des Choses (collectif, Espace 34, 2007), Titsa (Les Solitaires Intempestifs, 2005) Les Contes De La Mine (collectif, éd. Voix, 2003), Pasaran (Les Solitaires Intempestifs, 2000) — témoigne d’un engagement et donne la parole aux déshérités. Depuis dix ans, avec la Compagnie du Bredin dirigée par Laurent Vacher, il anime des ateliers d’écriture auprès d’ouvriers, de SDF, d’habitants des banlieues, qui aboutissent à des spectacles fondés sur l’intégration de comédiens amateurs et professionnels. Pour 2010, l’auteur et le metteur en scène préparent un nouveau projet sur la mémoire et le travail des femmes dans le bassin sidérurgique de Briey, en Lorraine.

Marina Da Silva

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