Présentant ce rapport « avec beaucoup d’humilité, l’histoire de ce pays complexe incitant à l’évidence à la modestie », les parlementaires français – qui considèrent, contrairement à certains de leurs collègues, qu’un retrait militaire du jour au lendemain est impensable – s’attachent à identifier ce qui pourrait constituer un « chemin pour la paix dans la région », au fil de vingt-cinq propositions dont on trouvera l’essentiel ci-dessous…
« Initialement, expliquent en préambule Jean Glavany et Henri Plagnol, l’intervention en Afghanistan devait permettre de combattre le terrorisme, mais elle a crevé une bulle sociale au Pakistan et révélé des fractures nationalistes tant en Afghanistan qu’au Pakistan ». Si bien que « la guerre de 2001 a amplifié une crise régionale qui frappe toute l’Asie du Sud ». Les parlementaires se réfèrent au chercheur Gilles Kepel, pour qui « c’est le djihad dans l’Afghanistan des années 80, financé par les Etats-Unis et les Etats arabes du Golfe persique pour vaincre l’armée rouge, mais aussi pour offrir une alternative antisoviétique et philoaméricaine à la révolution iranienne en pleine expansion, qui a intégré cette région au Moyen-Orient au sens large. Et ce sont Oussama Ben Laden et Ayman Al Zawahiri, enfants de l’Arabie et de l’Egypte, passés par ce djihad, qui ont relié à leur manière l’Afghanistan, le Golfe, la Palestine avec les Etats-Unis dans le cataclysme du 11 septembre ».
Humilité et modestie n’étant pas résignation, et le conflit en Afghanistan et plus largement en Asie du Sud engageant la paix du monde, les deux parlementaires affirment avoir « préféré prendre le risque d’émettre des propositions qui dégagent une logique de paix, plutôt que de rédiger une énième analyse destinée aux nobles étagères des vieilles institutions républicaines ». Avec un double souci : apporter une contribution au débat qui agite la coalition intervenant en Afghanistan ; et convaincre la représentation nationale ainsi que l’opinion françaises de la nécessité d’un changement de cap.
Accusation de « croisade »
Tout en reconnaissant que la nouvelle stratégie adoptée par la coalition internationale en Afghanistan – renforcement de l’armée afghane et « afghanisation » de la sécurité, distinction entre les objectifs globaux de la lutte contre le terrorisme et le conflit afghan, intégration de l’outil militaire à une approche globale de la situation, incluant les problèmes politiques, économiques et sociaux – « va dans le bon sens », les députés proposent de la compléter de plusieurs manières :
Proposition n°1 : Accompagner l’intervention de nos forces armées en Afghanistan d’un discours public à usage national et international, articulé comme suit :
• nous ne sommes pas une force d’occupation et nos soldats n’ont pas vocation à rester éternellement en Afghanistan. Nous partirons dès que l’Afghanistan ne sera plus un sanctuaire du terrorisme international.
• nous ne sommes pas, non plus, en croisade contre l’Islam. Celui-ci est la deuxième religion de France et la République laïque en protège le libre exercice.
• nous sommes en Afghanistan pour aider ce pays et ce peuple ami à construire son avenir sur la paix, la démocratie et le développement.
Proposition n°3 : Adresser un message, au sein de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) à l’armée américaine afin d’éviter absolument les bombardements « aveugles » qui font tant de victimes civiles et qui provoquent un sentiment de révolte et de rejet à l’égard de la coalition. Toute destruction doit être suivie le plus rapidement possible d’une phase de reconstruction et d’assistance mettant en valeur l’action de l’armée et de l’Etat Afghan afin de légitimer le gouvernement dans la population.
Proposition n°4 : Imposer d’éviter tout comportement de nature à accréditer le discours taliban sur la « guerre de civilisations ». Par exemple, il faut proscrire toute atteinte à la laïcité du type de la très regrettable « diffusion de bibles » qui a eu lieu il y a quelques semaines.
Proposition n°5 : Donner la priorité à la communication à destination des populations sur le terrain, en investissant davantage sur les modes de transmission traditionnels (« chouras », tracts parachutés dans la langue quotidienne, émetteurs radio sur courte distance, etc…) pour contrer le monopole des talibans dans les villages les plus reculés.
Proposition n°6 : Convaincre davantage de pays de religion musulmane d’envoyer des troupes pour mieux démentir toute accusation de « croisade ».
Talibans modérés
Proposition n°9 : Rayer du langage officiel et diplomatique le concept de « taliban modéré ». Cette expression n’a pas de sens car elle n’a pas de traduction concrète. Nous suggérons de parler des « insurgés » : c’est à eux, dans leur diversité, que doit s’adresser le processus de réconciliation nationale.
Proposition n°10 : Réserver la participation au processus de réconciliation nationale (indispensable pour solidifier les bases afghanes d’un règlement de paix), aux Afghans eux-mêmes, fût-ce par l’entremise d’une médiation extérieure comme la médiation saoudienne. La communauté internationale doit se borner à rappeler des exigences minimales concernant les droits fondamentaux ou la démocratie, notamment l’attention aux droits de la femme afghane (comme en témoigne le triste épisode du vote de la loi chiite). Sans prétendre imposer des « standards occidentaux », nous devons affirmer le droit à l’éducation des jeunes filles afghanes.
Proposition n°11 : Dans le prolongement de la Conférence de Paris, créer un groupe de contact permanent comprenant tous les pays frontaliers de l’Afghanistan ainsi que l’Inde, ayant pour objet de traiter les sujets d’intérêt commun, comme la sécurisation des frontières et des douanes, la lutte contre le trafic de drogue, et les infrastructures de transports de biens, de marchandises et d’énergie.
Proposition n°16 : Maintenir l’écart des salaires entre la fonction publique afghane et les organisations internationales à un rapport de 1 à 2 afin d’éviter la fuite des cerveaux vers les ONG et les organisations internationales.
Proposition n°17 : Aider l’Etat afghan à créer un institut régional d’administration pour former les gouverneurs de province et les cadres territoriaux.
Proposition n°18 : Lancer une mission de l’Inspection Générale de l’Agriculture chargée de définir une action continue et concrète pour aider les agriculteurs à abandonner le pavot, et pour étudier d’autres chantiers de développement rural (micro-projets et politique d’ensemble), qui doivent être lancés en s’adaptant concrètement à la réalité et la spécificité de l’agriculture de montagne afghane.
Guerre contre-insurrectionnelle
Proposition n°20 : Offrir une assistance aux centaines de milliers de personnes déplacées par les conflits dans les zones tribales et de ne pas laisser le monopole des secours aux talibans. Le HCR doit également assurer la scolarisation des enfants des millions de réfugiés en Iran et au Pakistan.
Proposition n°23 : Soumettre l’aide militaire internationale apportée au Pakistan à un régime de conditionnalité liée à son usage véritable. Les échanges entre nos armées et l’armée pakistanaise doivent être intensifiés, notamment en ce qui concerne la formation des officiers supérieurs aux techniques de la guerre contre-insurrectionnelle. La France doit également proposer son savoir-faire pour la sécurisation du nucléaire, militaire et civil.
Proposition n°24 : Adresser un message collectif et officiel « des amis du Pakistan » au gouvernement de ce pays, pour l’avertir que son plus grand ennemi n’est pas, n’est plus l’Inde mais le terrorisme, et qu’il est temps qu’il adapte sa stratégie militaire à cette nouvelle donne. En particulier, il est temps que ses services secrets, l’I.S.I., cessent leur double jeu vis-à-vis des talibans.
Europe défaillante
Les députés Glavany et Plagnol demandent également à l’Onu et à la FIAS de tout faire pour assurer la sécurité et le caractère « libre et loyal » du scrutin présidentiel du 20 août prochain, notamment en garantissant la délégation d’un très grand nombre d’observateurs.
L’Union européenne est invitée à subventionner une Ligue des femmes d’Afghanistan, pour soutenir la participation féminine à cette élection, à mettre un peu d’ordre dans sa politique (1) et à concrétiser rapidement ses engagements concernant l’envoi de gendarmes, afin de permettre la constitution d’un service de sécurité afghan adapté aux réalités des provinces rurales.
Les parlementaires invitent la France à « tenir ses engagements » à l’égard de l’Afghanistan, notamment en pérennisant le dispositif de veille, de médiation et d’animation qui se mettait en place à la faveur de la nomination en février dernier d’un Représentant spécial (de Paris) pour l’Afghanistan et le Pakistan (2).
Dans une de leurs propositions, les députés proposent en outre de « remplacer les références au conflit d’Afghanistan » par celle de « conflit en Afghanistan et Pakistan » tant les deux pays sont liés dans ce drame et tant le « coeur du problème est bien situé à la frontière des deux pays (la ligne Durand) ». Mais en évitant la terminologie « Afpak », selon eux « très mal ressentie par les peuples concernés ».