Le président américain Barack Hussein Obama effectue sa première visite en Afrique subsaharienne : un stopover ghanéen d’un jour et demi, placé par son équipe à l’issue de sa visite à Moscou et dans les Abruzzes à l’occasion du sommet du G8. Depuis l’annonce de ce voyage (Jean Baptiste Placca, « Obama au Ghana, un voyage-programme », RFI, 23 mai 2009), nombre de commentateurs du continent noir n’ont cessé de s’interroger sur le choix ghanéen du président américain. Et, incidemment, sur les raisons qui ont empêché leurs propres pays de bénéficier d’une telle primeur.
Personne, à commencer par la presse kenyane, ne s’attendait à ce que M. Obama opte pour le le pays de ses racines paternelles (« Obama évite Nairobi », Courrier International, 18 mai 2008). Au Nigeria, où les attaques de rebelles ont repris contre les installations pétrolières, provoquant un retour du prix du baril de brut au-dessus des 70 dollars, l’adoubement du Ghana par l’Amérique a en revanche fait l’effet d’une douche froide. La non-visite d’Obama donne l’occasion à la presse nationale de dresser à nouveau un triste bilan du régime de M. Umaru Yar’Adua, arrivé au pouvoir en mai 2007 à l’issue d’élections entachées d’irrégularités. Les commentaires vont du féroce à la déception, en passant par un soupçon de jalousie. « Don’t worry, you can watch the visit on AIT, Channels TV etc live », ironise Reuben Abati, l’éditorialiste le plus lu du pays aux 140 millions d’habitants, dans le quotidien The Guardian (« Why Obama is going to Ghana », The Guardian, 22 mai 2009). Pour l’écrivain Woyle Soyinka, prix Nobel de littérature, c’est à la fois une douleur et un soulagement (Nick Tattersall, « Obama visits prompts Nigerian, Kenyan angst », Reuters, 3 juillet 2009).
Avant de se rendre au Ghana, M. Obama accorde un entretien au site Internet All.africa.com (Charles Cobb, Jr., Tami Hultman and Reed Kramer, « Obama discusses Africa Ahead Ghana visit », 2 juillet 2009). Pendant une quinzaine de minutes, il énumère les priorités d’une Amérique qui cherche des modèles de réussite et souhaite établir un partenariat pratique (« U.S. Wants to Spotlight ’Successful Models’ And Be An ’Effective Partner’ », All.africa.com, 2 juillet 2009) avec le continent. Il est aussi question d’Internet, et de la fonte des glaces sur le Mont Kenya.
Mais le discours reste dans la droite ligne de la politique africaine de l’administration Bush. Ce passif est considéré dans les cercles diplomatiques américains comme l’un des « moins pires » héritages légués à la nouvelle équipe de la Maison Blanche. Pour M. Obama, comme pour son prédécesseur, la bonne gouvernance mène à la prospérité. Et le Ghana, avec ses deux alternances démocratiques, en est un modèle. Le pays est d’ailleurs « bipartisan favorite », rappelle le New York Times (Peter Baker, « The Calculus beyond Ghana Stopover », 17 mai 2009). L’esprit « bipartisan » anime aussi deux récentes mesures prises par l’entourage du nouveau président américain : après avoir soutenu, sous le règne de George W. Bush, l’intervention éthiopienne à Mogadiscio, Washington préfère désormais envoyer directement des armes au gouvernement somalien retranché, afin de ralentir une insurrection shebab considérée comme proche d’Al-Qaeda. Par ailleurs, il a été décidé de proroger l’opération « Lighting Thunder » (« Coup de Tonnerre »), qui figurait parmi les dernières initiatives africaines du président sortant. Elle autorise l’Africom à assurer un appui logistique et en renseignements à une armée ougandaise engagée dans une guerre sans fin contre les rebelles mystiques de Joseph Kony (Annie Kelly, « Obama urged to Help end LRA threat in Uganda », The Guardian, 1er juin 2009).
M. Obama, comme le rappelaient avec réalisme de nombreux Africains dès son élection, reste « d’abord un président américain ». Si le discours qu’il prononcera à Accra entend marquer un « nouveau départ » avec le continent (« Barack Obama en Afrique : les attentes des Congolais », Media Congo, 6 juillet 2009), sa visite est aussi un signe fort adressé à une communauté africaine-américaine avec laquelle il s’est jusqu’ici gardé d’afficher sa proximité. C’est la première fois qu’un chef d’Etat américain aux racines mondiales, mais à l’épouse africaine américaine, rend de fait visite au continent noir. Cette nuit passée au Ghana concerne donc aussi l’ensemble de la communauté noire d’Amérique. Il y a là également des raisons pragmatiques, motivées par des ambitions économiques : pour le monde entrepreneurial africain-américain, l’Afrique, en ces temps de récession intérieure, est désormais considérée comme la « dernière frontière économique » (Renita Burns, « Black Enterprise, In Global economic crisis, Africa yields great returns », 15 janvier 2009).
Apparaissent aussi derrière ce déplacement au Ghana des raisons plus sensibles et profondes, qui échappent encore à la grille de lecture des analystes de la presse américaine. Professeur d’Etudes américaines de la faculté des Lettres et Sciences humaines, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Abou Bakr Moreau les explique sur le site Pambazuka « [Barack Obama au Ghana : une prime à la démocratie » >http://www.pambazuka.org/fr/category/features/56802] », 5 juin 2009 ) : « Quand, en pleine guerre froide, l’un des plus grands intellectuels noirs américains, sinon le plus grand intellectuel de notre point de vue du continent comme de sa diaspora, W.E.B. Du Bois, était menacé, faussement accusé de servir la cause de l’ennemi soviétique, persécuté dans son propre pays où le noir n’était pas encore citoyen, et s’est vu enfin confisquer son passeport, c’est au Ghana qu’il a choisi de se réfugier. Il a ensuite demandé à être dépossédé de sa “nationalité” américaine pour devenir ghanéen. Et c’est au Ghana qu’il a choisi de finir ses jours. Cet homme est un exemple non seulement pour les intellectuels du continent comme de sa diaspora, mais aussi et peut-être surtout pour les politiques qui, bien souvent, choisissent de passer leurs vieux jours ailleurs que sur la terre de leurs ancêtres… C’est tout cela qui fait que le Ghana est le pays d’Afrique au Sud du Sahara qui accueille le plus de visiteurs noirs américains, devant l’Afrique du Sud et le Kenya. Un grand nombre de Noirs américains ont en effet choisi de s’y installer au point qu’il y existe une communauté noire américaine bien intégrée, qui s’y sent parfaitement chez elle aujourd’hui. »
A Accra, Barack Obama n’a donc pas seulement rendez-vous avec l’Afrique, mais aussi avec sa diaspora, qu’il s’agisse de lointains descendants d’esclaves ou de migrants de fraîche date. Sous son mandat, cette communauté entend bien constituer la principale courroie de transmission du regain de soft power américain sur le continent.
En bref : écouter, lire
1) Nouveau signe du retour de l’écriture nigériane sur le devant d’une littérature-monde – et de la percée d’une génération d’auteures –, le premier roman de Sefi Atta (Le meilleur reste à venir, Actes Sud, Arles, 2009). Enseignante à la Nouvelle-Orléans, celle-ci (www.sefiatta.com) déroule le destin de deux amies de Lagos, nées avec les indépendances et grandies dans le désordre des années de dictature militaire. Une traversée féministe de l’histoire nigériane…
2) Prospectée par une nouvelle génération de crate diggers, qui sont aux vinyles anciens ce que leurs ancêtres étaient aux pépites, l’Afrique ne cesse de drosser des pépites musicales jusqu’alors méconnues des oreilles occidentales. Pour preuve cette fantastique compilation du Bénin des années 69-81, Legends of Benin, Analog Africa/distribution Socadis), exhumant le son d’années Kérékou où le marxisme révolutionnaire savait aussi se danser…