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Le fantasme de la « Chinamérique »

par Martine Bulard, 29 juillet 2009

Inauguré sous le président George Bush, le « dialogue stratégique et économique » sino-américain a pris une nouvelle dimension avec M. Barack Obama. C’est par une spectaculaire déclaration – « les relations entre les Etats-Unis et la Chine façonneront le XXIe siècle » – que le nouveau président a ouvert les rencontres des 27 et 28 juillet. De son côté, le vice-premier ministre chinois Wang Qishan a précisé : « les Etats-Unis et la Chine ne peuvent à eux seuls résoudre les problèmes du monde » mais sans eux « rien ne peut se régler ». Inutile de dire cette double reconnaissance va droit au cœur des Chinois qui y voient un juste retour des choses – du temps où, avec l’Inde, l’empire du Milieu était un acteur clé du commerce mondial et de l’innovation.

Doit-on pour autant en conclure qu’une nouvelle « lune de miel » s’ouvre entre Pékin et Washington ? Qu’un « groupe des deux » (G2) est né, en remplacement du groupe des pays capitalistes développés (G7 puis G8), sorte de directoire autoproclamé dans les années 1975- 2008 – avec l’efficacité que l’on sait ? Certains l’affirment. Toujours à la recherche d’une bonne formule, les commentateurs imaginent déjà une « Chinamérique » – sorte de monstre à deux têtes avec le leader du libre échange mâtiné d’interventionnisme d’un côté, le champion du socialisme, fût-il « de marché », de l’autre. La formule est choc et chic, mais elle ne reflète pas la réalité.

De fait, les dirigeants des deux pays ont élargi le champ de leurs rencontres aux questions climatiques – pour la première fois, les deux plus grands pollueurs de la planète « s’engagent à travailleur ensemble sur l’énergie propre et le changement climatique » –, aux problèmes géopolitiques (Iran, Corée du Nord), même si l’économie demeure le sujet principal des négociations.

Il est tout aussi vrai que Pékin et Washington se tiennent par la barbichette – le premier a besoin du marché américain pour vendre ses produits alors que son économie reste prioritairement tournée vers les exportations ; pour le second, les fonds chinois sont une impérieuse nécessité afin de combler ses déficits (lire « Finances, puissances… le monde bascule », Le Monde diplomatique, novembre 2008). Pour les deux, une guerre économique ouverte serait désastreuse.

Mais cette interdépendance n’exclut pas les divergences de vue et les oppositions d’intérêt. Si M. Thimothy Geithner, secrétaire d’Etat au Trésor, s’est fait fort discret sur la sous-évaluation du yuan, son habituel cheval de bataille, M. Wang a averti sans détour : « Les Etats-Unis doivent mesurer avec justesse et dans son ensemble l’impact que produit l’émission de dollars à la fois sur l’économie nationale [américaine] et sur l’économie mondiale. » La Chine craint une relance de l’inflation américaine et une chute du dollar qui réduirait d’autant ses énormes avoirs. Elle redoute également une hausse du yuan par rapport au billet vert qui rendrait les produits « made in China » plus chers – donc plus difficilement exportables. Au sein de l’élite chinoise, de nombreuses voix s’élèvent contre la poursuite d’une politique d’achat de bons du Trésor américain qui, à terme, seront dévalorisés. Pékin – avec la Russie notamment – réclame de nouvelles règles du jeu pour le système monétaire international. Sans pouvoir les imposer.

Certes, l’empire du Milieu a conquis la place de troisième économie du monde. Il affiche actuellement un rythme annuel de croissance de l’ordre de 7 à 8 % quand ses deux principaux concurrents – les Etats-Unis et le Japon – connaissent un taux négatif (entre - 1,5 % et - 6 %). Mais il demeure encore loin du numéro un américain. Son produit national brut (en parité de pouvoir d’achat) représente la moitié de celui des Etats-Unis : 7 800 milliards de dollars contre 14 300 milliards de dollars. Ses capacités d’innovation restent encore bien en deçà de la force de frappe américaine. D’où ses appels répétés à des transferts de technologie, singulièrement en matière environnementale.

La relance par l’Asie ?

Quant à l’espoir que l’Asie tire la croissance mondiale, il ne semble guère réaliste. Comme l’explique M. Jong-Wha Lee, économiste en chef à la Banque asiatique de développement, dans Les Echos, « la Chine et l’Asie ne peuvent pas être le seul moteur d’une reprise. Le plus important des moteurs de la croissance mondiale reste aux mains des grands pays industrialisés. Il ne faut pas oublier que plus de 60 % des exportations asiatiques sont destinées aux Etats-Unis, à l’Union européenne et au Japon. Je suis néanmoins persuadé que la force de la croissance chinoise va profiter à quelques pays voisins. Taïwan et la Corée du Sud ont ainsi enregistré au premier trimestre de 2009 une reprise de leurs exportations vers la Chine. C’est crucial. A elle seule, la Chine absorbe par exemple 28 % des exportations coréennes. »

La Chine a bien résisté depuis le début de l’année, en raison de son plan de relance (4 000 milliards de yuans — 465 milliards d’euros). Pour l’heure, ce dernier a surtout servi à financer la construction de grandes infrastructures, qui font peu appel aux importations, susceptibles de relancer la machine américaine ou européenne. La consommation des familles a du mal à prendre le relais des exportations ; elle ne représente que 35 % du PIB, bien que, selon le bureau national des statistiques chinois, le revenu disponible des ménages urbains ait augmenté 11,2 % en moyenne au premier semestre. Le surcroît de pouvoir d’achat va toujours à l’épargne.

De plus, les autorités chinoises commencent à s’inquiéter des risques de bulles spéculatives. Elles ont demandé aux banques distributrices de crédit de vérifier « que les nouveaux prêts étaient bien dirigés vers l’économie réelle et non sur les marchés financiers » . Les organismes de régulation ont mis des années (et beaucoup d’argent) pour nettoyer les bilans des banques. Ils n’entendent pas replonger. De plus, la reprise de l’inflation serait du plus mauvais effet au moment où Pékin cherche à relancer la consommation…

Le droit des religions

On notera que la question des droits humains n’a guère troublé le sommet sino-américain. Selon sa conception, M. Obama a insisté sur la liberté de religion. « En même temps que nous respectons la culture ancienne de la Chine et ses remarquables prouesses, nous croyons fermement qu’on doit respecter la religion et la culture de tous les peuples, que chacun doit pouvoir s’exprimer librement, a t-il déclaré. Cela inclut les minorités religieuses et ethniques de Chine, aussi sûrement que cela inclut les minorités des Etats-Unis. » Ce qui n’a suscité aucun commentaire du côté chinois (lire, dans Le Monde diplomatique d’août, actuellement en kiosques, « Quand la fièvre montait dans le Far West chinois »).

En revanche, Mme Rebiya Kadeer, présidente du Congrès mondial ouïgour qui rassemble les mouvements ouigours à l’étranger, s’est déclarée « perplexe et déçue » par le gouvernement américain.

Martine Bulard

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