Alors que l’Afrique du Sud est désormais à moins d’un an de sa Coupe du monde de football (coup d’envoi le 11 juin 2010), l’avenir est de plus en plus illisible (1). Sur fond de tensions sociales, la plus grande puissance économique du continent compose depuis la fin de l’année 2008 avec sa première récession économique depuis dix-sept ans. La nouvelle classe moyenne urbaine subit le contrecoup de sa frénésie dépensière (« The Credit Card Diet », par Maya Fischer-French, Mail and Guardian, 5 août 2009). Pretoria espère que le tournoi organisé par la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) contribuera à atténuer cette crise, à défaut d’appuyer la reprise économique. Mais pour l’heure, 800 000 des 3,2 millions de billets mis en vente ont trouvé preneur : un chiffre en deçà des espérances, reconnaît-on dans les milieux d’affaires. En Afrique du Sud, 240 000 tickets seulement ont été acquis. Plus globalement, le continent est à la traîne, exception faite des supporters ghanéens (« 2010 ticket sales slow in Africa », par Wendell Roelf, Reuters, 30 juillet 2009). Les tifosi africains devront, outre le ticket d’entrée au match, présenter un billet de retour vers leur pays d’origine, et notifier leur adresse durant leur séjour.
L’Afrique subsaharienne risque ainsi de se retrouver minoritaire dans les travées, qui seront largement occupées par des supporters britanniques et américains. Elle sera en revanche majoritaire aux alentours des stades. Alors qu’entre 3 et 5 millions de continentaux se seraient déjà installés illégalement sur le territoire sud-africain, certains redoutent en effet que l’approche de 2010 n’intensifie encore ces flux migratoires. Le gouvernement de M. Jacob Zuma prévoit de dépenser 102 millions d’euros pour prévenir un afflux de clandestins venus tenter leur chance à l’ombre du Mondial.
Pour autant, Darshan Vigneswaran, spécialiste des questions liées aux migrations à l’université de Witwatersrand, estime que le renforcement des contrôles aux frontières n’ empêchera pas hommes et femmes descendus du Nord de rallier les neuf métropoles où seront organisés les matchs de qualification en vue de la finale (« World cup could lead to migrant influx », Agence Sapa, 23 juillet 2009). Le chercheur note qu’il est en effet facile pour les migrants, à l’instar des nombreux Zimbabwéens qui versent déjà des pots-de-vin en traversant pourtant « officiellement » le fleuve frontalier du Limpopo à Beitbridge, de « payer » leur passage vers l’Afrique du Sud. Un récent voyage le long des frontières sud-africaines, dans le cadre d’un reportage à paraître pour le magazine Géo, permet de constater que la corruption est en effet courante parmi les fonctionnaires d’Etat en poste sur les principales portes d’accès à la nation arc-en-ciel. La porosité des 3 500 km de limes séparant le pays le plus riche du continent de ses voisins d’Afrique australe, l’ancienne ligne de front, contribue tout autant à faciliter cette migration.
L’Afrique est une autre victime, beaucoup moins médiatique, de la crise économique en cours. Le durcissement des conditions d’accès à la zone Schengen ainsi qu’aux pays signataires du pacte euro-méditerranéen rend de plus en plus difficile l’accès au « rêve » européen. Détérioration des conditions de vie et fermeture accrue du Vieux Continent font qu’aujourd’hui ce ne sont plus seulement les jeunes Zimbabwéens, Congolais ou Mozambicains qui convergent vers le « mirage » austral. Derrière les Nigérians, déjà fortement implantés dans le centre de Johannesburg, on constate une augmentation des migrants originaires d’Afrique de l’Ouest, qu’ils soient camerounais ou ghanéens.
Dans l’un de ses derniers rapports, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM - « In Pursuit of the Southern Dream : Victims of Necessity », 23 juin 2009) examine un autre phénomène d’immigration irrégulière. Transitant par les camps de réfugiés (« Kenya’s refugee city », BBC Africa, 5 août 2009) avant d’utiliser le hub du ghetto d’Eastleigh à Nairobi, Somaliens, mais aussi migrants éthiopiens, entament alors une périlleuse descente vers le Sud. Celle-ci est organisée par des passeurs qui peuvent prendre jusqu’à 2 000 dollars. Evitant la route terrestre directe qui traverse le Kenya, la Tanzanie et le Mozambique, ces hommes suivent « de véritables labyrinthes en passant par l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, le Malawi, la Zambie et le Zimbabwe ». Selon l’OIM, « jusqu’à 20 000 migrants éthiopiens et somaliens de sexe masculin entrent clandestinement en Afrique du Sud ».
Une population noire qui reconnaît, face aux difficultés grandissantes, qu’il lui sera de plus en plus difficile d’assister à sa propre Coupe du monde ; un pôle d’attraction pour la migration sur le continent : pour Darshan Vigneswaran, un an et demi après les actes de violence xénophobe qui avaient ensanglanté l’Afrique du Sud (2), le pays « est toujours un baril de poudre (...). Alors que les plus riches célèbreront ce rendez-vous, il y aura vraisemblablement des étrangers tués dans les townships ». Dans District 9 (photo), un film de science-fiction qui sort le 16 septembre en France, précédé d’une intense campagne de marketing viral, le réalisateur sud-africain Neill Blomkamp (désormais installé à Vancouver...) raconte l’histoire d’extraterrestres arrivés à Johannesburg et parqués dans des zones spécifiques où ils sont employés comme esclaves. On peut voir sur YouTube le court métrage qui a donné à Peter Jackson, l’homme du Seigneur des Anneaux, l’idée de coproduire cette histoire en long format. Cette métaphore humaniste signée par un ancien de la pub suffira-t-elle à faire réfléchir les Sud-Africains ?
Mondial ou pas, la nation arc-en-ciel devra en effet plus que jamais composer avec ceux qui descendent d’ailleurs...
P.-S. : Au passage, saluons l’arrivée, comme correspondant du Monde en Afrique du Sud, du journaliste Jean-Philippe Rémy. Ce remarquable homme de terrain, jusqu’ici basé à Nairobi, fut l’un des premiers à attirer l’attention sur la situation au Darfour, tout comme l’un des rares à rendre compte du chaos somalien, des exactions dans le Kivu, et des dessous de la crise kényane de début 2008. Sans parler de ses récents billets sociétaux ouvrant enfin le quotidien sur une « autre Afrique » urbaine...