Des éléments de la garde présidentielle, des militaires et des policiers anti-émeutes ont fait leur apparition ce lundi aux points névralgiques ainsi qu’à proximité de certains quartiers populaires de la capitale, Libreville. Les frontières maritimes et terrestres du pays resteront fermées au moins jusqu’à jeudi minuit. Les militaires français – 900 hommes en permanence, mais susceptibles d’être renforcés - ont été consignés. Les milieux civils français - 10 000 ressortissants, 120 entreprises, dont le pétrolier Total – se sont faits discrets. (1)
Le porte-parole du Quai d’Orsay, à Paris, a rappelé, également à la mi-journée ce lundi, que « la France fait confiance aux institutions gabonaises pour que le processus se poursuive dans le calme ». Le secrétaire d’Etat à la Coopération, M. Alain Joyandet, avait reconnu récemment que « la France regardait cette élection avec beaucoup d’attention, mais que son rôle s’est limité à une aide au déroulement normal des opérations », Paris « n’ayant pas de candidat ».
Paris dans la cible
Lire aussi Boubacar Boris Diop, « Omar Bongo, une passion française », Le Monde diplomatique, juillet 2009.
Mais la proximité de la 5ème république durant quarante ans avec le président Omar Bongo, père d’Ali Bongo, fait craindre que la France ne soit associée dans l’opinion à une victoire « imposée » de son fils, qui était jusqu’à ces dernières semaines ministre de la Défense. Et ne devienne, dans le cas où cette victoire ne « passerait » pas, la cible des protestataires, même si « aucun des candidats ne s’était déclaré hostile aux intérêts de la France », comme le relève un diplomate cité par l’AFP.
En principe, il n’est pas (ou plus) question pour la France d’intervenir directement dans un éventuel rétablissement de l’ordre, même si l’accord de défense entre Paris et Libreville actuellement en vigueur, signé le 17 août 1960 lors de l’accession du pays à l’indépendance, prévoit que la République gabonaise « peut, avec l’accord de la République française, faire appel aux forces armées françaises pour sa défense intérieure et extérieure ». Une « Convention spéciale relative au maintien de l’ordre », signée en 1961, est d’ailleurs restée secrète.
Si par malheur ...
Le cas gabonais incite à la prudence : les paras français y étaient déjà intervenus en 1963 pour ramener au pouvoir le président Léon Mba, écarté par un coup d’État ; et à nouveau en 1990, pour consolider le régime vacillant d’Omar Bongo, alors que la seconde ville du pays, Port-Gentil, était en proie aux émeutes.
Dans un entretien publié par La Croix, le 27 août, M. Alain Joyandet affirme que « si par malheur, les ressortissants français venaient à être inquiétés, il y aurait une quasi-automaticité d’intervention de nos troupes basées sur place. (…) Les accords de défense franco-gabonais ne comportent pas de clause d’automaticité d’intervention des troupes françaises. Nous sommes en cours de renégociation de ces accords, mais il y a assez peu de probabilité que l’armée française quitte le Gabon. Une fois conclu, le nouvel accord sera rendu public et devra être ratifié par le Parlement français ».
Lors de la traditionnelle « Conférence des Ambassadeurs », le 26 août dernier, le président Nicolas Sarkozy a promis que la renégociation des accords de défense liant Paris à huit Etats africains, entamée l’an dernier, serait « achevée fin 2009, dans une perspective radicalement nouvelle », en mettant « l’accent sur l’appui à la création de forces africaines capables d’assurer collectivement la sécurité de leur continent, dans le cadre de l’initiative de défense de l’Union africaine ».
Interventions à tiroirs
Mais, même si Paris répète ne plus vouloir jouer au « gendarme de l’Afrique » et est effectivement libre de ne pas donner suite à une éventuelle demande d’intervention active aux côtés des forces gabonaises de sécurité (comme cela a été le cas ces dernières années en Côte d’Ivoire, au Togo, à Djibouti, etc. ), le regroupement et l’évacuation en cas de danger des ressortissants français - auxquels sont préparés les militaires tricolores stationnés à Libreville - mettrait ces derniers en situation d’assurer avec leurs armes la sauvegarde de personnes et de biens dans la capitale et à l’intérieur du pays, ainsi que la protection de sites stratégiques. Ce qui ferait au minimum du contingent français un élément pesant dans le déroulement de la crise.
La sauvegarde de la sécurité de ressortissants avait d’ailleurs servi de prétexte, dans le passé, à des interventions « à tiroirs », beaucoup plus politiques. Aujourd’hui, les militaires français se drapent dans leur dignité retrouvée. Mais les blocages politiques, ou les incertitudes dans les processus de règlement des crises dans la plupart des Etats de l’ancien « pré-carré » francophone - Gabon, donc, mais aussi Guinée, Cameroun, Niger, Togo, Djibouti, Mauritanie, Côte d’Ivoire, Madagascar, Tchad - font craindre des dérapages dans lesquels Paris pourrait se prendre les pieds…