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Intermarché, préfet raciste, grippe A : les rouages de l’info-communication

Retour sur un été d’intense communication gouvernementale où l’on a pu voir le président de la République présenter un plan anti-bonus de moralisation du capitalisme, le ministre de l’education, Luc Chatel, se rendre dans un hypermarché pour dialoguer avec de fausses clientes, un ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, se refaire une virginité médiatique en suspendant un préfet et une ministre de la santé, Roselyne Bachelot, multiplier les discours de prévention contre le grippe A pour se vacciner contre toute contamination médiatique...

par Marie Bénilde, 2 septembre 2009

Est-elle tout à fait terminée cette affaire de figurants à Intermarché appuyant, en vue de la rentrée scolaire, la communication du ministre de l’Education nationale, Luc Chatel ? C’est à craindre. Malgré les propos du porte-parole du Parti socialiste, Benoît Hamon, le 23 août à Frangy-en-Bresse, accusant Intermarché et Luc Chatel de « complicité » et de « magouilles », la page semble bel et bien tournée pour la plupart des médias. Ne saura-t-on donc jamais la réalité à propos de cette claque organisée de toute pièce par une douzaine de figurants arrivant ensemble en voiture à l’hypermarché et repartant de la même façon ? Tout, pourtant, inviterait à enquête et à reportage.

Mais, non, il faudrait sans doute se contenter d’une vérité de façade, d’une info-communication en quelque sorte.

Rappelons brièvement les faits : le 17 août, le porte-parole du gouvernement qui se trouve être aussi ministre de l’Education, se rend dans un Intermarché de Villeneuve-le-Roi (94) en compagnie d’Hervé Novelli, secrétaire d’Etat au commerce, pour mettre en avant « Les essentiels de la rentrée ». Si vous n’avez jamais entendu parler de cette opération, rassurez-vous, vous n’êtes pas seul(e). Il s’agit d’une pure manoeuvre de communication montée par le ministère pour tenter de faire passer dans l’opinion l’idée que le gouvernement contrôle les prix, mieux qu’il agit pour faire baisser ceux des articles essentiels au cartable de l’écolier. Ca ne vous dire toujours rien ?

Eh bien, ca évoque quelque chose à cette cliente apparemment hélée au passage par le ministre :

 Luc Chatel : « Est-ce que vous connaissez l’opération les Essentiels de la rentrée ? »
 La cliente : « Il y a les essentiels et aussi les avantages de la carte au niveau d’Intermarché... C’est vrai que l’ensemble fait des prix intéressants. » (voir la vidéo sur Rue 89)

Au passage, le téléspectateur peut constater que cette séquence s’apparente à une double publicité clandestine : pour le gouvernement et pour Intermarché.

On connaît la suite. Libération a révélé que la cliente en question était en réalité une conseillère municipale d’une commune UMP de Vulaines-sur Seine, située à 47 kilomètres de là et qui se trouve être parallèlement comptable à Intermarché. Le groupe de distribution s’est donc empressé de venir au secours du ministre ou de son cabinet accusés d’avoir organisé de toute pièce cette opération de manipulation de l’information (une opération de recours à figurants du même type avait coûté son poste à Olivier Stirn, le ministre du tourisme en 1990). Dès le 19 août, Intermarché affirmait donc publiquement par voie de communiqué « avoir pris l’initiative d’inviter un certain nombre de (ses) salariés à l’occasion de la venue des ministres dans l’un de ses magasins à Villeneuve-le-Roi ». Ce qui permit aussitôt à Luc Chatel de se dédouaner en « condamnant fermement » le « procédé » du distributeur. Une initiative qui, ajoutait-il, « me choque car elle est à l’opposé de mes convictions et de mes pratiques ».

Dont acte. On se retrouve donc avec un ministre outragé, une enseigne de distribution penaude et des médias se satisfaisant, pour la plupart, de cette version.

La démission du reporter devant le communicant

Il reste pourtant à relever que cette histoire soulève encore pas mal de questions. Pourquoi d’abord, pas un média audiovisuel privé n’a pointé les cafouillages de cette opération de communication sur les prix qui sautaient pourtant aux yeux des reporters (des figurantes bien habillées investissant le rayon « fournitures scolaires » avant de repartir aussi sec en remettant en place les articles) ? Peur de déplaire à l’annonceur Intermarché ? De déjouer les rouages d’une communication politique ? Panurgisme devant le prêt-à-communiquer ? Pourquoi ensuite prendre la version d’Intermarché, fruit d’une contre-offensive sans doute conjointe entre le ministre et le distributeur, pour argent comptant ? Le New York Times qui a consacré la Une de son site et un article à cette affaire semble plus circonspect.

Pourquoi in fine accepter qu’on ensevelisse cette opération de communication clandestine démasquée par quelques reporters de France Inter et de France Info sous une autre forme de manipulation assurée par Intermarché ? Pourquoi exclure la piste politique alors que tout porte à croire qu’Intermarché et le cabinet de Luc Chatel ont agi main dans la main pour cette entreprise médiatisation des « Essentiels de la rentrée » ?

D’autant que le recours à des militants UMP n’est pas exceptionnel chez Nicolas Sarkozy. Le 6 juin, à l’occasion de la commémoration du débarquement avec Barack Obama, le public scandait devant les caméras "Nicolas, Nicolas" et conspuait le maire socialiste de Caen, Philippe Duron. Normal : il avait été drastiquement sélectionné dans un espace sécurisé auquel donnait accès.. la carte de l’UMP. En atteste un tract de la Fédération du Calvados qui remercie 500 militants qui s’étaient déplacés ce jour-là.

On connaît la propension du Président à maîtriser l’agenda médiatique. Elle consiste le plus souvent à mettre en scène son action en réagissant à l’actualité. Ce qu’on ne savait pas encore, c’est que cette super-production incessante nécessite désormais le recours à des figurants.

Le spectacle de la moralisation des banques

Un exemple de cette scénarisation en a encore été donné cet été avec l’intervention du chef de l’Etat sur les bonus des banques, qui faisait suite à la révélation d’une provision d’un milliard d’euros réalisée par BNP-Paribas pour rémunérer ses traders. A la fin août, la parade était toute trouvée : les banques devront étaler sur trois ans les versements, les deux tiers de la somme étant payée en différé pour tenir compte des résultats ; ce qui permet l’instauration de malus en cas de contre-performance. Mieux, BNP-Paribas accepte de diviser par deux sa provision pour bonus. C’est ainsi que Sarkozy a pu à nouveau brandir sa posture de moralisateur du capitalisme. Avec le soutien apparent des grandes banques françaises.

Mais quelle crédibilité accorder à cette théatralisation de la puissance de l’Etat ? Les banques s’aligneront parce que celles qui ne joueront pas le jeu seront évincées des mandats publics ? On sait bien que cette situation n’est pas tenable dans un système financier mondialisé : il peut être plus intéressant pour les banques de retenir des traders qui leur assureront des profits en conservant les règles actuelles. Nicolas Sarkozy se fait donc fort d’imposer une improbable réforme du fonctionnement du capitalisme au G20. Mais après tout, qu’importe s’il n’y arrive pas : il a aura quand même pris au passage son gain d’image. C’est tout bonus...

Le préfet raciste et le panache blanc du ministre

Autre épisode d’info-communication cet été : la suspension du « préfet raciste » Paul Girot de Langlade. A l’origine, une sombre affaire de portique de sécurité à Orly où l’homme aurait déclaré « On est où là, on se croirait en Afrique » et « De toute façon, il n’y a que des Noirs ici ». Depuis, il nie cette version et affirme au Parisien que les caméras de sécurité attestent qu’il n’a « rien dit sur la couleur de peau des agents » et qu’il aurait déclaré « Avec une gestion pareille on se croirait en Afrique ». Comme dans l’affaire des paillotes brûlées du préfet Bonnet, il y a dix ans, il convient sans doute de ne pas s’arrêter au micro-événement et de regarder ce que cache cette médiatisation en forme de lynchage.

De même que l’affaire Bonnet marquait en réalité la démission de l’Etat en Corse, cette histoire insignifiante qui ne révèle au pire qu’un habitus plein de morgue et d’arrogance - sociale ou raciale – dissimule une vérité politique plus dérangeante : comment Brice Hortefeux, un ancien ministre de l’immigration, qui a accepté de remplir ses quotas de traque aux sans papiers, veut se refaire une virginité médiatique à la Place Beauvau. Car on sait aujourd’hui que Paul Girot de Langlade n’a été « suspendu » que pour la forme après avoir terminé sa mission pour les Etats Généraux de l’Outre Mer. L’ébullition médiatique entretenue autour de cette histoire est surtout venue de la célérité avec laquelle le ministre de l’Intérieur l’a récupérée en se montrant d’une sévérité exemplaire estimant qu’il ne tolèrerait « jamais que des propos racistes soient tenus dans notre pays ». Rappelons que le préfet a déjà été relaxé en appel pour des propos véhiculant des clichés hostiles aux gens du voyage quelques années plus tôt.

La vaccination par la surcommunication contre la grippe A

Enfin, comment ne pas voir un effet d’« info-com » dans les multiples annonces faites autour de l’épidémie de la grippe A (lire « Psychose de la grippe, miroir des sociétés » dans Le Monde diplomatique de septembre). Si on ne sait pas au juste quelle sera l’ampleur de la maladie, on sait aujourd’hui quelle restera gravée dans les annales comme une grande opération de communication. La ministre de la santé, Roselyne Bachelot, ne se contente pas d’ouvrir son parapluie pour se prémunir contre tout scandale d’impréparation façon sang contaminé. Elle entretient aussi l’idée que le gouvernement sait faire face, qu’il a pris les devants face à une éventuelle pandémie. Ce dernier « en fait-il trop ? » s’est interrogé la presse.

On pourrait tout aussi bien poser la question aux médias qui, à écouter les médecins, se font les fidèles relais d’un plan anti-catastrophe alors que la perspective d’un sinistre majeur est encore à démontrer face à un virus qu’il paraissent pouvoir maîtriser. En attendant, la grippe A a bon dos : elle permet d’éviter de braquer les feux de l’actualité sur une rentrée où manqueront les enseignants – 13 500 suppressions de postes – comme les personnels de santé. Quant aux entreprises, elles sont invitées à se prémunir contre la grippe A en explorant de nouveaux champs qui pourront se révéler féconds par la suite : télé travail, prêt de main d’oeuvre, assouplissement des conditions de travail dans la prise de congés et de RTT… Voire plans sociaux si les perspectives de reprise économique tant augurées par les médias pendant l’été - au nom de la spéculation boursière – ne se confirme pas... Ce sera la faute à la grippe A !

Pendant ce temps, alertée par le virologue américain Tom Jefferson (1), la presse allemande nous apprend que l’OMS a changé sa définition de la « pandémie » et elle s’interroge pour savoir si ce ne serait pas dû aux laboratoires pharmaceutiques qui la financent. Le 28 août, une note de l’OMS révèlent en effet que la grippe A a tué au « moins 2185 personnes » dans 177 pays alors que 5000 Français meurent chaque année, directement ou non, de la grippe classique. Mais désormais, il ne suffit plus de « nombreux morts » pour déclencher une pandémie. De grosses ventes de vaccins sont dans la balance...

Marie Bénilde

(1Voir à à ce sujet Arrêt sur Images du 28 août 2009

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