Quelques semaines après l’inauguration en fanfare de Seacom, premier câble sous-marin de fibres optiques connectant l’Afrique de l’Est à l’Asie et à l’Europe, le continent vient de célébrer l’arrivée d’un nouveau tuyau sur sa côte ouest. Offrant une alternative au câble Sat 3, Glo 1 doublera la connection du Nigeria et de seize autres pays riverains avec le vieux continent. Seacom et Glo 1 permettront aux futurs opérateurs locaux de développer des offres internet à haut-débit, en premier lieu dans les métropoles côtières du continent. Jusqu’alors, l’Afrique de l’Est devait par exemple se contenter d’environ 0,07% de la bande passante internationale
Quatre autres câbles sous-marins à fibre optique devraient mailler l’Afrique subsaharienne d’ici 2011. Les internautes du continent espèrent que l’amélioration des performances sera accompagnée d’une baisse substantielle des coûts d’accès au web. Les tarifs demeuraient jusqu’alors les plus chers au monde, sous prétexte que les opérateurs Internet bénéficiaient d’une connectivité assurée essentiellement par des stations terrestres de télécommunication par satellite : 80 euros les 110 kilobits/seconde, soit un coût dix fois plus élevé qu’en Europe. Seacom promet ainsi des réductions des tarifs Internet… de près de 90%.
Salutaire réservoir de croissance
Téléconférence, assistance médicale, enseignement à distance, conseils agronomiques, monétique, multiplication des blogs d’opinion, dont ceux qui permettent d’alimenter ce blog… Les applications d’Internet ne manquent pas sur le continent. Mohsen Khalil, directeur du département des technologies de l’information et des communications (TIC) mondiales du groupe de la Banque Mondiale, y voit un autre sujet de satisfaction : une meilleure connectivité aux TIC libérerait le potentiel économique de l’Afrique. « Un être humain, dès lors qu’il dispose de moyens d’accès au monde, voit décupler son sens de l’innovation et son esprit d’entreprise », notait-il en septembre 2007. Un nouveau rapport publié en juin 2009 par la Banque Mondiale, « L’accès internet à haut débit est un facteur clé de croissance et de création d’emplois dans les pays en développement (30 juin 2009), estime qu’une hausse de 10 points de pourcentage du nombre de connexions Internet à haut débit s’accompagne d’un surplus de croissance économique de 1,3 point.
Les profits d’ores et déjà ramassés dans le secteur des télécommunications en Afrique ont prouvé aux investisseurs qu’ils pouvaient « contribuer au développement tout en faisant de l’argent », reconnaît également M. Khalil. Ce n’est qu’un début. Selon les chiffres publiés en 2008 par l’Institut des télécoms et de l’audiovisuel en Europe (Idate), les marchés des télécoms matures avancent en effet moins vite que les émergents, avec des croissances faibles en Europe (+3,4%) et en Amérique du Nord (+2,9%), moyennes en Asie-Pacifique (+6,2%) et fortes en Amérique latine (+10%) et en Afrique-Moyen-Orient (+13,5%). Le marché africain de la téléphonie mobile enregistre depuis 2002 « la croissance la plus rapide au monde, en dépit d’un coût de production élevé », rapporte une étude sur le développement des télécommunications en Afrique, commanditée par le cabinet Ernst & Young en juin 2009. Menée auprès de vingt-huit dirigeants des plus grands opérateurs de télécommunications en Afrique, celle-ci note que « depuis 2002, le marché africain enregistre une croissance de 49,3%, là où le marché français des télécommunications n’enregistre qu’un taux de croissance annuel pondéré de 7,5%, le Brésil est à 28% et l’Asie à 27,4% ». Le taux moyen de pénétration du mobile en Afrique, qui « se situe à 37% », « pourrait passer à 61 % d’ici à 2018 », révèle ce rapport, précisant que le continent est désormais à « l’avant-garde de la révolution des télécommunications ».
L’Afrique, « réservoir de croissance » pour le monde des télécoms, devrait voir ainsi couler prés de 50 milliards de dollars d’investissement dans le secteur de la téléphonie mobile d’ici 2012, selon la GSM Association (GSMA), représentant les intérêts de huit cents opérateurs mondiaux et de deux cents entreprises du secteur de l’électronique. Les revenus moyens par client sont faibles : moins de 10 euros en moyenne contre environ 30 euros dans les pays occidentaux, d’après l’Idate. Mais les opérateurs font un investissement sur l’avenir, misant sur l’enrichissement des populations qui dépenseront de plus en plus. (« Les pays émergents, réservoirs de croissance dans le monde des télécoms », AFP, 9 septembre 2009). Désormais, note le chercheur pakistanais Aneel Saman, les gourous des investissements dans les télécoms en Afrique semblent adhérer à ce que prône C.K Prahald dans sa philosophie du « bas de la pyramide » : « Si nous cessons de de considérer les pauvres comme des victimes ou comme un fardeau et commençons à les identifier comme entrepreneurs souples et créatifs et comme consommateurs conscients des valeurs, un nouveau monde d’opportunité s’ouvrira. »
Opérateurs indiens en pointe
Les principaux opérateurs de la planète convergent aujourd’hui en masse vers ces nouvelles frontières du profit, tracées à coups de dérégulation massive. Ces derniers se disputent l’Afrique « à coups de milliards de dollars » (« Ruée des opérateurs internationaux sur l’Afrique », par Walid Kéfi, Les Afriques, 16 septembre 2009). Les opérateurs indiens sont particulièrement en pointe : la plus grosse opération d’acquisition transfrontalière de l’année 2009 se poursuit autour de la vente de 49% du sud-africain MTN Group à l’indien Bharti Airtel pour 14 milliards de dollars. En retour, le Sud africain débourserait 10 milliards pour acquérir 33% de Bharti. Prélude à une fusion, cette participation croisée bouleverserait la donne des télécoms dans les pays en développement en donnant naissance au troisième opérateur mondial de mobile et le premier sur le continent africain. Les discussions, qui ont déjà été prolongées à deux reprises pour des raisons tant politiques qu’économiques, sont censées se conclure ce 30 septembre. La compagnie Essar et le groupe Vasavi sont également tous deux engagés dans des discussions de fusion et d’acquisition avec la branche africaine du saoudien Warid et l’opérateur Zain (« Africa/India : Telecom dominations in three fell swoops », Africa-Asia Continental, septembre 2009).
La GSMA et ses trois milliards de coups de fil par an ont fait savoir aux gouvernements africains que l’industrie du mobile leur rapporterait d’ici 2012 plus de 71 milliards de dollars en taxes diverses (« Taxation and the Growth of mobile in sub-saharian Africa »). Ces derniers pourraient gagner plus, est-il précisé, à condition qu’ils s’engagent à ne plus taxer au rang de produits de luxe — mais de biens domestiques — les téléphones ancienne ou nouvelle génération déchargés par containers entiers dans les port du continent.
Il n’est pas en revanche précisé si les majors de la téléphonie s’engageront à tracer plus rigoureusement l’origine des minéraux servant à concevoir les composants électroniques qu’elles utilisent. L’Australie et le Brésil en exportent en grandes quantités. Mais le coltan de la région du Kivu représenterait entre 60 et 80% des réserves mondiales de tantale (métal extrait du coltan). Or, comme le rappelle le dernier rapport de l’ONG Global Witness consacré à la guerre et la militarisation du secteur minier dans l’est du Congo (« Face à un fusil, que peut on faire ? », 21 juillet 2009), le contrôle du commerce de la cassitérite (minerai d’étain), de l’or, du colombo-tantale (coltan), de la wolframite (source de tungstène) et d’autres minerais « contribue à perpétuer un conflit armé qui déchire le pays depuis plus de douze ans ». Des liens avec des entreprises étrangères sont mises en évidence par l’ONG. « Bien que se disant favorables aux principes “éthiques”, les entreprises de commerce ne disposent d’aucun système de suivi efficace pour contrôler leur chaîne d’approvisionnement ou évaluer l’impact de leur commerce sur les droits », précise le rapport. Quant au grandes entreprises du secteur de l’électronique, « si elles sont plus sensibles à l’importance de la diligence raisonnable, elles ne reconnaissent pas pour autant l’urgence de ce problème et ne s’engagent guère à soumettre la totalité de leur chaîne d’approvisionnement à des vérifications ».
Pour Yenga Mabolia, coordonnateur du processus de Kimberley au sein du Ministère des mines congolais, l’Etat doit réaffirmer sa présence dans les mines du Kivu (« Human cost of mining in DR Congo », par Karen Allen, BBC news, 2 septembre 2009).
Simple comme un coup de fil ?