Soixante dix délégations, dont une trentaine de chefs d’Etat, se sont retrouvés les 26 et 27 septembre à l’occasion d’un sommet qui avait « rendez-vous avec l’histoire ». Non pas à Pittsburg, mais sur l’île vénézuélienne de Margarita, à l’occasion du second sommet Afrique-Amérique Latine (ASA), où, pour citer à nouveau le gabonais Jean Ping, président de la commission de l’Union Africaine, « la crédibilité de la coopération Sud-Sud était en jeu ».
Bien que les échanges commerciaux entre les deux continents soient passés de 6 à 36 milliards de dollars depuis le premier sommet organisé en 2006 à Abuja, au Nigeria, l’initiative demeurait en effet balbutiante. Un pas vers une coopération « plus concrète et efficace » (« Sommet Afrique-Amérique Latine au Venezuela : une volonté de coopération », par Angele Savino, Radio France Internationale, 27 septembre 2009) semble cette fois-ci avoir été franchi avec l’officialisation de la naissance d’une Banque du Sud amenée à financer des projets de développement. « Nous devons bâtir un système financier international fondé sur une logique de développement et non sur sa logique perverse actuelle », a plaidé le chef d’Etat équatorien, Rafael Correa, président en exercice de l’Unasur (Union des nations sud-américaines).
Durant ce sommet, plusieurs accords dans le domaine de l’énergie, l’agriculture, la santé ou encore le tourisme ont par ailleurs été concrétisés. Sans oublier le renforcement de la coopération dans le domaine de la lutte contre un narcotrafic en train de gangréner certaines nations d’Afrique de l’Ouest, Guinée Bissau et Guinée Conakry en premier lieu (« Sommet Amérique du Sud-Afrique : Chavez et Kadhafi prêchent un nouvel équilibre mondial », par Gaël Favennec, AFP, 26 septembre 2009). Pour le Brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, qui a mené quinze visites officielles sur le continent africain depuis 2002 : « Nous devons chercher de nouveaux partenaires, de nouvelles relations. Le XXIe siècle peut être le siècle de l’Afrique et de l’Amérique latine. Il faudra que nous dépendions plus de nos décisions que d’hypothétiques aides extérieures. »
Ce sommet, organisé dans la foulée de celui de Pittsburg, clôture une année diplomatique intense pour le continent africain. Aucun pays, jusqu’aux plus petits, n’a été épargné. Derrière les Etats-Unis, la Chine, l’Inde et le Brésil, une seconde vague de nations émergentes et intermédiaires sont en train de reprendre pied en Afrique. Quatre ans après la visite de son prédécesseur Mohammad Khatami, l’est du continent (Kenya, Comores, Djibouti) a ainsi vu passer en février 2009 le président iranien Mahmoud Ahmadinejad. En juin, c’était au tour du président russe Dmitri Medvedev, entourés de quatre cents hommes d’affaires, d’effectuer un voyage officiel qui l’aura mené du Caire à la Namibie en passant par le Nigeria et l’Angola.
En attendant une visite officielle du… Prince Albert de Monaco au Sénégal (du 9 au 11 novembre), destinée à intensifier la « coopération bilatérale » entre les deux pays, la tournée africaine effectuée début septembre 2009 par le ministre des affaires étrangères israélien Avidgor Lieberman continue à soulever des commentaires. Elle marque, là aussi, le retour politique d’une nation sur un continent ou l’aura d’Israël n’avait cessé de s’atténuer depuis les années 1970 et la guerre du Kippour, exception faite du Kenya, de l’Ethiopie et de l’Ouganda, trois pays géopolitiquement importants, visités par l’extrémiste chef de la diplomatique israélienne, et connus pour collaborer avec Tel-Aviv dans le domaine des renseignements militaires. Passée également par le Nigeria et le Ghana (l’Angola, in fine, fut abandonné), cette tournée destinée à initier un « nouvel âge d’or » pour la diplomatie israélienne était ainsi la première visite officielle de ce genre sur le continent depuis le passage de David Levy au Nigeria en 1991.
Elle fut l’occasion, quelques mois après le voyage d’Ahmadinejad, d’évoquer la question iranienne « au regard des efforts de ce pays pour s’établir dans la région et y opérer », selon les autorités israéliennes. Il s’agissait aussi de chercher un soutien plus ferme de l’Afrique, notamment aux Nations unies, afin de peser davantage contre le programme nucléaire iranien. Un autre enjeu concernait également les pays d’Afrique orientale méticuleusement sélectionnés par la diplomatie israélienne : celui de la bataille du Nil menée entre Israël et une Egypte qui ne veut pas voir remise en cause le partage des eaux du fleuve. Comme le rappelle Le Figaro, cette tournée intervenait en effet « alors que les pays riverains du sud, Ethiopie et Kenya en tête, réclament un nouveau partage des Eaux du Nil » (« L’Egypte et Israël mènent la bataille du Nil », par Tangi Salaun, Le Figaro, 8 septembre 2009). L’Etat hébreu, souligne la version hebdomadaire du journal égyptien Al Ahram, « qui convoite l’eau du Nil, contribuerait à l’attitude des pays riverains à l’égard de l’Egypte » (« Don’t let Lieberman outflank us », par Galal Nassar, Al-Ahram, 23 septembre 2009). Avec le lac Tana, l’Ethiopie contrôle les sources du Nil Bleu. Le Lac Victoria permet au Kenya et à l’Ouganda de revendiquer celles du Nil Blanc. Israël se serait engagée durant cette visite à contribuer au financement de l’édification de nouveaux barrages.
Plusieurs accords de coopération dans les domaines agricole et de l’irrigation ont aussi été signés. Mais cette tournée israélienne fut d’abord placée, tout comme d’ailleurs celle de l’Iran et de la Russie, sous le signe de la Realpolitik et du pragmatisme économique. Malgré les années de gel, Israël, qui entretient des relations diplomatiques avec quarante pays du continent, a vu ses échanges commerciaux passer de 430 millions de dollars dans les années 1990 à plus de 2 milliards en 2009. Une croissance due en particulier à son savoir-faire et son expérience dans le domaine de la sécurité, la surveillance, et l’armement. « La triste vérité, remarquait l’ancien ambassadeur d’Israël en Angola, Tamar Golan, directeur aujourd’hui de l’Africa Project à l’université Ben Gourion, c’est qu’à l’exception de quelques entreprises travaillant dans le domaine civil, la présence d’Israël en Afrique est majoritairement liée au domaine des diamants et des armes. Et malheureusement, cette présence mercantile, souvent menée dans l’ombre plutôt que par l’entremise de canaux officiels, a peu de chance d’être modifiée par Monsieur Lieberman. » (« Mideast : Israel turns dubiously to Africa », par Jerôme Kessel et Pierre Klochender, IPS, 19 août 2009.)
500 millions de dollars de contrats
avec des entreprises d’armement israéliennes
Si Israël s’est officiellement engagé « à trouver des solutions pour contribuer à la résolution des grandes problématiques africaines, la faim, les épidémies, l’assainissement de l’eau », Yossi Melman, spécialiste des affaires de renseignement au quotidien israélien Haaretz, note que l’un des aspects les moins médiatisés de cette tournée africaine était ainsi de « booster » les exportations de matériel militaire (« Lieberman used Africa trip to lay groundworks for arms deals », par Yossi Melman, Haaretz, 11 septembre 2009). A cet effet, l’entourage du ministre des affaires étrangères comptait « des représentants des principales entreprises publiques et privées de secteur : Israel Military Industries, Israel Aerospace Industries, Soltam, Silver Shadow Advanced Security Systems, Israel Shipyards and Elbit Systems ». Yossi Melman précise par ailleurs qu’on y comptait un haut responsable du Mossad ainsi que d’une délégation du Sibat, l’agence d’export de défense et de coopération de défense du ministère de la défense.
En Ethiopie, sur la ligne de front avec les milices extrémistes somaliennes et dont les relations ne cessent de se tendre avec l’Erythrée, le premier ministre Meles Zenawi aurait fait savoir à M. Lieberman son souhait de laisser opérer des agents israéliens à partir d’Addis-Abeba. Au Nigeria, où le gouvernement fédéral a signé ces dernières années plus de 500 millions de dollars de contrats avec des entreprises d’armement israéliennes, l’américain Daniel Volman, directeur de l’African Security Research Project, craint que ce matériel ne soit utilisé lors de la prochaine offensive envisagée par Abuja dans le pétrolifère Delta du Niger (« Nigerian government gears up for another offensive in the Delta », African Security Research Project, 21 septembre 2009). L’amnistie passée entre le gouvernement nigérian et les groupes de rebelles du Delta est arrivée à échéance le 4 octobre. Officiellement, 8299 militants de la nébuleuse de groupes présents dans les mangroves des sept Etats du sud-est nigérian auraient accepté cette amnistie, rendant quelques cinq mille armes légères et dix-huit embarcations armées. Plusieurs chefs de guerre ont fait le voyage auprès de la présidence, moyennant de confortables émoluments. Mais d’ autres activistes liés au principal mouvement rebelle, le Mend, continuent à prôner la lutte armée. Considérée comme un succès par Abuja, cette trêve est perçue avec beaucoup plus de pessimisme par de nombreux observateurs occidentaux (« Delta Farce : Nigeria’s Oil Mess », par Will Connors, The Wall Street Journal, 21 septembre 2009). « Une des raisons qui expliquent que le Mend ne croit pas le président Yar’adua découle du fait que le gouvernement a récemment acheté des centaines de millions de dollars de matériel militaire sophistiqué en vue de préparer une nouvelle offensive dans le Delta du Niger », rappelle Daniel Volman. « Parmi ce matériel, poursuit il, on trouve deux vedettes militaires Shaldag MK-II achetées 25 millions de dollars auprès d’Israel Shipyards, dont l’une a déjà été fournie. Un autre contrat, passé avec Aeronautical Ventures, porte sur des drones aériens et maritimes. Quatre-vingts hommes de la marine nigériane sont d’ailleurs actuellement entrainés dans le port israélien d’Haifa dans le domaine de la contre-insurrection. »
Cinquième exportateur mondial d’armements, Israël talonne désormais la France (« Ventes d’armes : la France peine à défendre son rang », par Nathalie Guibert, Le Monde, 28 septembre 2009). Le continent africain sera-t-il pour son industrie de l’armement un « levier de croissance », au risque de voir affluer sur Tel-Aviv de plus en plus de réfugiés fuyant les conflits de basse intensité, tels que celui du Sud Soudan, entretenus par le matériel international vendus par d’interlopes intermédiaires israéliens ? (« Pirate versus weapon dealers, looking for the good guys off the Somali coast », par Clemens Höges, Uwe Klussmann et Horand Knaup, Spiegel Online, 6 octobre 2008). Une enquête du bimensuel Challenge, publié à Jaffa par des journalistes arabes et juifs, note en effet le nombre croissant de Soudanais et d’Erythréens venus se drosser en Israël via le désert du Sinaï après avoir été déportés d’Egypte ou avoir vainement tenté de s’y réfugier « (Israel’s Africa Problem », par Yossi Wolson, mai/juin 2008). De plus en plus d’actions de solidarité avec ces Africains sont initiées par la société civile de Tel-Aviv. Tout nouvel ami de l’Afrique qu’il soit, M. Lieberman semble en revanche en faire peu de cas…