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Chantier de jeunesse

Bien que pâle substitut de l’ancien « service national » en vigueur en France pendant près de deux siècles, la Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD) permet de rassembler chaque année autour des questions de défense, dans deux cent cinquante lieux, environ 780 000 garçons et filles de 16 à 18 ans — soit la totalité d’une classe d’âge. Un « gisement » qui, surtout en ces temps de crise , intéresse le gouvernement : une réunion interministérielle, mardi 13 octobre, sous la présidence du ministre de la défense Hervé Morin et de son secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Hubert Falco, chargé du dossier, a lancé un large « toilettage » d’une institution qui a plus de dix ans.

par Philippe Leymarie, 14 octobre 2009

Créée en 1998, lors de la professionnalisation des armées, la JAPD a « permis en onze ans à 8 millions de Françaises et de Français de s’initier aux problématiques de défense », se félicite le ministère de la défense, qui a confirmé mardi le lancement du chantier de la rénovation de l’institution : « Grâce à la JAPD, 55 000 jeunes en situation d’illettrisme sont détectés chaque année, et plus de 30 000 d’entre eux acceptent l’aide qui leur est proposée par l’intermédiaire de la direction du service national ».

La JAPD est censée remplir – en un seul rendez-vous, sur une journée – une série de fonctions qui étaient (plus ou moins !) celles de l’ancien service national : sensibilisation de la jeunesse aux questions de défense, devoir de mémoire, renforcement du « lien armée nation », détection de l’analphabétisme et de l’illettrisme, établissement de statistiques sur les « appelés », un zeste de « gestes de secourisme », et depuis 2007, un module « Europe ». Un saupoudrage qui constitue sans doute pour beaucoup de jeunes des deux sexes – alors que l’ancien service national était réservé aux garçons – un utile « rite de passage », mais qui ne peut laisser une empreinte bien profonde …

Parcours citoyen ?

Cette journée ne prétend pas tenir lieu de l’ancien « service militaire » ; elle est d’ailleurs conçue comme l’aboutissement d’un « parcours de citoyenneté » qui comprend trois étapes obligatoires :

— un enseignement de défense, dispensé en principe en 3e au collège, en 1e au lycée, mais laissé à la libre appréciation des enseignants, sans programme spécifique (sinon qu’il est censé évoquer les menaces, l’esprit de défense, les enjeux de sécurité... ) ;
— le recensement, dès 16 ans, étape obligatoire pour accéder aux listes électorales, aux examens, etc ;
— et la JAPD elle-même, organisée sur deux cents cinquante sites, tout au long de l’année scolaire, sanctionnée par un certificat également requis pour accéder aux diplômes d’Etat, y compris le permis de conduire.

Dans la pratique, la « journée d’appel » — outre l’aspect brassage et convivialité — peut être l’occasion d’une prise de contact avec des professionnels autour d’un métier prestigieux (par exemple, tireur d’élite, ou sportif de haut niveau), d’une unité territoriale (régiment, base, service spécialisé), d’un corps d’armée (comme l’Eurocorps), autour d’un thème ou lieu de mémoire (comme le camp de déportation du Struthof, ou un cimetière militaire), ou d’une institution (Hôtel de ville, Conseil constitutionnel, Parlement européen). Des JAPD pour des publics spécifiques peuvent être organisées dans des lieux adaptés (par exemple, en maison d’arrêt pour de jeunes détenus).

Charger la barque

La barque de cette unique journée risque d’être plus chargée encore avec la série de mesures envisagées sous l’autorité de M. Hubert Falco, qui seraient expérimentées à partir de la prochaine rentrée scolaire (2010), sous réserve de leur adoption à la fin novembre. Soit en substance :

— relier la JAPD au plan santé des jeunes (PDF), lancé par la ministre de la santé Roselyne Bachelot, pour amener la totalité d’une classe d’âge à effectuer un bilan santé (en liant par exemple la délivrance de l’attestation de JAPD à la présentation d’un certificat médical) ;
— relier les jeunes en difficulté au dispositif « anti décrochage » annoncé récemment à Avignon par le président Nicolas Sarkozy (droit et obligation de formation professionnelle des 16-18 ans), ce qui concernerait 100 000 jeunes : l’information collectée au cours des JAPD serait transmise aux pôles emploi, en liaison avec le Haut-commissariat aux Solidarités actives de Martin Hirsch ;
— aider à l’insertion professionnelle, en ouvrant tous les ans 20 000 postes au recrutement dans la défense, promue « premier partenaire des jeunes pour l’emploi ». La plupart des jeunes concernés effectuent un contrat de cinq ans (PDF), et se reconvertissent à l’âge de 25 ans : ils sont alors « très attractifs pour les entreprises » (un pôle emploi pour la reconversion des militaires a été inauguré le 5 octobre dernier à Toulon) ;
— aider les jeunes qui ont des talents et sont en recherche de formations d’excellence – dans le cadre du plan « espoir banlieues » de Fadela Amara, en phase avec le dispositif « égalité des chances » du ministère de la défense (stages qualifiants dans les armées, 450 places de jeunes boursiers dans les six lycées de la défense, etc.) ;
— enfin, transmettre aux jeunes les valeurs de la citoyenneté avec une pédagogie renouvelée : « Etre plus concret, en s’adaptant mieux aux situations locales », résume une note du secrétariat d’Etat, sans donner plus de détails.

Objectif subliminal

Tout frais nommé à la tête de la direction du service national – 1 600 agents, tout de même, pour faire tourner un « service »… qui en principe n’existe plus ! –, le général Robert Augier de Crémiers convient que la pédagogie a besoin d’un coup de neuf : « On en est encore aux DVD : il est temps de passer à la clé USB ! » Mais, pour lui, le grand déclencheur de la prise de conscience pour ce chantier de rénovation de la JAPD a été le Livre blanc sorti en 2008, qui intègre la notion de sécurité, accolée désormais à la défense.

Aucun autre ministère, il est vrai, ne dispose d’une telle plateforme d’information et de détection (avec par exemple un quizz-test de langue), qui permet une « coupe » — même sommaire — de toute une classe d’âge, qui initie à quelques gestes de base (secourisme), etc. D’où l’idée de « positionner la JAPD, en amont sur la santé, en aval sur le suivi des jeunes en difficulté ».

Quand on demande à l’officier général quels messages il cherche ainsi à faire parvenir à ses 780 000 « clients », il place en Un « la légitimation des efforts de défense de la France », et en Deux, « intéresser les jeunes aux métiers des armées », mais « de façon subliminale, sans jouer les sergents recruteurs » – ce dont s’acquittent les bureaux ad hoc

Philippe Leymarie

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