La presse néoconservatrice américaine, notamment The Wall Street Journal, et certains commentateurs français (lire Marianne2) se rejoignent pour expliquer que la Chine a infligé une « humiliation » à M. Barak Obama, qui n’aurait strictement « rien obtenu » et aurait été censuré comme jamais aucun dirigeant ne l’aurait été.
Rien ne permet d’étayer un tel raisonnement. Vivant de longue date à Pékin, je peux même affirmer qu’au contraire, il a marqué des points et fait avancer les idées de progrès démocratiques. Lesquelles ont, évidemment, besoin de temps pour entrer dans les faits.
M. Obama a obtenu la reprise des discussions bilatérales sur la question des droits de l’homme d’ici février 2010. Nul ne peut dire ce qu’il en sortira. Mais il est évident que le président chinois Hu Jintao n’a pas accepté cette commission de gaîté de cœur. C’est lui qui a dû faire cette concession, non M. Obama.
Le président américain a dit tout ce qu’il devait et pouvait dire, en public, en direct à la télévision, et face au dirigeant chinois. A ma connaissance, aucun autre dirigeant occidental n’avait tenu des propos aussi nets. Même la chancelière allemande Angela Merkel, pourtant assez audacieuse, ne s’y est pas risquée. Ce n’est qu’en marge de sa rencontre avec M. Hu — et non en face — qu’elle a prononcé ses déclarations sur les libertés. La preuve que M. Obama a touché juste peut être trouvée dans l’attitude de la presse écrite. Alors qu’il a tenu sa conférence de presse devant quelque quatre cents journalistes chinois et étrangers et en direct sur CCTV, il a été censuré par les journaux — ce qui ne dupe personne, car la différence apparaît encore plus flagrante.
Il est absurde de penser qu’un pouvoir comme le pouvoir chinois, par ailleurs si courtisé sur d’autres questions cruciales, va céder sur tout et s’incliner, « se faire humilier » à son tour. M. Robert Gibbs, porte-parole de la Maison Blanche n’a pas tort de faire remarquer : « Effectivement, nous n’avons pas fait de la Chine une démocratie en trois jours. Peut-être que si nous avions gonflé la poitrine en clamant “démocratie”, cela aurait marché. Mais au cours de ces seize dernières années, cela n’a donné aucun résultat. » (Helene Cooper, « China Holds Firm on Major Issues in Obama’s Visit », New York Times, 18 novembre 2009).
Il est tout aussi absurde de ne pas voir ce qui bouge — même si l’on peut penser que cela ne va pas assez vite. Par exemple, la Chine officielle n’a fait aucun commentaire sur le nécessaire dialogue avec le dalai-lama, prôné par M. Obama pour résoudre les problèmes du Tibet, alors que ce sujet engendre généralement remarques acerbes ou même colère. Tout aussi significative est l’interview de M. Obama dans le journal Nanfang zhoumou, qui a pignon sur rue. Une première pour un président étranger qui a pu renouveler ses déclarations. Mais si le journal est vendu dans tous les kiosques — et donc accessibles à tous Chinois — les abonnés ne l’ont pas reçu et l’interview a disparu du site de l’hebdomadaire (lire Raymond Li, « Censor suspected in missing Obama exclusive » South China Morning Post, Hongkong, 20 novembre 2009). Cela donne idée du pas de danse actuel des dirigeants…
Quant à la surenchère de certains commentateurs, elle est facile… mais n’a jamais fait avancer les choses.
Laurent Ballouhey est sinologue, traducteur.