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L’Assemblée nationale, la burqa et les minarets suisses

par Alain Gresh, 27 novembre 2009

«Assemblée : la possible interdiction du voile ravive le débat sur la visibilité de l’islam » (Stéphanie Le Bars, Lemonde.fr, 26 novembre).

« Après les établissements scolaires, l’Assemblée nationale va-t-elle devenir le prochain lieu public d’où sera banni le voile islamique ? La question, ressentie comme une nouvelle stigmatisation de l’islam par la communauté musulmane, se pose après la demande de la députée (UMP) du Nord, Françoise Hostalier, de modifier le règlement de l’Assemblée nationale pour y interdire le port du voile.

Cette nouvelle polémique a surgi après la visite, le 12 novembre, dans les tribunes de l’Assemblée nationale, d’une classe d’un lycée de Garges-lès-Gonesse. La présence d’une élève portant le voile islamique avait suscité la colère de plusieurs députés pour qui cette tenue relevait de la “provocation”. “Elle était fortement voilée et agitée”, précise aujourd’hui Mme Hostalier. »

La députée n’explique pas ce qu’est une femme « faiblement voilée ».

« Avec plusieurs de ses collègues, la députée avait alors demandé, en vain, que soit appliqué sur-le-champ le règlement de l’Assemblée nationale, et notamment son article 8 qui dispose que les personnes assises dans le public doivent être “découvertes”. »

« Face à l’émotion persistante, le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a adressé une lettre à tous les députés le 19 novembre. Il y rappelle qu’“aucune disposition de notre règlement n’autorise le président de séance à refuser l’accès des tribunes du public à une personne pour ce motif”. Il indique par ailleurs que la prescription demandant aux visiteurs d’avoir la tête découverte est “vieille de plus d’un siècle et ne saurait être opposée au foulard” et rappelle que “les libertés de religion et d’opinion font partie des droits fondamentaux”. »

Haut lieu de la représentation nationale, l’Assemblée serait-elle menacée ? Le lieu même serait-il sacré au point de n’admettre aucun « signe religieux » ? Pourtant, qui se rappelle qu’il n’y a pas si longtemps siégeaient à l’assemblée des députés-prêtres qui portaient la soutane ? Les plus célèbres d’entre eux ont été Henri Grouès (1946-1951), dit aussi abbé Pierre et le chanoine Felix Kir (1946-1967), le chanoine Kir, maire de Dijon, antigaulliste et allié à la gauche. Personne alors ne semblait choqué par le port de la soutane dans l’hémicycle... Il est vrai que ce n’étaient pas des musulmans...

Pendant ce temps, imperturbable, alors que le chômage s’aggrave et que s’accélère le démantèlement du service public, la Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national poursuit ses travaux. Les compte-rendus, et notamment les interventions des députés, pourraient faire l’objet d’une anthologie des fantasmes, des peurs, de la démagogie aussi de nombre d’élus.

On pourra lire toutefois des interventions plus raisonnables, notamment celles de l’historien Benjamin Stora, de Jean Baubérot, celles des représentantes du collectif des féministes pour l’égalité (Ismahane Chouder et Monique Crinon), celle de Farhad Khosrokhavar. Mais la plupart de ces contributions auront peu d’impact, tant est grande la démagogie des politiques.

« L’UMP lance un site pour débattre de la burqa » (Celia Heron, lemonde.fr, 18 novembre)

« Lors de son discours, jeudi 12 novembre, à La Chapelle-en-Vercors (Drôme), Nicolas Sarkozy avait exhorté les Français à “prendre part au débat sur l’identité nationale”. Commençant par s’en emparer lui-même, il avait insisté sur le fait que “la France est un pays où il n’y a pas de place pour la burqa, pas de place pour l’asservissement de la femme”. Parallèlement à la mission parlementaire sur le voile intégral, mise en place par l’Assemblée nationale début juillet, le groupe UMP à l’Assemblée a pris l’initiative de lancer un site sur ce qu’il qualifie de “phénomène de société” : la-burqa-en-debat.fr. »

Mais l’utilisation du chiffon rouge musulman n’est pas l’apanage, loin s’en faut, des seuls élus et politiques français.

Dépêche de l’Agence France-Presse, du 27 novembre : « La droite populiste helvétique, qui ne manque jamais une occasion d’attiser la peur de l’étranger, demande aux Suisses d’interdire dimanche (29 novembre) par référendum la construction de minarets, accusés de symboliser une revendication de pouvoir politique de l’islam. (...)

Les partisans de l’interdiction n’ont pas fait dans la nuance : leurs affiches représentent une femme complètement voilée devant le drapeau suisse couvert de minarets, dont la silhouette stylisée évoque des missiles. Après les affiches appelant à bouter les “moutons noirs” étrangers hors de Suisse, la propagande de la droite populiste a encore fait scandale. Cette image “attise la haine”, a dénoncé la Commission fédérale contre le racisme (CFR), un organisme public consultatif, tandis que le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’est inquiété de cette campagne d’“affiches sinistres”. Comme l’objet du référendum, le débat sur la campagne d’affichage divise profondément la Suisse : plusieurs villes ont banni cette propagande tandis que d’autres ont préféré ne pas limiter le droit à la liberté d’expression. »

Dans un éditorial du quotidien Le Temps (21 novembre), intitulé « Minarets : non à l’offense irréparable ! », (et dont le sous-titre est « Sommes-nous prêts à blesser nos libertés fondamentales pour parer un danger largement imaginaire ? ») Jean-Jacques Roth écrit :

« Il faut dire non. Un non catégorique, vibrant, indigné. L’initiative qui veut interdire la construction de minarets est tout d’abord inutile : les minarets de Suisse (quatre !) ne dérangent personne, et nul ne projette d’en construire une marée. Les lois actuelles suffisent à les proscrire là où on ne les veut pas, et les muezzins ne sont pas tolérés. C’est donc une mauvaise réponse à une question qui ne se pose pas.

Mais ce n’est pas aux minarets qu’une forte proportion de citoyens s’apprête à dire “stop”, comme les y invitent des affiches menaçantes. Derrière ces tours virtuelles, les motifs d’inquiétude se bousculent : les visées de la cinquième colonne terroriste, la charia qui voudra un jour voiler nos femmes et interdire Noël, l’allégeance religieuse plutôt que le respect de la laïcité républicaine. Non au Hamas, non à la burqa ! Et si l’on ne pose pas cette limite aujourd’hui, demain sera trop tard… »

Sur les arguments en faveur de l’interdiction, on lira l’article de La Tribune de Genève du 5 mars de Marc Chuard, « Les minarets ? “Un débat ridicule et dangereux” » :

« En effet, l’UDC ne vise pas que les minarets, loin s’en faut. Jasmine Hutter (UDC/SG) affirme vouloir combattre en vrac la charia, les extrémistes et “l’islamisation” de la société suisse. Et d’ajouter : “Aucune Suissesse ne tolère la façon dont les fondamentalistes musulmans traitent les femmes.”

(...) “Hans Fehr (UDC/ZH) fustige le manque de “volonté d’intégration” de certains musulmans. Il use de la métaphore militaire, qualifiant les minarets de “baïonnettes du pouvoir islamique contre les mécréants” – citation attribuée à un ministre turc.

“Oskar Freysinger (UDC/VS) se lance dans la théologie, observant que "le christianisme a retenu le concept d’amour du prochain, alors que 3% seulement des textes islamiques parlent d’amour du prochain”. »

Pour comprendre le sens du débat, on lira avec profit le livre réalisé sous la direction de Patrick Haenni et Stéphane Lathion, Les minarets de la discorde, Infolio-Religioscope, Paris, 2009, 112 pages, 8 euros. Et notamment le texte de Patrick Haenni et Samir Amghar, « Leur conquête de l’Ouest n’aura pas lieu ».

Pourtant, nombre d’élus et d’intellectuels se mobilisent contre cette invasion. Le sujet n’est pas prêt de disparaître des colonnes des journaux, des discours des responsables politiques, des interventions des intellectuels.

Alain Gresh

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