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Les doutes afghans des Européens

C’est le mot même de « guerre » qui fait problème, pour les Européens, à propos de l’engagement en Afghanistan. En Allemagne, il crée la polémique : les soldats de la Bundeswehr sont censés travailler pour la paix, et sans tirer, sinon en cas de légitime défense, façon « casques bleus ». En France, le gouvernement réfute lui aussi cet état de guerre, lui préférant les notions de « stabilisation » ou de « reconstruction ». Et tant pis si, dans les deux cas, les troupes – elles – ont bien le sentiment d’y être, dans la vraie guerre…

par Philippe Leymarie, 1er décembre 2009

Malgré la grande impopularité de cette mission, le Bundestag devrait voter prochainement la prolongation pour un an du mandat du contingent allemand au sein de la force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (ISAF). Les unités de la Bundeswehr sont déployées dans le secteur relativement calme de Mazar El Charif, dans le nord du pays, avec des règles d’engagement très restrictives, et une mission largement axée sur le développement, le social, la santé, la communication, etc. – ce qui a limité jusqu’ici les pertes allemandes (36 morts, 120 blessés (1)).

La chancelière Angela Merkel souhaite attendre la conférence sur la reconstruction, prévue à Londres fin janvier, avant de prendre position sur une éventuelle réévaluation de ses effectifs, actuellement de 4 500 hommes. Et sur un calendrier de retrait. Il est vrai que le terrain reste ultrasensible en Allemagne, où le bombardement par les avions de l’OTAN – à la demande d’un colonel de la Bundeswehr – de camions-citernes dérobés par des talibans à Kunduz a coûté leurs postes au secrétaire d’Etat à la défense Peter Wichert, et au chef d’état-major Wolfgang Schneiderhan, à la tête des forces armées allemandes depuis 2002. Ces deux responsables avaient volontairement tardé à reconnaître que ce tir, qui a coûté la vie à plus de 140 personnes, avait été ordonné sans avoir pu s’assurer de l’absence de civils, contrairement aux règles d’engagement de l’ISAF.

Guerre américano-américaine

En France, le relatif consensus national actuel – pas de renforcement du contingent sur le théâtre afghan, soit 3 750 hommes – risque de s’effriter si le président Nicolas Sarkozy, qui a promis à plusieurs reprises ces derniers mois de ne pas en faire plus, devait se rendre aux arguments ou aux pressions de l’ami américain : l’entretien téléphonique lundi avec le président Barack Obama aurait été marqué, selon le communiqué de l’Elysée, par « une très grande convergence de vues »...

Or, le numéro un américain – qui cherche 7 à 10 000 soldats européens pour compléter le renfort de 30 000 marines ou GI’s envisagé – demande un effort aux Français, comme à l’ensemble de ses partenaires de l’OTAN : les Britanniques envoient 500 hommes de plus ; selon Gordon Brown, huit autres membres de la coalition sont d’accord pour faire un geste. Manquent pour le moment, notamment, les Allemands et les Français, peu pressés de faire les frais de ce qui ressemble de plus en plus, avec ces lourds renforts annoncés par Washington, à une guerre américano-américaine.

Les Français, bien que plus exposés et offensifs que les Allemands, ont eu des pertes également limitées, en dépit de l’embuscade d’Uzbeen en août 2008. Mais c’est un engagement conséquent, très professionnel, avec plus d’un millier d’effectifs supplémentaires depuis 2007 ; et un effort important pour la formation de l’armée afghane, à travers les Operational Mentoring Teams (OMLT) – 300 « conseillers » intégrés aux unités, qui peuvent être amenés à faire le coup de feu. De plus, 150 gendarmes français, non comptabilisés dans l’effectif militaire, viennent de rejoindre Kaboul, pour effectuer un travail du même genre au sein des unités de la police afghane (lire « Vol de gendarmes pour Kaboul »). Ainsi est illustré de plus en plus le souhait français d’« afghaniser la guerre »...

Acrobatie comptable

Plus tard, s’il doit consentir un geste à son tour, Paris pourrait envisager de renvoyer en Afghanistan ses commandos (qui y étaient présents de 2002 à 2006). Mais rien ne serait décidé, comme pour les Allemands, avant la conférence du 28 janvier à Londres, lorsqu’on y verra plus clair sur les engagements des uns et des autres… dont ceux du président afghan Hamid Karzaï.

Pour le moment, « on fait avec ce qu’on a », soutient donc le ministre français de la défense Hervé Morin, qui a renouvelé sur France Inter, lundi dernier, un exercice comptable un peu acrobatique, du genre : un militaire français supplémentaire en Afghanistan coûtant plus de 150 000 euros sur un an (2), à raison de 200 dollars par mois, multipliés par 12, on peut former une petite centaine de soldats afghans en plus chaque année – sous-entendu, pour chaque soldat français qu’on n’aurait pas à envoyer sur le théâtre.

Tous les dirigeants des pays de la « coalition » ISAF affirment qu’un désengagement prématuré serait catastrophique pour l’Afghanistan, pour l’OTAN, pour l’Occident, etc. Mais tous vont peiner à démontrer à leurs opinions, à l’exemple du président Obama, empêtré dans sa promesse de « finir le travail », qu’il faut gonfler les effectifs aujourd’hui pour avoir une chance de les retirer demain.

Philippe Leymarie

(1A comparer, par exemple, avec les pertes canadiennes : 133 morts.

(2Ce serait 400 000 pour un soldat américain.

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