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« Les temps changent », un film de Luc Leclerc du Sablon

L’autre France du terroir

par Marina Da Silva, 8 décembre 2009

C’est un titré emprunté à Bob Dylan (Times are changing), Les temps changent, qui clôturait le mois du documentaire au Luxy (Ivry-sur-Seine) sur le thème « Aux urnes citoyens » (1). Luc Leclerc du Sablon signe là son troisième film (2), qui n’a pas encore trouvé de distributeur mais a rencontré son public, une salle pleine et enthousiaste devant cette insolite construction à la Prévert.

Le réalisateur, qui a tourné de septembre 2006 à mai 2007, a voulu s’intéresser au résultat de l’élection présidentielle en faisant parler des habitants rencontrés à travers l’Hexagone. Sa volonté de comprendre les uns et les autres semble être aussi celle de se comprendre lui-même. Et de nous renvoyer en miroir les mêmes questions.

Les premières images donnent à voir un couple très âgé, Denise et Robert, qui a mis les infos et est en train de passer à table. Denise n’en revient pas, mais les Français, avec 53% de voix, ont bien élu président Nicolas Sarkozy, ce qui la laisse, elle, sans voix, interloquée, comme si elle avait cru que son grand âge la mettrait à l’abri des nouvelles secousses de l’histoire.

Comment a-t-on pu en arriver là ? A quoi la France aujourd’hui ressemble-t-elle, qu’est-ce qu’elle dit, pense et ressent ? Des interrogations ambitieuses pour une si petite équipe (quatre personnes), mais que le réalisateur va prendre le temps de faire émerger en traçant un chemin cinématographique à la rencontre de gens dont on ne met jamais en scène la parole. De la Normandie jusqu’à Arcachon, en passant par les Vosges et bien d’autres territoires, dans un impressionnant album de portraits et de situations, il interroge ces gens des villes et des campagnes, des campagnes surtout. Des Français du terroir, mais aussi tous ceux, « issus de quelque part », qui la composent aujourd’hui, dans une évidence qui met à mal tout le discours sur l’identité nationale, puisque « tous se soumettent aux mêmes lois d’une même nation, ce qui devrait être suffisant en soi », estime Luc Leclerc du Sablon.

On entre lentement dans le temps du film, qui est délibérément un temps lent et long : celui qu’il faut pour qu’advienne la rencontre, pour que prenne naissance et sens le propos, pour faire émerger cette « conscience des gens », une « conscience du monde et du mouvement des choses » qui a frappé le réalisateur et nous frappe à notre tour. « Si mon film peut sembler désespéré, il n’est pas désespérant », ajoute-t-il très simplement. Le désespoir pourrait sembler venir de toutes ces personnes, hommes et femmes, jeunes et vieux, français de date plus ou moins récente, qui regardent leur futur se rétrécir, comme se rétrécit la lueur d’espoir d’un quotidien meilleur. Mais, en même temps, ils sont ensemble : dans un salon de coiffure extraordinaire où la coiffeuse et la coiffée font de la philosophie sans en avoir l’air, dans une Scop où pas moins de quatorze personnes gèrent une scierie et touchent toutes le même salaire, dans une épicerie où il fait bon faire ses courses pour parler à ses voisins ou aux inconnus.

S’ils posent un constat amer, celui d’un système fondé sur la consommation que plus personne ne maîtrise et qui travaille à notre perte, ils sont aussi dans la révolte : « Il faut que les pauvres se réveillent. » Une nouvelle façon de dire que la lutte des classes n’est pas morte, même si elle a été bannie du vocabulaire contemporain.

Tourné avec une caméra numérique, le film offre des prises de vue qui capturent superbement aussi bien les personnes que les paysages. Flots de trains ou flots de vagues, incrustations industrielles comme autant de cicatrices sur des terres arides ou verdoyantes, et des visages comme des grappes de fleurs chatoyantes… On y reste suspendu, étonné, attiré, impressionné. Et puis, une ponctuation musicale en contre-champ, ou fusionnelle, comme autant de notes de vie et de vitalité. Réalisée par Rodolphe Burger et Arthur Simon (guitare, trompettes, piano) à partir d’une adaptation libre du Chant de la Moldau de Bedrich Smetana, elle contribue à produire un film où l’on sent ses veines battre avec celles des autres.

Les temps changent, de Luc Leclerc du Sablon. Durée : 1 h 43. Egalement Prix spécial du jury au Festival de Tours (cinéma et politique) en octobre 2009. Informations : 06-70-88-37-07.

Marina Da Silva

(1Evénement national. Chaque lieu choisit son thème. Plus d’infos sur www.moisdudoc.com

(2Micheline, 2000 et Nation-Etoile, 1995.

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