Alors que George Mitchell, envoyé spécial du président américain, est en visite à Paris, où il rencontre lundi 11 Bernard Kouchner, plusieurs voix s’élèvent outre-Atlantique pour demander à Washington d’imposer une solution au conflit israélo-palestinien. La plus radicale est celle de Henry Siegman, directeur de U.S./Middle East Project (New York), ancien directeur de l’American Jewish Congress (1978-1994), qui signe un article dans l’hebdomadaire The Nation (7 janvier), « Imposing Middle East Peace » :
« La volonté acharnée d’Israël d’établir des “faits accomplis” en Cisjordanie occupée, une orientation qui se poursuit en violation même du gel limité de la colonisation auquel le Premier ministre Benjamin Netanyahu s’est engagé, semble enfin avoir réussi à verrouiller l’irréversibilité du projet colonial. À la suite de ce “succès”, celui que les gouvernements israéliens successifs ont longtemps cherché afin d’exclure la possibilité d’une solution fondée sur deux Etats, Israël a franchi le seuil de la “seule démocratie au Moyen-Orient” au seul régime d’apartheid dans le monde occidental. »
« Le caractère inévitable d’une telle transformation a souvent été annoncé non par des “ennemis d’Israël”, mais par les dirigeants du pays lui-même. Le premier ministre Ariel Sharon a fait référence à ce danger, tout comme le premier ministre Ehud Olmert, qui a averti qu’Israël ne pouvait pas manquer de se transformer en un Etat d’apartheid s’il ne renonçait pas à “presque tous les territoires, sinon tous”, y compris les parties arabes de l’Est Jérusalem. »
(...)
« Ce n’est pas seulement la prolifération des colonies et leur taille qui rendent leur démantèlement impossible. Tout aussi décisive a été l’influence du complexe colons d’Israël-sécurité-industriel, qui a conçu et mis en œuvre cette politique ; la disparition récente de tout parti politique israélien ayant un programme réaliste de paix, et l’infiltration par les colons et leurs partisans au sein du camp religieux-national dans des positions de premier plan dans les appareils sécuritaires et militaires. »
« Olmert s’est trompé sur un point, car il a dit qu’Israël se transformerait en un Etat d’apartheid quand la population arabe dans le Grand Israël dépasserait la population juive. Mais la taille relative des populations n’est pas le facteur déterminant dans une telle transition. Au contraire, le point tournant vient quand un Etat refuse l’autodétermination nationale à une partie de sa population, même minoritaire, et lui refuse également les droits de la citoyenneté. »
(...)
« Un souvenir très fort de l’époque je dirigeais le Congrès juif américain est un voyage en hélicoptère au dessus de la Cisjordanie avec Ariel Sharon. Avec de grandes cartes portés à la main, il me montra des endroits stratégiques des établissements actuels et futurs sur les axes est-ouest et nord-sud qui, Sharon me l’assurait, excluraient un futur Etat palestinien. »
Comme le déclarait Moshe Dayan : « La question n’est pas : quelle est la solution ? Mais : comment pouvons-nous vivre sans solution ? » Et Israël a donc vécu « sans solution », « non en raison de l’incertitude ou de la négligence, mais en vertu d’une politique délibérée ».
« Tôt ou tard, la Maison Blanche, le Congrès et le public américain, sans parler d’un establishment juif qui a en grande partie perdu le contact avec les perceptions changeantes de la génération plus jeune face à Israël, devront faire face au fait que pour l’Amérique la “relation spéciale” avec Israël revient à soutenir une entreprise coloniale. »
« La capitulation de Barack Obama face à Netanyahou sur le gel de la colonisation a été largement considérée comme l’effondrement du dernier espoir pour la réalisation d’un accord fondé sur deux Etats. Elle a complètement discrédité l’idée que la modération palestinienne était la voie vers un Etat, et a donc aussi discrédité l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas, avocat palestinien de premier plan de la modération, qui a annoncé son intention de ne pas se présenter à l’élection présidentielle à venir. »
(...)
« Mais ce qui est largement perçu comme le dernier coup porté à une solution fondée sur deux Etats pourrait, en fait, se révéler être la condition nécessaire à sa réalisation finale. Cette condition est l’abandon de l’idée absolument aberrante qu’un Etat palestinien ne peut naître sans une intervention extérieure énergique. La communauté internationale a montré des signes d’exaspération face aux tromperies d’Israël et à ses réponses évasives, et aussi à l’échec de Washington de montrer qu’il y a des conséquences, non seulement pour les violations palestiniennes des accords, mais aussi pour celles commises par les Israéliens. La dernière chose que beaucoup dans la communauté internationale veulent est une reprise de négociations vides de sens entre Netanyahou et Abbas. Au lieu de cela, ils se concentrent sur la puissante intervention d’une tierce partie, un concept qui n’est plus tabou. »
(...)
« Une solution imposée comporte des risques, mais ceux-ci ne sont rien comparés aux risques de poursuite incontrôlée du conflit. En outre, puisque les adversaires ne sont pas invités à accepter autre chose que ce qu’ils ont déjà accepté par des accords formels, la communauté internationale ne cherche pas à imposer ses propres idées, mais à s’acquitter de leurs obligations existantes. (...) Il ne faudrait pas une audace extraordinaire à Obama pour réaffirmer la position officielle de chaque administration américaine – y compris celle de George W. Bush – selon laquelle il importe peu de savoir si certains changements par rapport à la situation d’avant 1967 sont souhaitables ou nécessaires : ils ne peuvent pas être faits de manière unilatérale. » (...)
« Bien sûr, Obama ne devrait laisser aucun doute sur le fait qu’il est inconcevable pour les Etats-Unis de ne pas tenir pleinement compte des véritables besoins de sécurité d’Israël (...). Mais il doit aussi ne laisser aucun doute qu’il est tout aussi inconcevable qu’il abandonne les valeurs fondamentales de l’Amérique ou qu’il compromette ses intérêts stratégiques pour maintenir le gouvernement Netanyahou au pouvoir, notamment lorsque le soutien à ce gouvernement revient à cautionner une situation qui maintiendrait le peuple palestinien privé de droits et dépossédé ».
Autre texte portant une proposition similaire, celui de Stephen Cohen, « Take a tip from Eisenhower, Truman on the Mideast », Boston.com, 8 janvier 2009. Cohen est président de l’Institute for Middle East Peace and Development, et auteur de Beyond America’s Grasp : A Century of Failed Diplomacy in the Middle East.
D’abord, l’auteur affirme que la montée en puissance de l’Iran caractérise la situation au Proche-Orient et que c’est pourquoi il faut replacer la question israélo-palestinienne dans un cadre plus vaste, régional et international, comme l’avaient fait deux de ses prédécesseurs. Il rappelle le soutien de Truman à la création de l’Etat d’Israël (pour combattre l’Union soviétique) et les pressions du président Eisenhower sur Ben Gourion pour arrêter l’agression contre Suez et l’Egypte en 1956, agression qui mettait en péril la stratégie de tenir l’URSS à distance (et aussi l’alliance entre les Etats-Unis et Israël). Cohen écrit :
« Israël est désespérément préoccupé par le développement par l’Iran d’une capacité nucléaire. Obama devrait sortir la négociation israélo-palestinienne de son contexte bilatéral et l’inclure dans une négociation globale sur la non-prolifération, y compris en la reliant à des pourparlers avec l’Iran. »
« Comme la non-prolifération nucléaire est une priorité d’Obama, il doit faire clairement comprendre à Israël que la protection américaine à sa posture “d’ambiguïté nucléaire” sera difficile à maintenir si Israël n’a pas décidé à faire la paix. Quelle est la priorité la plus élevée pour la sécurité d’Israël : la prolifération des colonies de peuplement ou la perpétuation de l’ambiguïté nucléaire, aux termes de laquelle Israël évite d’énormes pressions de la communauté internationale à se conformer au régime de non-prolifération ? »
« C’est le genre de changement spectaculaire dans l’attitude d’Obama qui est requis. Comme ses prédécesseurs, Obama doit penser au sujet d’Israël au niveau mondial afin de donner aux Etats-Unis et à Israël la possibilité de réaliser la paix. Qui changerait l’équilibre des forces au Moyen-Orient dans le sens voulu par Truman : une coalition de pouvoir entre les Etats-Unis et Israël. »
Gideon Levy à Paris
Gideon Levy, grand journaliste à Haaretz, est à Paris tout spécialement pour présenter son livre, Gaza — articles pour Haaretz, 2006-2009 (La Fabrique Editions), au Reid Hall (campus de l’université Columbia à Paris : 4, Rue de Chevreuse, 6e arrondissement), le jeudi 14 janvier à 19 h 30. La discussion sera animée par Eyal Sivan.