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L’Europe, comme les carabiniers...

Comme à son ordinaire, l’Europe de la défense se hâte lentement, et avec une efficacité variable. On vient de le constater à nouveau avec le séisme d’Haïti : il aura fallu dix jours pour approuver la mise en place d’une cellule de coordination de l’aide des pays européens, l’EUCO, mais sans accepter que cette mini-structure ait une antenne sur place, en Haïti : il s’agissait de ne pas effaroucher les pays-membres pour lesquels cette cellule « de terrain » serait la préfiguration d’une véritable opération européenne…

par Philippe Leymarie, 26 janvier 2010

Et il aura fallu quinze jours pour que Bruxelles envisage l’envoi d’une force de sécurisation de 300 à 350 gendarmes ou assimilés, qui serait versée au sein de la force des Nations unies à Haïti, la Minustah, mais sous label européen… et qui arriveront surtout, comme les carabiniers, bien après la bataille !

Parmi eux, justement, il y aurait une centaine de carabinieri italiens, et un peu plus de gendarmes français, plus quelques autres européens. Mais avant qu’ils ne soient opérationnels, il faudra franchir une série d’étapes institutionnelles. L’absence d’un Europ aid, ou de son équivalent militaire, se fait donc sentir une fois de plus…

Misère du monde

Quant à « Lady » Catherine Ashton, la nouvelle Haute représentante pour les affaires étrangères de l’Union européenne, elle a été la seule ou presque … à ne pas faire le voyage à Haïti, pas plus qu’elle n’a désigné de représentant spécial (qui aurait pu être l’un ou l’autre des ministres français, espagnol, ou autre déjà sur place). Difficile de faire moins visible, et moins solidaire — même si l’UE a annoncé l’envoi massif… de subsides. La nouvelle incarnation de la politique étrangère de l’Union (après Javier Solana) ferait-elle tout pour tenir l’Europe à l’écart de la misère du monde ?

A titre bilatéral, cependant, en plus des nombreuses équipes de secours de sécurité civile et de renforts de personnels de santé, trois navires militaires européens étaient déjà à pied d’œuvre sur la côte de Haïti ces derniers jours : la frégate néerlandaise « Pelikaan », et côté français, le bâtiment de transport « Francis Garnier » et le transport de chalands de débarquement « Sirocco », avec une capacité hôpital. Le « Castilla », navire d’assaut amphibie espagnol, disposant également d’un hôpital de campagne, est attendu à Petit-Goâve, ville entièrement détruite par le séisme. Un navire de la flotte auxiliaire britannique, le « RFA Largs Bay », sera également sur place d’ici deux semaines, de même que le porte-avions italien "Cavour", qui ralliera Haïti via le Brésil, avec à bord de nombreux engins de terrassement, hélicoptères,etc.

Havre ougandais

Autre initiative européenne qui a eu du mal à décoller : la mission de formation de militaires somaliens, pour renforcer le gouvernement de transition en place à Mogadiscio (TFG). L’idée a été lancée il y a plusieurs mois, la France prenant les devants en débutant l’entraînement — avec ses propres moyens déjà stationnés à Djibouti — d’un bataillon de l’armée du président Cheikh Sharif Ahmed. Le feu vert européen n’a été donné que lundi, pour l’opération baptisée Eutra : la formation de 2 000 soldats somaliens par 200 instructeurs européens, à partir de l’Ouganda, pour des cycles de six mois.

Reste à planifier l’opération, et à préciser sa composition. Il faudra encore une ou plusieurs conférences dites de « génération de force », pour compléter les offres espagnole, française, mais aussi hongroise et finlandaise qui ont déjà été enregistrées. Puis, les lourdes instances politico-militaires de « l’Union à 27 » auront à ratifier l’ensemble de ces contributions et documents.

Dans l’immédiat, l’Espagne a été désignée comme « nation-cadre » et devrait assurer le commandement de cette opération dont le QG sera en Ouganda, avec le support — pour la formation de base — de militaires de ce pays, qui seront également interprètes.

Plusieurs arguments jouaient en faveur de ce choix ougandais :

— des militaires somaliens y sont déjà en formation ;
— la force de l’Union africaine à Mogadiscio (Amisom) est composée pour partie de soldats de ce pays, et commandée par le général ougandais Nathan Mughisa ;
— l’Ouganda, comparé à la Somalie, fait figure d’espace sécurisé, y compris (et surtout ?) pour les instructeurs européens ;
— il leur sera plus commode de développer leurs modules de formation spécialisée (déminage et lutte contre les explosifs improvisés, sécurité et guérilla en zone urbaine, transmissions, action médicale d’urgence, etc.).

Balle dans le pied

Lors de ce débat lundi, à Bruxelles, l’UE a reconnu nécessaire « la surveillance du personnel en formation, le suivi et l’encadrement des forces après leur retour à Mogadiscio, ainsi que le financement et le paiement de la solde des soldats », certains pays ainsi que des ONG présentes en Somalie, s’inquiétant à l’idée qu’une fois formés, ces soldats désertent pour rejoindre leurs clans, voire des groupes extrémistes comme les Shebab ou le Hezb al-Islam (1).

On retrouve en tout cas, dans cette nouvelle initiative européenne en matière de sécurité, la France et l’Espagne — les deux pays qui ont été en pointe dans le lancement en décembre 2008 de l’opération anti-piraterie Atalanta, considérée comme une réussite (son mandat a été renouvelé au moins jusqu’à la fin de cette année 2010). Cependant, la formation de l’armée somalienne n’a pas une incidence directe, sinon à long terme, sur le phénomène de la piraterie. En octobre dernier, Paris avait appelé l’Union à « élargir son approche, pour former les garde-côtes et les policiers somaliens » — mais sans succès jusqu’ici.

Philippe Leymarie

(1AFP, 25 janvier 2010.

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