Khalil Tafakji n’est pas n’importe qui à Jérusalem. Très respecté et considéré comme un chercheur compétent, il est souvent invité aux Etats-Unis pour des débats ou des conférences. Il a été membre de la délégation palestinienne qui a conduit les négociations de paix pendant une dizaine d’année (d’Oslo à Taba, 1992-2001). Travaillant alors pour l’Autorité palestinienne, il en a été le cartographe en chef. Khalil Tafakji a aussi été un proche collaborateur de Fayçal Husseini, fondateur de la société d’études arabes (Beit Ash-Sharq) en 1983 et de la Maison d’Orient, dévastée et fermée par les autorités israélienne en 2001 (lire dans Le Monde diplomatique : « Le compromis manqué de Camp David », par Fayçal Husseini, décembre 2000, et « Le mur de la honte », par Matthew Brubacher, novembre 2002). Khalil Tafakji dirige actuellement la section cartographique de la société d’etudes arabes, relocalisée depuis dans un quartier d’Al-Ram (localité située au nord de Jérusalem) brutalement coupé en deux par le mur de séparation.
C’est dans un appartement de ce quartier — des fenêtres duquel on voit le mur — que nous l’avions rencontré en décembre 2006 (lire dans Le Monde diplomatique « Comment Israël confisque Jérusalem-Est », par Dominique Vidal et Philippe Rekacewicz, février 2007). Khalil Tafakji travaille notamment avec son fils, que nous avions vu complètement révolté d’avoir été une fois de plus le témoin direct, le matin de notre visite, des humiliations infligées à son père par les soldats israéliens au passage obligé du checkpoint d’Al-Ram, situé à quelques mètres seulement de leurs bureaux. C’est Khalil Tafakji lui-même qui, déployant des trésors de patience et de diplomatie, réussit finalement à calmer son fils. Nous avions en face de nous un homme détendu et mesuré qui, au cours de l’entretien, n’avait pas hésité à nous dire que les Palestiniens seraient même prêts, dans le cadre d’un accord de paix global, à faire des concessions sur certaines grandes colonies israéliennes dans le secteur de Jérusalem. Il est pourtant un spécialiste hors pair des colonies, dont il suit les extensions avec attention. Ses cartes, réputées dans le monde entier, sont utilisées par de nombreux journaux.
« Résident permanent de Jérusalem », il a théoriquement le droit de se déplacer partout en Israël, mais n’a pas pour autant la nationalité israélienne.
« Je suis un homme de paix ! a-t-il déclaré à l’agence Maan le 4 février dernier. Il me semble clair qu’en s’attaquant à moi de la sorte, le gouvernement israélien montre qu’il veut tout sauf faire la paix. »
La journaliste Marian Houk, basée à Jérusalem, s’interroge sur son blog, UN-truth, sur les raisons de cette interdiction. Khalil Tafakji revenait juste d’une tournée de conférences qui l’a mené au Liban, en Turquie et jusqu’en Inde pour parler dans le détail des politiques israéliennes discriminatoires envers les résidents palestiniens. La coïncidence est troublante.
Il a expliqué à Marian Houk que les autorités israéliennes lui avaient simplement téléphoné pour lui demander de se présenter à la Moskobiyya à Jérusalem-Ouest pour signer l’ordre d’interdiction. « Ils m’ont dit que j’avais quatorze jours pour contester la décision, mais avec un motif sécuritaire, il n’y a aucun espoir qu’ils reviennent dessus. »
En attendant, Khalil Tafakji active ses relations à l’étranger pour essayer de peser sur le gouvernement israélien, tout en continuant de travailler et de produire ses indispensables cartes.
En 2003, déjà, lors d’un entretien réalisé pour l’émision « Frontline/World » de la chaîne PBS, la journaliste américaine Robin Shulman lui demanda : « Qu’allez-vous faire de toutes vos cartes ? » Elle le vit tourner la tête par la fenêtre et regarder le checkpoint. Puis il répondit : « C’est pour les archives... Je les laisserai pour l’Histoire. »