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« Devenir soi-même » avec l’armée de terre

« Devenezvousmeme.com » : l’armée de terre française, qui se flatte d’être le premier recruteur de France — 14 000 à 15 000 emplois remis en jeu chaque année — lance une campagne 2010-12 qui a pour ambition de « révéler la transformation positive de l’individu », sur fond de treillis et de camouflage (« le territoire graphique des jeunes »), de stratégie « drive-to-web » (les affiches et spots radio-télé drainant vers un nouveau site de recrutement en ligne) : le tout dans le but de faire découvrir la condition militaire (grandeurs et servitudes), et un métier qui comporte jusqu’à quatre cents spécialités…

par Philippe Leymarie, 11 février 2010

L’armée de terre a le besoin impérieux, chaque année, d’attirer des milliers de jeunes dans ses 110 centres de recrutement : elle a « une obligation de jeunesse », assure le général Philippe Pontiès, directeur adjoint des ressources humaines. La Légion étrangère (7 500 hommes) n’a aucun problème de recrutement : puisant dans un bassin de taille mondiale, elle a le choix entre huit candidats par poste.

Mais, pour le reste de l’armée de terre (127 000 hommes), c’est plus dur : depuis plusieurs années, il n’y avait souvent au final, dans les régiments, qu’un seul postulant présentable pour chaque emploi offert. Le taux moyen serait remonté l’an dernier : il atteint 2,2 candidats par poste, selon le chef d’état-major, le général Elrick Irastorza, qui lançait la campagne il y a quelques jours, dans un PC de toile établi sur le Champ-de-Mars  (1).

Vrais soldats

D’où cette campagne-défi, qui se veut celle des « valeurs », selon ses concepteurs — la Direction des ressources humaines de l’armée de terre (DRHAT), l’agence TBWA/Corporate (recrutée elle-même sur appel d’offres) : de vraies histoires de soldats, des parcours racontés par des officiers, sous-officiers et hommes du rang appartenant à la même classe d’âge que la cible visée. De vrais soldats dont les témoignages ont été recueillis « au rythme de leur respiration ». Le tout filmé « caméra à l’épaule, sans subjectivité ». Donc, sans recherche de ce qui brille : exactement le contraire de la campagne précédente, très « Rambo », très « cinéma », avec effets spéciaux, acteurs, etc., qui insistait lourdement sur le prestige exercé par ce viril militaire d’un régiment d’élite… auprès de sa petite amie !

« Nous sommes des révélateurs et non des transformateurs de personnalité », insiste le général Irastorza : c’est le sens du « devenez vous-même », axe de la nouvelle campagne. Les slogans pleuvent sur les petits jeunes de la crise, en attente d’un lendemain plus chantant. Aux futurs sous-officiers : « Pour vous, c’est quoi la confiance ? » Aux militaires du rang : « Depuis quand ne vous-êtes-vous pas dépassé ? » Aux futurs officiers : « Vous faites comment pour qu’ils vous suivent ? »

« On ne naît pas soldat,
on le devient »

Le tout sans rien cacher des exigences du métier : « On ne naît pas soldat, on le devient… Derrière l’uniforme, il y a de la différence. » Et avec la fierté de contribuer à l’insertion des jeunes, et à l’égalité des chances, l’armée de terre se voulant une institution fonctionnant au mérite… et consommant annuellement sa douzaine de milliers de jeunes non qualifiés, qu’elle peut embarquer dans le dernier ascenseur social encore à peu près en état de marche : les trois quarts des sous-officiers seront recrutés au sein de ce vivier interne.

Dans la pratique, il s’agit de toucher 150 000 jeunes, un sixième d’une classe d’âge, pour arriver à susciter la vingtaine de milliers de candidatures permettant au moins une sélection sur deux individus par poste offert. Pendant trois semaines, en février — une seconde vague suivra en septembre —, la France se retrouve donc aux couleurs du camouflage. Dès le départ, les militaires ont décidé de mettre la puissance de feu maximale : la pub kaki investit la rue dans tous les départements avec 18 000 affiches, 1 350 spots télé sur 24 chaînes (dont plus d’un cinquième sur l’outre-mer, grand pourvoyeur des armées), 1 400 radios locales, 2 000 salles de cinéma, des insertions dans la presse gratuite, ou dans les quotidiens « affinitaires » (L’Equipe, Sports)… L’objectif est de canaliser vers le site www.recrutement.terre.defense.gouv.fr un maximum de vocations, qui subiront un premier tri, puis seront dirigées vers l’un des 110 centres de recrutement interarmées.

Problème d’image

L’armée de terre — contrairement à la marine, qui fait rêver sur les bateaux et la mer, et à l’armée de l’air qui exalte le mythe du « chevalier du ciel » — a un sérieux problème d’image : côté équipement, c’est une vaste et complexe quincaillerie (2) . L’état-major préfère donc recruter sur le thème des hommes — la vraie richesse d’une armée qui regroupe plus de la moitié des personnels de défense. Et « être clairs sur la réalité de l’état de soldat, pour qu’ils ne se sentent pas trahis une fois leur contrat signé », explique le général Philippe Pontiès, sous-directeur de la direction des ressources humaines : « Le militaire ne choisit pas sa mission, doit être disponible et capable d’évoluer en permanence, notamment au moyen d’une formation continue. »

Autre problème : la fidélisation. Le contrat d’engagement-type est sur cinq ans ; mais une proportion appréciable d’engagés résilie son contrat après un an. La solution serait de porter ces contrats à huit ans, mais au prix d’une baisse des performances et d’une usure morale, estime — sur le site Armées.com — le général Henri Paris (3), qui considère qu’il y a une baisse générale du niveau des recrues par rapport à l’époque de la conscription, alors que les armées sont d’une technicité supérieure. L’autre solution serait une plus grande attractivité des carrières et des soldes, avec des possibilités de reconversion plus attrayantes — ce à quoi l’armée de terre a commencé à s’atteler ces dernières années, mais dans un contexte économique redevenu tendu.

Faible niveau initial des engagés

Selon ce général, « quels que soient les systèmes de reconversion prévus par les armées, six mois après leur retour à la vie civile, les engagés relèvent à raison de 50 % du chômage, taux supérieur à celui des jeunes Français du même âge. Cela se sait et n’incite pas à l’engagement. La faute ? Certes, la reconversion n’est pas prise suffisamment en compte par les armées et elles n’y consacrent pas assez d’efforts. Peuvent-elles faire mieux ? Certainement, mais la faiblesse du niveau initial des engagés est mise en cause. Y remédier revient à reprendre une formation initiale portant sur le niveau scolaire, entre autres ».

« Ce ne sont pas alors six mois d’instruction militaire individuelle et collective qu’il s’agit de mettre en œuvre, mais la reprise d’une scolarité mal ou peu dispensée par l’Education nationale. L’armée de conscription, dans une certaine mesure, couvrait le besoin, mais dans des proportions qui étaient compatibles avec sa mission », explique le général Paris qui conclut : « Pour peu que le chômage s’atténue, le problème du recrutement des militaires du rang dans l’armée de terre s’alourdira. »

Philippe Leymarie

(1« La crise a du bon pour tout le monde », signale le site « Bruxelles2 » de Nicolas Gros-Verheyde. Aux Pays-Bas, il y a eu deux fois plus de candidats en 2009 qu’en année « normale ». Et en Espagne, l’armée — qui peinait à recruter : à peine un candidat valable pour un poste — a atteint l’an dernier une moyenne de trois candidats crédibles pour un poste.

(2La marine et l’armée de l’air recruteront de leur côté 6000 autres jeunes en 2010.

(3Président de Démocraties, club de réflexion politique. Lire « Le recrutement dans l’Armée de terre, force et faiblesse d’une armée », Armées.com.

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