On serait tenté de le croire plus prolixe : le jour même où il prenait ses fonctions , l’amiral Guillaud faisait un détour inopiné par le traditionnel point de presse hebdomadaire du ministère de la Défense, quelque peu insipide, et que son prédécesseur n’avait guère fréquenté : « Nous sommes dans un pays démocratique, la presse est libre : Dieu merci ! », a lancé l’amiral, à des journalistes un peu éberlués. Histoire peut-être de faire oublier certaines rétentions d’information, pas toujours vraiment justifiées par la nécessité du secret opérationnel ; et aussi de conjurer la réputation attachée à son père, Jean-Louis Guillaud, journaliste gaulliste pur et dur, sacré « serreur de boulons » à la rédaction en chef, puis direction des Actualités télévisées à l’ancienne, avant qu’il ne préside Tf1 et l’Agence France Presse.
Sinon, le nouveau patron des armées — qui avait fait sa « prépa » à Sainte-Geneviève à Versailles, on est dans le beau monde ! — est donc un « politique », un proche du président (1) : c’est devenu une habitude, après Bentegeat et Georgelin. Il est aussi le deuxième amiral à accéder à ce poste, après Lanxade (1991-95). Spécialiste notamment du nucléaire et de la dissuasion, Guillaud n’avait trop fréquenté ni les état-majors, ni l’opérationnel, se consacrant surtout à des programmes d’armement très « techniques », dont la gestation du porte-avions Charles de Gaulle.
Premières loges
Mais ces dernières années, en chef d’état-major particulier d’un président qui ne passe pas pour un passionné de la chose militaire, il a été aux premières loges — depuis l’Elysée — sur des dossiers comme l’engagement français en Afghanistan, la rédaction du Livre blanc, la préparation de la Loi de programmation militaire, l’inter-armisation, ou le redéploiement territorial des forces et bases.
Et, à partir de « l’îlot Saint-Germain », siège de l’état-major général, l’amiral Guillaud aura à relever sur une série de défis :
— l’infléchissement de la stratégie afghane ;
— le nouveau concept stratégique de l’Otan ;
— la place de la dissuasion nucléaire française (sur fond de révision du traité de non-prolifération, et d’interrogations européennes et américaines) ;
— la relance de la politique européenne de défense et de sécurité (qui a du mal à exister de manière autonome) ;
— la suite de la renégociation des accords de défense avec certains pays africains ;
— les tentatives d’exportation de gros matériels ( chasseurs Rafale, porte-hélicoptères type Mistral) ;
— la création des « bases de défense » inter-armées sur le territoire hexagonal et outre-mer ;
— le regroupement du cabinet ministériel et de l’ensemble des s état-majors sur le site de Balard, au sud-ouest de la capitale ;
— la lutte contre l’immigration clandestine, et la création d’un corps de garde-côtes ; etc.
Ressenti colossal
Le général Jean-Louis Georgelin, avant de laisser la place, a livré une série de réflexions :
— sur le nucléaire : « La dissuasion nucléaire, on ne le répète jamais assez, a empêché une troisième guerre mondiale (…), mais les menaces sont devenues plus complexes » (2)
— sur les scénarios à envisager : « Il faut se préparer à tout, car les grands évènements qui ont fait l’histoire du monde sont une succession de surprises stratégiques ».
— le profil des armées : « Vouloir justifier un outil militaire par rapport à une menace bien définie me paraît aujourd’hui hasardeux ».
— sur le type de crises : « Il y a un ressenti d’incertitudes colossal dans nos pays. Les menaces sont aussi dans nos cœurs et nos esprits ».
— à propos de l’engagement en Afghanistan : « Nous ne recherchons pas une victoire militaire (…), mais à obtenir une stabilité suffisante pour que les Afghans prennent en charge leur avenir … Il n’y a pas d’armée talibane, mais des groupes qui mènent des actions terroristes et des opérations de harcèlement. Les combats que nous menons n’ont rien à voir avec ceux d’Indochine, du Vietnam, ou même de l’Algérie ».
— sur la « fragilité du monde » : « Considérez l’importance planétaire qu’ont prise quelques villages poussiéreux de la côte somalienne ou les zones tribales dans les montagnes reculées du Waziristan » (3).
— sur la multiplication des opérations extérieures : « Les années 2000 marquent clairement le retour de l’engagement guerrier et ramènent au sens fondamental de notre engagement au service de la nation. Le militaire est celui qui accepte de s’exposer pour la communauté nationale et en son nom. Il ne le fait pas de manière inconsidérée : il s’y prépare sans cesse ; il est équipé, formé, commandé pour affronter cette éventualité … ».
— sur la réponse aux crises, qui ne peut être exclusivement militaire : « L’opération militaire demeure évidemment le levier nécessaire préalable, qui permet aux autres volets de l’action globale (le développement, l’administration) d’être conduits. Cela nous oblige, nous militaires, à être humbles face à la complexité de ces crises où nos actions ne suffiront pas à tout résoudre. Mais il ne s’agit pas non plus d’affaiblir la spécificité de nos actions, en nous substituant aux acteurs civils, organisations internationales ou ONG ».
— ou encore l’utilité des armées : « L’éternelle question pour les militaires : lorsqu’ils font très bien leur travail, c’est à dire que par leur existence même ils dissuadent nos ennemis d’agir, alors on remet en cause leur utilité, puisqu’on ne voit pas la menace se transformer en agression ».
Dans le legs du général, aussi, conclu quelques semaines avant la passation de pouvoirs, un « rehaussement significatif de la coopération militaire entre Israël et la France : de hauts responsables du ministère des Affaires étrangères ont confié au Yediot Aharonot que les armées française et israélienne ont convenu d’effectuer des exercices conjoints en Israël et en France ».