Interrogée l’an dernier par le journal finlandais Voima sur la vente en 2008 d’un système de surveillance au gouvernement iranien, la société Nokia Siemens Systems répondait : « ces systèmes sont légaux et il est permis de les vendre à tout opérateur légal. (...) Ils sont conçus pour la prévention des activités criminelles » (1).
Refusant de dévoiler quels systèmes avaient été vendus — une information commerciale confidentielle —, Mme Riitta Mård, porte-parole de NSN, se défendait d’avoir pu anticiper la situation : « Des circonstances extraordinaires comme celles de l’Iran d’aujourd’hui sont imprévisibles — cela peut arriver n’importe où. »
Cette semaine, Voima s’est procuré un nouveau document, qui décrit une « passerelle d’interception légale » (Legal Interception Gateway, LIG), laquelle permet de surveiller les communications sur le réseau de téléphonie mobile. Avec des capacités de capture de la voix, mais aussi des données (textos et Internet).
La description du LIG est éloquente : dans chaque sous-système de communication, un carré rouge représente la « prise » où peuvent se brancher les écoutes. « Personne ne doit grimper à une tour d’antenne pour installer quoi que ce soit. Il suffit de commencer à utiliser le logiciel », explique un ingénieur interrogé par Voima (2).
Pour sa part, à la veille de la commémoration du 31e anniversaire de la révolution, le chef de la police iranienne, M. Esmail Ahmadi-Moghaddam, prévenait les manifestants : « Les nouvelles technologies nous permettent d’identifier les conspirateurs et les délinquants, sans avoir à contrôler chaque personne de façon individuelle (3). »
Le Parlement européen a adopté, le 3 février, une résolution critiquant « vivement les sociétés internationales, en particulier Nokia Siemens, qui fournissent aux autorités iraniennes la technologie nécessaire à la censure et à la surveillance, contribuant ainsi à la persécution et à l’arrestation de dissidents iraniens » (4).
Mais, comme le souligne Voima, le paradoxe réside dans le fait que les mécanismes d’« interception légale » développés par les fabricants de réseaux de communication l’ont été à la demande des Etats européens, qui exigent eux aussi de pouvoir placer tous les utilisateurs sur écoute. Avec la promesse d’un encadrement légal, dont l’histoire récente, depuis 2001, a montré qu’il fluctuait au gré des événements et des rapports de force politiques.
Nokia a installé ces activités de surveillance dans sa filiale Trovicor, fondée en 1993. Elle a des bureaux à Munich, Dubaï, Islamabad et Kuala Lumpur. Le discours de cette société, relève Fabrice Epelboin sur le blog RWW (5), est « décomplexé » :
« Durant des siècles, les circuits commerciaux de communications se trouvaient sous le contrôle et la régulation des gouvernements. (...) L’internet, avec sa structure et ses applications décentralisées, a laissé les autorités incapables d’obtenir un accès légitime à l’information qui leur est vitale pour prévenir et combattre les criminels. Dans cette présentation, Trovicor vous montrera un concept holistique pour reprendre le contrôle de l’internet et le remettre dans les mains de ceux à qui il appartient : les forces de l’ordre et les services secrets. »
Les pasdarans ont bien reçu le message.