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Matières premières - Riz - Agriculture - Alimentation

L’Afrique, le riz et le marché mondial

La chaîne de télévision Arte diffusera le mardi 13 avril 2010 à 20 h 35 le documentaire de Jean Crépu, « Main basse sur le riz », grande enquête sur les principaux acteurs de la filière mondiale du riz et le fonctionnement de cet immense marché (production annuelle de 650 à 700 millions de tonnes dont 30 millions de tonnes exportées). Le Monde diplomatique a demandé à Jean-Pierre Boris, coauteur du film, d’entrouvrir la porte de ce film. Les cartes et les graphiques sont de Philippe Rekacewicz.

par Jean-Pierre Boris, 7 avril 2010

A la fin du mois de mars 2010, trois cent personnes — responsables gouvernementaux, représentants d’organisations internationales, économistes, agronomes — se sont réunies à Bamako (Mali) pour participer à un « congrès du riz » à l’initiative du Centre du riz pour l’Afrique. L’objectif était de faire le point sur les possibilités de développer la production rizicole en Afrique alors qu’elle importe environ 40% de sa consommation.

Cette statistique globale recouvre pourtant des réalités très disparates. Le Sénégal importe la quasi-totalité de sa consommation annuelle, soit environ un million de tonnes, alors que le Mali frôle l’autosuffisance. La consommation de riz augmente à peu près partout. Sur la côte est-africaine, de la Tanzanie au Kenya en passant par l’Ouganda, on enregistre des taux de croissance de la demande en riz allant de 10 à 30% par an.

L’Afrique dépendante

En 2010, cette demande semble faire face à une offre satisfaisante et les cours mondiaux du riz sont plutôt orientés à la baisse. Lors du forum annuel de Marseille, « Rice trade outlook », les 22 et 23 mars derniers, les courtiers disaient s’attendre à une baisse très modérée des prix internationaux. A les entendre, la tonne de riz vietnamien standard devait passer de 380 à 340 dollars pour les mois à venir.

Le crise de 2008 dans toutes les mémoires

C’est une situation bien différente de celle qui prévalait pendant l’hiver 2007-2008, période restée dans la mémoire de tous les acteurs de la filière — des producteurs aux consommateurs — comme un véritable moment de folie pendant lequel les prix se sont envolés de manière irrationnelle.

Certaines catégories de riz ont vu leurs cours multipliés par six. Comme ils le disent dans le film « Main basse sur le riz », les importateurs africains étaient aux abois. Non seulement les prix étaient à leurs plus hauts niveaux historiques, mais en plus, il leur était impossible de mettre la main sur les volumes dont ils avaient besoin pour satisfaire la demande de leurs clients habituels. Au Sénégal, les livraisons étaient rationnées. Consommatrices et consommateurs devaient réduire leur ration quotidienne. Dans un pays où le riz est devenu la base de l’alimentation populaire, cette crise provoqua une colère généralisée et de grandes manifestations éclatèrent dans les principaux centres urbains comme dans les autres pays africains placés dans la même situation.

En Haïti, aux Philippines, les mêmes tensions ont aussi provoqué des émeutes : la production nationale ne suffisant pas à répondre à la demande locale, il devenait nécessaire d’importer. Ce déficit peut avoir pour origine — comme aux Philippines — une croissance démographique incontrôlée. Mais en fait et surtout, tous ces Etats ont, dans l’orientation de leurs politiques agricoles, délibérément choisi de donner la priorité aux importations au lieu de développer leurs propres capacités, encouragés en cela depuis le début des années 1970 par Les grands organismes financiers internationaux — la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) en tête — face à des gouvernements nationaux n’opposant aucune résistance.

En Asie, la révolution verte des années 1970 avait dynamisé la production agricole asiatique. La Thaïlande, le Vietnam allaient devenir de très importants exportateurs de riz. Sur une production annuelle de 20 millions de tonnes, la Thaïlande en exporte ainsi systématiquement la moitié. Ces dix millions de tonnes équivalent au tiers du volume global échangé sur le marché mondial. Outre le Vietnam, l’Inde, le Pakistan, les Etats-Unis, l’Uruguay fournissent au marché ce dont il a besoin. Mais c’est un marché très étroit qui est devenu au fil des années de plus en plus sensible aux aléas climatiques et politiques.

Des exportations marginales

La production mondiale de riz, entre 650 et 700 millions de tonnes par an, est en effet essentiellement consommée par les pays producteurs. La Chine, l’Inde n’exportent que leurs surplus. Or, au cours des années passées, ces surplus se sont réduits. L’urbanisation croissante des sociétés chinoises et indiennes a poussé la consommation à la hausse, réduisant les excédents, et accélérant la disparition de nombreuses rizières, vouées ainsi à la spéculation immobilière. Les courbes de la production et de la consommation mondiale se rapprochent de plus en plus. Si cette situation perdure, et si d’importants investissements ne sont pas consentis dans la recherche scientifique pour augmenter les rendements, la demande dépassera l’offre. Le marché mondial ne peut plus compter sur la Chine qui, occasionnellement, en est même réduite à importer. Quant à l’Inde, c’est sa décision d’interdire toute exportation de riz qui alluma la mèche de la panique planétaire à la fin de l’année 2007...

Le gouvernement indien était alors en pleine campagne électorale. Frappés par une vague spéculative sans précédent, les cours des matières premières flambaient. C’était le cas du blé dont l’Inde est grande consommatrice. Par ailleurs, les récoltes vietnamiennes et thaïlandaises de riz étaient alors en retard, contraignant les acheteurs internationaux à se rabattre sur les stocks disponibles, en particulier sur les stocks indiens, ce qui n’a pas manqué d’affoler New Delhi, qui savait très bien que, si le négoce international et les importateurs africains venaient frapper aux portes de leurs exportateurs, ceux-ci se feraient un plaisir de fournir ce qu’on leur demandait. Ce qui aurait eu pour effet de réduire les stocks disponibles pour la consommation intérieure indienne et ferait monter les prix. Avec un cours du blé déjà en hausse, le gouvernement indien ne pouvait se le permettre. D’où sa décision d’interdire les exportations pour protéger les consommateurs locaux, ne pas les exposer à une nouvelle hausse des prix sur une denrée aussi essentielle et in fine, éviter de provoquer la colère des Indiens appelés à se rendre aux urnes quelques mois plus tard...

Une remise en cause du système

Mais cette décision, politiquement et économiquement compréhensible du point de vue indien, ne l’était pas pour les Etats dépendants des importations. Des Philippines au Sénégal, en passant par le Mali, le Nigeria ou l’Indonésie, tous les grands pays importateurs de riz se trouvèrent aux prises avec des difficultés d’approvisionnement et des prix insoutenables.

Cette situation inédite a suscité une remise en cause du système. Etait-il vraiment raisonnable de laisser l’alimentation nationale reposer sur ce qui était produit à l’autre bout de la planète ? Etait-il normal que les Sénégalais ou les Nigérians se nourrissent prioritairement de riz venu d’Asie — vendu moins cher que celui produit localement ? Pendant des décennies, les cargaisons étaient plutôt bon marché. La logistique était rodée. Mais la crise de l’hiver 2007-2008 a tout chamboulé car désormais, on ne pouvait plus compter avec certitude sur les approvisionnements internationaux. Les Etats d’Afrique de l’Ouest ont redécouvert les vertus de l’autosuffisance alimentaire : compter sur ses propres forces, sur ses propres récoltes. Au Sénégal, au Mali, les gouvernements ont rapidement mis sur pied des politiques agricoles incitatives.

Deux ans plus tard, la consommation de riz est en pleine croissance. Les efforts déployés ont porté quelques fruits, mais les importations n’ont pas baissé... L’Afrique est donc toujours soumise aux diktats du marché mondial du riz. Cette année, celui-ci répond présent : et les cours des matières premières — comme en 2007 — sont déjà repartis à la hausse...

Main basse sur le riz, film écrit par Jean-Pierre Boris et Jean Crépu, réalisé par Jean Crépu, produit par Ladybirds film et Arte France, 2009, 1 h 22.

Ce documentaire a donné lieu à la publication d’un livre qui porte le même titre, publié chez Fayard en mars 2010.

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Jean-Pierre Boris

Journaliste à Radio France internationale (RFI).

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