Le feu vert définitif pour ce soutien à la formation des forces de sécurité du Gouvernement fédéral de transition (GFT) vient d’être donné par les ambassadeurs des Vingt-Sept, qui ont adopté le « plan de mission ». Le Colonel Gonzalez Elul, désigné par l’armée espagnole pour prendre le commandement, est donc habilité à donner l’ordre d’activation de l’opération (Actord) qui pourrait être effective à partir de mai prochain, et devrait - dans un premier temps - s’étaler sur 13 mois, avec la formation sur des cycles de 6 mois de deux contingents de 1000 hommes.
L’European Union Training Mission Somalie (EUTM-Somalia) n’est qu’un des éléments de l’effort global de l’Union européenne pour aider la Somalie à se relever, en application du "processus politique de Djibouti" : ainsi, 60 millions d’Euros sont versés chaque année à l’Amisom, la force de paix de l’Union africaine ; les navires d’Atalanta assurent la protection du travitaillement de ces troupes, ainsi que celle des cargos du Programme alimentaire mondial ; l’UE abonde également un plan de 215 millions (sur cinq ans) , en soutien au houvernement provisoire somalien ; ainsi qu’une aide humanitaire (45 millions en 2009).
L’EUTM-Somalia tire sa légitimité de plusieurs textes :
— une résolution du 26 mai 2009 du Conseil de sécurité de l’ONU recommande de « reconstituer, de former, d’équiper et d’entretenir les forces de sécurité somaliennes », et lance un appel aux bonnes volontés ;
— une nouvelle résolution du conseil, le 30 novembre 2009, rappelle son « attachement à la souveraineté, à l’intégrité territoriale, à l’indépendance politique et à l’unité de la Somalie » ;
— une lettre du gouvernement somalien, le 18 novembre 2009, « salue les efforts entrepris par l’UE » ;
— le 30 novembre 2009, une lettre de l’Union africaine – qui déploie en Somalie la force de maintien de la paix « Amisom » - confirme son intérêt pour le lancement d’une opération de formation des militaires somaliens ;
— enfin, le 5 janvier dernier, le gouvernement de Kampala lance une invitation officielle à l’UE pour qu’elle organise des cycles de formation des forces de sécurité somaliennes à partir du territoire ougandais.
Hors de portée
Il ne s’agit donc pas d’une opération de maintien de la paix à proprement parler, considérée de toute façon par le ministre français de la Défense Hervé Morin comme « hors de portée ». L’objectif est de former 2 000 hommes dans un premier temps, voire d’aller jusqu’à un effectif total de 6 000 hommes en cas de renouvellement du mandat de la mission.
Pour la première fois, dans le sillage du nouveau traité européen de Lisbonne, l’opération est menée en étroite collaboration entre militaires et civils (ce qui est une des spécialités de l’Union européenne). Elle est sans risques, et à effectifs réduits (une centaine de formateurs, une quarantaine de personnels en soutien), dont plusieurs dizaines d’instructeurs espagnols, spécialistes de la lutte anti-guérilla en milieu urbain, et des militaires d’Allemagne, de Hongrie, Finlande, Italie, Portugal, Slovénie, et peut-être de Grèce, Suède, Roumanie ou Belgique (1).
Les militaires américains, sous la bannière de l’Africom– leur nouveau commandement pour l’Afrique – se sont offerts à former aux techniques de lutte contre les explosifs improvisés (IED). Ils fourniront des armes et assureront le transport des soldats somaliens entre Mogadiscio et Entebbe, en Ouganda – ce qu’ils font déjà, de manière formelle (2) ou clandestine. Le camp Lemonnier, à Djibouti – une ancienne implantation de la Légion étrangère française –, sert, entre autres, de base-arrière aux équipes militaires et civiles chargées d’intervenir à distance ou clandestinement en Somalie : aide aux nationalistes modérés ou anti-islamistes, surveillance à l’aide de drones, élimination – depuis les airs - d’éléments jugés hostiles aux intérêts américains (3).
Rôle moteur
Ne souhaitant pas rééditer une opération de type EUFOR-Tchad/RCA, où elle avait dû constituer avec ses hommes plus de la moitié des effectifs « européens », la France a limité sa participation à l’EUTM-Somalia à une trentaine d’instructeurs. Mais elle avait pris les devants en assurant – avec ses propres moyens déjà stationnés à Djibouti – l’entraînement en 2009 d’un bataillon de l’armée du président Cheikh Sharif Ahmed, soit 500 hommes. 150 d’entre eux étaient en formation en octobre dernier ; 350 autres devaient suivre.
Il s’agissait d’une formation basique, sur quelques semaines, axée sur l’obéissance, les réactions en groupe, et non pas d’une formation type « soldat d’élite » ou « force spéciale ». Les forces armées de la Fédération de Russie, qui ont déjà déployé une petite escadre en océan Indien, dans le cadre de l’opération anti-piraterie menée par l’Union européenne et par l’OTAN, avaient été sollicitées par les Français pour participer à la formation de ce bataillon somalien, à partir de Djibouti, et auraient donné leur accord.
Couplés avec les Espagnols, comme cela avait été le cas pour le lancement d’Atalanta, les Français ont une nouvelle fois joué un rôle moteur dans le montage en fait très laborieux de cette opération africaine, étalé sur près d’un an. En marge d’un conseil européen des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, en novembre dernier, les ministres français présents avaient appuyé politiquement l’opération EUTM-Somalia :
— « Si on ne prend pas en main la reconstruction de l’Etat somalien, on pourra avoir l’opération Atalanta durant 20 ans, 30 ans, une éternité (…). Atalanta s’attaque aux conséquences ; il faut s’attaquer aux causes » (Hervé Morin) ;
• « Ce que nous avons sur place, c’est Al-Qaida, avec les Shebab... » (Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat aux affaires européennes).
Espace sécurisé
Les militaires de l’Ugandan People’s Defense Force (qui participent déjà à l’Amisom) fourniront un soutien pour la formation de base des soldats somaliens ; des interprètes pourraient également être recrutés dans leurs rangs. Plusieurs arguments jouaient en faveur du choix du territoire ougandais comme cadre de cette opération :
— des militaires somaliens y sont déjà en formation ;
— la force de l’Union africaine à Mogadiscio (Amisom), composée pour partie de soldats ougandais, est commandée par un général de l’UPDF, Nathan Mughisa ;
— l’armée ougandaise, longtemps commandée par des officiers tutsis, a une solide réputation ;
— les instructeurs européens pourront s’appuyer sur les installations de l’armée ougandaise pour développer leurs modules de formation spécialisée (déminage et lutte contre les explosifs improvisés, sécurité et guérilla en zone urbaine, transmissions, action médicale d’urgence, etc.) ;
— et surtout, l’Ouganda – comparé à la Somalie – fait figure d’espace sécurisé...
Armes retournées
Des réflexions ont été engagées pour trouver des parades concernant :
— le recrutement et son filtrage (pour éviter que l’UE ne se retrouve à former des enfants-soldats) ;
— une série de critères de sélection ont été identifiés par le commandement de l’Amisom, qui veillera aux bonnes conditions de recrutement : diversité clanique, aptitude médicale, âge (au dessus de 18 ans), niveau d’aptitude à suivre des cours, attitude générale, absence de violation de droit de l’homme ;
— le financement et le paiement effectif de la solde des soldats, pour éviter les détournements ;
— la surveillance et la sécurisation, en Ouganda, du personnel en formation ;
— le suivi et l’encadrement des forces après leur retour à Mogadiscio , pour éviter qu’une fois formés, ces soldats ne désertent pour rejoindre leurs clans, voire des groupes extrémistes comme les Shebab ou le Hezb al-Islam (4). Il ne s’agit pas d’une éventualité théorique : on vient de s’apercevoir que quelques combattants de la milice islamiste Al-Shebab, impliqués dans des attentats récents, avaient été formés au camp d’entraînement de l’armée ougandaise, à Bihanga, dans le cadre d’un programme – en principe secret – monté par l’UPDF.
— par ailleurs, la formation de l’armée somalienne – qui concerne des effectifs limités au service d’un pouvoir intérimaire circonscrit à une partie seulement de Mogadiscio – n’a pas une incidence directe, sinon partielle et à long terme, sur le phénomène de la piraterie, qui n’est traité actuellement que par la voie maritime. En octobre dernier, Paris avait appelé l’Union à « élargir son approche, pour former les garde-côtes et les policiers somaliens » – mais sans succès jusqu’ici.