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Les Roms du canal de l’Ourcq

L’honneur perdu de la gauche en Seine-Saint-Denis ? Sauf miracle, le pire va advenir, et la gauche en garderait pour longtemps un opprobre mérité. Unité de temps, de lieu, d’action, toutes les composantes d’une nouvelle tragédie sont déjà en place, dans une indifférence insupportable. La Seine-Saint-Denis, département ostracisé, méprisé, outre le drame des cités, accueille aussi depuis plusieurs années des populations migrantes, originaires notamment de Roumanie et de Bulgarie, qui survivent, entre expulsions et incendies, dans des campements de fortune, qui se sont notamment multipliés au long du Canal de l’Ourcq. Or cette voie fluviale, symbole d’une époque révolue, dont les berges font figure de mausolée des Trente glorieuses, avec leurs friches industrielles désolées qui s’étendent sur des kilomètres, va être l’objet d’une lourde réhabilitation, financée notamment par les fonds Feder européens. D’un côté, collectivités et élus de gauche, héritiers de la « banlieue rouge », qui misent sur la « requalification des territoires et la « compétitivité » pour sortir la Seine-Saint-Denis… du « rouge ». De l’autre des centaines de familles, de femmes, d’enfants, ostracisés, qui survivent dans des conditions sanitaires effroyables, déjà en butte à une xénophobie qui menace à tout instant de tourner au drame, familles seulement soutenues par quelques associations qui dénoncent, sans écho, un scandale majeur. C’est un peu de l’honneur de la gauche qui est en jeu, aujourd’hui, sur les rives du Canal de l’Ourcq.

par Marc Laimé, 17 mai 2010

La Seine-Saint-Denis, premier bénéficiaire du programme FEDER

« Entre 2000 et 2006, l’Ile-de-France a reçu pas moins de 750 millions d’euros des fonds européens Feder, FSE, censés « réduire les disparités économiques et sociales entre les régions », rapportait l’édition d’Aubervilliers du Parisien le 2 juin 2009.

« (…) La Seine-Saint-Denis était largement en tête des bénéficiaires, notamment du Feder avec 75,63 millions d’euros et 180 opérations financées. Le Val-d’Oise avait touché 38 M€, les Yvelines, 25 M€, l’Essonne, 13 M€ et les Hauts-de-Seine, 9,7 M€.

(…) L’objectif est ambitieux : “Il s’agit de rattraper les inégalités territoriales et de renforcer la compétitivité d’autres secteurs”, explique la préfecture de région. C’est le préfet de région qui est chargé d’organiser la répartition de ces fonds et de sélectionner les projets avec l’aide des préfectures et des collectivités. Pour la période 2007-2013, plus de 700 millions d’euros seront attribués à la région. Les pouvoirs publics ont sélectionné trois territoires du 93 qui bénéficieront d’un gros coup de pouce de 24,5 millions d’euros au titre du Feder : Plaine Commune (12 M€), Clichy-Montfermeil (6,5 M€), le canal de l’Ourcq avec Romainville, Bobigny, Bondy et Noisy-le-Sec (6 M€).

(…) En 2008, Aubervilliers s’est dotée d’un élu délégué à la recherche de financements : “Notre ville, en difficulté financière, doit diversifier ses ressources”, explique Dario Malem (PS). Les démarches sont complexes et certains s’y cassent les dents. “Quand vous obtenez des crédits de l’Europe, c’est la cerise sur le gâteau. Mais c’est compliqué, les premiers arrivés sont les premiers servis”, déplore Bertrand Kern. Le maire PS de Pantin a ainsi vu fondre l’enveloppe européenne allouée au Plie intercommunal (Pantin, Le Pré, les Lilas), le plan local pour l’insertion et l’emploi, de 400 000 à 277 000 euros par an en 2007. Les villes ont dû mettre la main à la poche pour éviter le naufrage d’une structure qui a accompagné 541 personnes en 2008. »

Le retour des bidonvilles en Seine-Saint-Denis

Dans un communiqué en date du 3 mai 2010, la LDH, RESF, la Cimade, le MRAP, Parada et Romeurope, dénonçaient une situation indigne de la « patrie des droits de l’homme », qui ne cesse de se dégrader :

« Le 15 avril, un enfant est mort dans l’incendie de son abri de fortune à Gagny. Ce nouveau drame sera-t-il oublié, comme ceux qui ont précédé ? Depuis plusieurs années, la Seine Saint-Denis connaît à nouveau le temps des bidonvilles. Des migrants, venus notamment de Roumanie et de Bulgarie, vivent dans des caravanes ou des baraquements de fortune sur des espaces vidés par la désindustrialisation ou en marge des voies de communication.

« Ces populations, parmi lesquelles de nombreuses familles et des enfants, vivent sans eau, sans électricité ni installation sanitaire, le plus souvent sans évacuation des ordures ménagères. L’accès aux soins est aléatoire, en fonction des interventions des organisations bénévoles. La scolarisation des enfants est le plus souvent inexistante ou compromise par les déplacements fréquents, la misère des familles, le manque de structures adaptées, le traumatisme des expulsions. Une telle situation, hélas banale dans certains pays du Sud, est encore plus insupportable dans un pays développé qui prétend promouvoir les droits de l’Homme.

« Ces hommes et ces femmes, dont beaucoup sont des citoyens de l’Union européenne, ont été contraints de quitter leur pays par les discriminations et la misère. Mais ils trouvent ici des dispositions tout aussi discriminatoires qui les empêchent d’accéder légalement au marché du travail. Ils ne connaissent de notre démocratie que le harcèlement policier systématique, les destructions de campement, les expulsions brutales et parfois les reconduites forcées à la frontière. De plus, l’immobilisme des pouvoirs publics laisse le champ libre aux réactions de riverains exaspérés et parfois à des dérives racistes et xénophobes qui ne peuvent et ne doivent être admises.

« Ainsi, à Bobigny, des enseignantes désemparées voient des enfants arriver à l’école transis de froid et traumatisés après avoir dû passer la nuit sous la pluie après la destruction de leur baraque. A Stains, la police empêche le libre accès à un point d’eau. Sur la nationale 3, le harcèlement policier, parfois violent (gazage, déshabillage, etc), est systématique à proximité des lieux où des travailleurs bulgares cherchent à se faire embaucher à la journée. A Aubervilliers, Bobigny, La Courneuve, Noisy le Sec, Saint-Denis, Saint-Ouen, et ailleurs encore, les expulsion ou menaces d’expulsion se succèdent sur les campements.

« Pour l’ensemble des associations soussignées, les réactions xénophobes doivent être condamnées avec fermeté, et le harcèlement policier doit cesser. Des lieux doivent être trouvés pour accueillir ces populations dans des conditions de salubrité et de dignité acceptables, assurer un suivi sanitaire efficace, une scolarisation continue des enfants, la protection des parents sur le marché du travail. Bref, une politique cohérente et humaine, dotée des moyens suffisants, s’impose de façon urgente. Si elle n’était pas engagée rapidement à tous les niveaux, la situation créée en Seine Saint-Denis risquerait de se tendre davantage, au point de devenir encore plus inacceptable et d’autant plus ingérable.

« C’est une question de volonté politique et de respect des valeurs républicaines. Elle se pose à chaque niveau de responsabilité : les carences des uns ne peuvent ici servir à cacher l’attentisme des autres.

« Les signataires appellent solennellement le préfet et les collectivités territoriales concernées, de la commune à la Région, à prendre des initiatives pour définir au plus vite, en concertation avec les associations et les populations concernées, les axes et moyens de cette action et commencer à la mettre en œuvre. »

Un drame prévisible

La récente publication d’un annuaire, inédit jusqu’alors, édité par l’Association nationale des gens du voyage catholique (ANGVC), a révélé que la Seine-Saint-Denis ne comptait que deux aires d’accueil officielles de gens du voyage (PDF)...

L’ANGVC dénonçait, lors de la conférence de presse de présentation de l’annuaire, l’extrême difficulté qu’elle a éprouvée à obtenir des renseignements auprès des opérateurs privés qui gèrent près de 30% de ces aires d’accueil en France, le plus souvent dans le cadre de concessions accordées par des collectivités locales.

Nous nous inquiétions, au lendemain du dernier week-end pascal, des prémices du drame qui nous paraissait pouvoir advenir, au vu notamment des indices de « requalification urbaine » qui s’annoncent tout au long du canal de l’Ourcq. A raison.

Le prix d’une « métamorphose »

Dans son édition de Seine-Saint-Denis du 14 mai 2010, Le Parisien précise que 6,3 millions d’euros vont être investis par l’Union européenne pour « métamorphoser une zone de 110 hectares entre Pantin et Bondy, le long du canal de l’Ourcq ».

«  (…) A l’automne, Bobigny, Romainville, Noisy-le-Sec et Bondy s’étaient unis en groupement d’intérêt public (GIP Ourcq) pour répondre à l’appel à projets communautaires appelé In-Europe. Une initiative née après les émeutes de l’automne 2005 pour agir durablement sur la région et le département et réduire les disparités économiques, sociales et environnementales. En février, Pantin et le conseil général ont à leur tour intégré le GIP, présidé par Gilbert Roger, le maire (PS) de Bondy. “L’Europe s’est engagée à nous soutenir, car le projet imbrique aménagement urbain, développement économique et emplois”, indique l’un des techniciens du GIP.

(…)

« Cette première subvention de l’Europe ne concerne que les études de l’aménagement du canal et de la requalification de la nationale 3 qui vont démarrer avant l’été pour des réalisations qui ne débuteront pas avant 2012-2013. Parmi celles-ci figurent la vente des anciennes douanes à un promoteur immobilier et l’aménagement de la ZAC du port à Pantin, la construction de 1200 logements à Bobigny, la dépollution de l’ancienne usine Engelhart-CLAL de traitement de métaux précieux, le déménagement du Centre national des arts de la rue de la compagnie Oposito, aujourd’hui à Noisy-le-Sec, et un projet d’incubateur et de passerelle pour piétons à Bondy. »

L’honneur perdu de la gauche ?

« Des lieux doivent être trouvés pour accueillir ces populations dans des conditions de salubrité et de dignité acceptables, assurer un suivi sanitaire efficace, une scolarisation continue des enfants, la protection des parents sur le marché du travail. Bref, une politique cohérente et humaine, dotée des moyens suffisants, s’impose de façon urgente. Si elle n’était pas engagée rapidement à tous les niveaux, la situation créée en Seine Saint-Denis risquerait de se tendre davantage, au point de devenir encore plus inacceptable et d’autant plus ingérable », soulignaient dans leur communiqué du 4 mai dernier reproduit ci-dessus la LDH, RESF, la Cimade, le MRAP, Parada et Romeurope.

Les architectes de la « requalification urbaine » du canal de l’Ourcq ne peuvent se soustraire à leurs responsabilités. Si la fièvre du « Grand Paris » conduit à de nouvelles expulsions honteuses, la gauche aura perdu, en Seine-Saint-Denis, partie de ce qui fonde son identité : le « soin » qu’elle doit apporter aux plus démunis.

Si l’on trouve à la source de ce drame tous les cauchemars de notre époque, depuis la barbarie libérale et les prurits nationalistes qui ont supplanté le totalitarisme des ex-démocraties populaires, exposant les populations les plus déshéritées de Bulgarie et de Roumanie à fuir les nouveaux pogroms qui les frappent, jusqu’à des "politiques d’immigration" inhumaines qui vouent, à l’Ouest des milliers de réprouvés à la clandestinité, comme les dernières années de la présidence Sarkozy nous en ont malheureusement asséné un modèle achevé, la gauche, toute la gauche, les citoyens non plus, ne peuvent assister, passifs, à ce déni d’humanité qui nous déshonorent tous.

A l’heure où le Parti socialiste s’enflamme pour le "care", oui, "Nous sommes tous des Roms du Canal de l’Ourcq".

Lire aussi :

"La situation des Roms", tribune signée par les 6 Vice-présidents de la Communauté d’agglomération de Plaine Commune (Seine-Saint-Denis)

"Ca sert à quoi de nous renvoyer en Bulgarie ?"

Libération, 4 aoùt 2010.

Un incendie détruit le campement de Stevan

Le Parisien, 6 août 2010.

Marc Laimé

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