Le Sénégalais Oumar Ly n’a plus de pellicule. Tant pis pour la photo. Les toilettes du restaurant lyonnais, de la taille d’une cour de concession, avec leur eau de Cologne et leur pile de serviettes, l’ont pourtant particulièrement impressionné : « du grand luxe ». Une table derrière lui, le Malien Malick Sidibé converse avec l’une des responsables de la Galerie Georges Verney-Carron, où ses grands formats de dos féminins maliens ont été accrochés aux murs en béton. Une autre table plus loin, on trouve le bonnet rasta de la jeune sud-africaine Zanele Muholi, les dreadlocks touffues de son compatriote – le vidéaste Yoko Breeze – ainsi que les têtes et nuques du Nigérian Uche Okpa Iroha, du Congolais Sammy Baloji, de son voisin d’outre-fleuve Baudouin Mouanda et du Burkinabe Nestor Ba, qui bougent au rythme des conversations et des plats. Cette jeune génération de la photographie panafricaine, primée par la fondation Blachere lors des dernières rencontres 2009 de la photo de Bamako, est réunie sur les bords de la Saône à l’occasion du premier festival « Passages » initié par le Musée des Confluences. Leurs productions, nourries pour les plus jeunes de prises de vue réalisées durant leur résidence lyonnaise, seront exposées dans la capitale des Gaules jusqu’au 24 juillet. C’est l’un des évènements de l’année.
Au Musée des Confluences
Avec « Passages », il s’agit pour l’équipe du Musée des Confluences de privilégier « ces regards partiels et partiaux de créateurs qui nous parlent de singularité et d’universalisme et relient des histoires personnelles au devenir de l’humanité ». En cette année de commémorations pour seize pays du continent noir qui célèbrent leur cinquante ans d’indépendance, le tout sur fond de première coupe du monde de football organisée sur le continent, la création africaine et sa photographie se sont naturellement imposées pour l’équipe muséale. Etonnamment, c’est le seul grand rendez-vous photographique français dédié à l’Afrique initié en cette année de jubilés. Le Musée des Confluences, qui attend toujours de sortir de terre, n’a cessé, depuis son lancement sur les fonds baptismaux, d’affirmer sa vocation transculturelle. Cet évènement est une nouvelle fois l’occasion pour lui d’affirmer sa différence et sa générosité. Bouturé d’interventions européennes (dont le travail tout en sensibilité du belge, Thomas Chable), le champ lyonnais de la photographie africaine est cultivé dans divers endroits de la métropole, de la terrasse du Centre Hospitalier Saint Joseph-Saint Luc à la galerie Bleu du Ciel, en passant par la fondation Bullukian. Un horizon, entre reflets/réflexions sur l’identité sexuelle sud-africaine et travaux sur l’héritage colonial belge à Lumumbashi, qu’ombragent les deux baobabs de l’image que sont Malick Sidibe et Oumar Ly.
Deux approches, deux portraits
Le premier est internationalement connu, mais c’est pourtant la première fois qu’il se rend à Lyon. Le second, découvert par la journaliste et commissaire d’exposition Fréderique Chapuis, quitte pour la première fois le continent. Sept ans d’âge le séparent de son aîné, maître de la photo malienne. Malick Sidibe vit sur les rives du Niger, Oumar Ly sur celles du fleuve Sénegal, à Podor face à la Mauritanie, 200 km en amont de Saint Louis. Malick Sidibe a ouvert son mythique studio Malick dans le quartier populaire de Bagadadji en 1958. Cinq ans plus tard, Oumar Ly étrennait son studio Thioffy, dans le quartier du marché de Podor. Leur approche du portrait atteste de quotidiens bien différents. Formé à l’école des artisans soudanais, grand dessinateur avant de devenir grand photographe, Malik Sidibé n’a cessé de saisir le Bamako de l’après indépendance, dans des ambiances euphoriques résumées par cette confidence : « Pour moi, la photo, c’est la gaité. J’étais donc gai avec mes clients afin qu’ils le soient. »
Sur les portraits d’Oumar Ly, fils de Marabout, vivant du maraîchage avant qu’il ne soit « charmé » par l’appareil photo d’expatriés à qui il apportait un jour des légumes, les pauses sont plus arides et austères, le quotidien plus précaire. Mais là aussi, « le client devait être content ». C’est une Afrique à l’écart de l’explosion urbaine qu’il saisit. La première activité d’Oumar Ly fût en effet de voyager en brousse, le long du fleuve, accompagné du juge de paix et du greffier, afin de faire des photos qui servaient aux formalités d’état civil d’un Sénégal affranchi du colonialisme français. Un premier contact avec la « boîte à images » pour de nombreux compatriotes. Les modèles regardent tout autant l’appareil photo que celui-ci ne les contemple. Passé du sténopé Joni-Joni (« prends moi vite ») au Kodak Brownie Flash puis au Rolleiflex, Oumar Ly n’a depuis jamais cessé de travailler à l’économie, faisant jaillir l’art de la banalité « Plan général, pas d’effet » note l’écrivain Marie Hélene Clement dans un tiré à part intitulé la Chambre de l’Afrique. « Oumar Ly n’a pas d’influence, pas de maître. Il cherche tout seul les solutions à ses questions d’exposition ou d’optique ou de mise en scène. » « "Il ne faut pas poser de questions au dessus de ma taille." dit-il. Il demande aux voisins, aux frères, aux maris, aux enfants, de tenir un pagne derrière celui qui pose, on voit leurs mains parfois dans les bords de l’image, accessoires incongrus à nos yeux habitués à la perfection technique. »
Pour dater ses images en studio, accumulées par milliers dans une antre devenue aujourd’hui étape obligée lors de tout séjour à Bamako, Malick Sidibé se repère au linos à damiers où posent ses modèles. Oumar Ly n’a pas cette prétention, comme si le quotidien des compatriotes pulaars qu’il avait immortalisé, il y a de cela prés d’un demi siècle, n’avait pas fondamentalement changé. Oumar Ly est « un photographe qui commence ». A 66 ans... Accrochées dans un musée qui reste ignoré par de nombreux lyonnais – celui, particulièrement chargé, de la société des missions africaines – ses photos viennent de faire l’objet d’un superbe livre aux éditions Filigranes. Il consacre un grand photographe ignoré.
Rétention d’artistes en Afrique du Sud
L’historienne d’art et politologue, Dominique Malaquais nous signale que l’Afrique du Sud refuse actuellement des visas à de nombreux artistes Africains. Entre autres le Camerounais Hervé Youmbi, dont le passeport est retenu depuis plus de trois semaines, malgré trois bourses (dont une de Culturesfrance) et un one-man-show à Joburg – à l’invitation d’une ONG fort connue en Afrique du Sud – et le soutien de nombreuses personnes dans le monde des arts. Le Haut Commissariat à Yaoundé fait de la rétention de passeports en masse depuis un mois, à tel point qu’un sit-in a été organisé la semaine dernière afin de récupérer les passeports. Dominique Malaquais initie à cet effet une campagne parmi ses camarades journalistes en les invitant à appeler le consulat pour souligner la xénophobie de la chose. Cela commence à faire un peu d’effet. La marche à suivre serait d’appeler aujourd’hui, demain et après-demain le consulat au (00237)22-20-04-38 entre 16 heures et 18 heures, heure de Paris, pour montrer que la communauté internationale n’accepte pas l’hypocrisie du message véhiculé par le gouvernement de M. Jacob Zuma.